Fil d'Ariane
Deux des membres des Filles de Illighadad, nouvelle révélation du blues touareg, lors de leur passage à Paris
« La musique a transformé nos vies. Nous n’avions jamais quitté notre village et nous ne pensions pas que nous aurions l’occasion de découvrir un jour autant de villes et de nouvelles choses », se réjouit Fatou Seidi Ghali, la fondatrice du groupe. C’est très jeune, que la Nigérienne apprend à jouer du takamba (luth à une corde). Puis son frère lui offre un jour une guitare acoustique, un instrument très peu pratiqué par des femmes et dont elle apprend à jouer en le regardant. Un cadeau qui va changer son destin.
« Quand j’ai posté une vidéo de Fatou et des filles sur ma page Facebook, le producteur de Sahel Sounds pour lequel je travaille a beaucoup aimé et il est venu les voir. J’ai alors dû convaincre leur famille de les laisser créer leur album et de partir en tournée », raconte Ahmoudou Madassane, l’homme qui les accompagne sur scène, musicien lui aussi.
Fatou Seidi Ghali, à la guitare, dans son village
A Illighadad en effet, si depuis des générations les femmes jouent du tendé, un tambour fait d'une peau de chèvre tendue sur un mortier à mil, la guitare est un instrument réservé aux hommes. Leur départ vers l’Europe pour en faire carrière a donc d’autant plus été mal vu par les anciens.
Certains hommes sont jaloux de voir une fille qui joue de la guitare mais beaucoup encouragent aussi notre groupe
Fatou Seidi Ghali, musicienne des Filles d'Illighadad
« Certains hommes sont jaloux de voir une fille qui joue de la guitare mais beaucoup encouragent aussi notre groupe », note Fatou Seidi Ghali.
Les jeunes femmes n’avaient pourtant aucune prétention. Elles chantaient seulement pour divertir les gens du village ou lors de fêtes de famille, alliant la guitare et le tendé.
Leurs mélodies mêlent ainsi le blues et la musique traditionnelle touareg. Un genre très apprécié par le public européen, qui a été propulsé par le groupe malien Tinariwen, dès les années 1980.
Mais la doyenne de ce style musical est une femme de 80 ans, originaire de Tamanrasset dans le sud de l’Algérie, et s’appelle Lalla Badi. Musicienne et chanteuse experte en tendé, elle a participé à de nombreux festivals internationaux. Peu connue en Occident, elle est une icône au Sahara, considérée comme la gardienne des traditions touarègues. Elle inspire d’ailleurs beaucoup les Filles de Illighadad, notamment pour la poésie de ses chants, qui louent la nature, la faune, et apportent encouragements aux hommes partis combattre.
Un art musical et ancestral que les Filles de Illighadad perpétuent dans leurs propres chansons, en évoquant elles aussi des histoires de guerriers, la nostalgie, en parlant de l’amour et de leur quotidien. Mais elles délivrent également quelques messages sur la condition des femmes.
« Dans notre village les filles se marient très tôt. Souvent elles ne vont pas à l’école. Avec l’argent que nous gagnons, nous avons décidé d’acheter du bétail pour agrandir le troupeau mais nous avons aussi pour projet d’ouvrir une école à Illighadad », confie la meneuse du groupe.
Les filles de Illighadad ont sorti leur premier album à l'automne 2017, qu’elles ont pu faire découvrir lors de la huitième édition du Festival international Taragalte au Maroc. Un événement culturel, qui mettait cette fois-ci en avant les artistes Africaines, en particulier celles issues du milieu saharien.
Preuve que la modernité de la musique touarègue passe désormais par les femmes.