Au Pakistan, les femmes apprennent à résister autrement... à leurs risques

Alors que les ultra conservateurs aimeraient bien rogner leurs maigres acquis, les Pakistanaises inventent des formes nouvelles de résistance, très visibles, et parfois trop pour leurs concitoyens : aller au café, conduire une moto, rire dans la rue... Reportage
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pakistanaises en résistance
Des Pakistanaises manifestent à Karachi, lors de la journée internationale des droits des femmes, le 8 mars 2015
AP Photo/Fareed Khan
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Au Pakistan, pour les droits des femmes, comme on écrit toujours sur ce site Terriennes #yaduboulot ! Et pas qu'un peu. Ainsi fin mai 2016, on apprenait que le Conseil de l'idéologie islamique (CII), l'un des corps constitués du Pakistan, fondé en 1962, et chargé d'éclairer les autorités publiques (parlement aussi bien que gouvernement) de ses avis, venait de conseiller d'autoriser les maris à "battre légèrement" leurs épouses lorsque celles-ci "le méritent"... C'est à dire lorsqu'elles ont l'outrecuidance de défier leur seigneur (ou parfois même saigneur) et maître. Le quotidien pakistanais anglophone The Express Tribune nous rassure tout de même : les élus et les ministres ne sont pas obligés de suivre les sages avis du CII. 

En 2015, le CII s'était vivement opposé à une proposition de texte « fondamental » en 2015 pour protéger les femmes des violences conjugales (PPWA  Women’s Protection Act) au Pendjab, la plus importante des régions du Pakistan, en 2015. Le CII l’avait déclaré incompatible avec l’islam parce qu’il risquait de « mettre les hommes en état d'insécurité ». A la suite de cette avancée fondamentale pour les droits des Pakistanaises, le CII est donc passé à l'offensive avec une contre-proposition de loi en vue de réprimer les rebelles.

Des "coups légers", en cas de désobéissance


Depuis, cette instance ne cesse de batailler contre ces tentatives de modernisation. La proposition de battre légèrement sa femme en est le dernier avatar. Ces « coups légers » (à l’appréciation toute relative) pourraient être assénés lorsque l’épouse refuse d’obéir, lorsqu’elle ne s’habille pas selon ses désirs, lorsqu’elle rejette un rapport sexuel en dehors de toute excuse religieuse, ou qu’elle ne veut pas prendre de bain après une relation sexuelle et lors de ses règles. Il est également permis de battre légèrement sa femme lorsqu’elle ne veut pas porter le hijab, qu’elle échange avec des étrangers, quelle parle trop fort où qu’elle donne de l’argent à quiconque sans l’accord de son mari. Depuis plus de 50 ans, le CII brille par ses conseils rétrogrades, rarement suivis par les législateurs, mais malheureusement pris au pied de la lettre par certains des citoyens pakistanais...

Pourtant, les Pakistanaises ont participé au plus haut niveau à l'émergence de cette  grande puissance asiatique, depuis son indépendance en 1947 : universitaires, scientifiques, femmes politiques, artistes, et chaque année, elles défilent à l'occasion du 8 mars, journée internationale des Droits des femmes. Mais depuis la fin des années 1970 et le règne du très conservateur général/dictateir Muhammad Zia-ul-Haq, cette émancipation est vue et vécue d'un mauvais oeil et les actes de régression, parfois meurtriers ou sanglants (comme celui dont a été victime Malala, le plus jeune prix Nobel de la Paix) se multiplient pour ramener les femmes à leurs fonctions de procréatrices et de cuisinières.

Pakistanaise timbre tracteur
Une Pakistanaise sur un tracteur, sujet insolite d'un timbre pakistanais des années 1970
AP Photo


Menacées, les féministes pakistanaises, les citoyennnes qui veulent vivre librement, inventent donc des méthodes plus provocatrices, défiant tous interdits dits et non-dits, pour s'imposer dans l'espace public : pour l'une, Zenith Irfan, 21 ans, ce sera conduire une moto ; pour d'autres se faire auto-entrepreneuses à la tête d'un triporteur rose réservé aux femmes, comme Saniya Rajan ; pour les plus courageuses, c'est de, tout simplement, s'installer à la terrasse d'un café.
Un acte, en apparence minuscule qui pourrait leur coûter la vie.

Je préférerais vivre dans une société où les femmes peuvent agir librement
Zenith Irfan, motarde

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Ces actions, petites en apparence, d'un courage au quotidien, qui posent les cailloux d'un futur plus prometteur, prennent toute leur ampleur face à la violence continuelle qui s'exerce contre les femmes (et exceptionnellement contre les hommes), comme le révèle cette litanie d'informations fournies par l'Agence France Presse en quelques jours de ce mois de juin 2016.

17 juin 2016, Lahore : Une jeune femme enceinte de son deuxième enfant a été égorgée par des proches pour s'être mariée sans leur consentement, dans l'est du Pakistan. Muqaddas Bibi, 22 ans, avait épousé Taufiq Ahmed il y a trois ans en dépit de l'opposition de sa famille, qui considérait qu'un mariage d'amour - par opposition à un mariage arrangé - était une source de honte. Selon le chef du commissariat local, lorsque la jeune femme est arrivée chez elle, son père, son frère et sa mère lui ont tranché la gorge avec un couteau, la tuant sur le coup. Muqaddas Bibi avait une fillette de 10 mois, et elle était enceinte de sept mois lorsqu'elle a été tuée.

16 juin 2016, Multan : fait divers inversé - un Pakistanais brûlé à l'acide par une femme qu'il refusait d'épouser. Momil Mai, une mère de quatre enfants mariée, habitant près de la ville de Multan (centre du pays), entretenait depuis plusieurs années une relation avec Saddaqat Ali, 25 ans, également marié, selon la police. Mercredi soir, M. Ali est allé voir Mme Mai, comme d'habitude, mais elle lui a jeté de l'acide après qu'il a une nouvelle fois refusé de l'épouser

14 juin 2016, Islamabad : Une militante des droits humains agressée pendant un débat télévisé. Le débat entre les deux protagonistes s'est envenimé lorsque le sujet des "crimes d'honneur" a été abordé, après que plusieurs femmes ont été tuées récemment pour avoir épousé l'homme de leur choix sans le consentement familial. La militante Marvi Sirmed, sur son compte Twitter, affirme que ses propos ont enflammé le clerc, qui aurait tenté de l'agresser lors d'une pause, avant qu'un autre participant ne s'interpose pour l'en empêcher.

14 juin 2016, Lahore : Une jeune Pakistanaise chrétienne a été tuée par son frère après qu'elle a insisté pour se marier avec un homme de son choix, un rare cas de crime perpétré au nom de l'honneur dans une famille chrétienne. Anum Ishaq masih, qui avait un peu moins de 20 ans, a été tuée  dans un quartier proche de la garnison de Sialkot, une grande ville du centre du pays,. Saqib Ishaq Masih, 23 ans, a tué sa soeur en lui frappant la tête avec un gourdin en bois.

10 juin 2016, Lahore : Un couple de Pakistanais a été tué à Lahore pour s'être marié sans le consentement des parents. Saba Ashraf, 18 ans, et Karamat Ali, 35 ans, s'étaient mariés il y a un an et demi sans avoir obtenu au préalable l'accord de leurs pères. Les deux jeunes gens étaient de retour à Lahore pour tenter de renouer le lien avec leurs familles. Au cours d'une conversation qui a dégénéré, Muhammad Ashraf, le père de Saba, a ouvert le feu sur elle, sur son mari et sur un voisin qui tentait de la défendre, selon la police locale.

8 juin 2016, Lahore : Une adolescente brûlée vive par sa mère pour s'être choisi un mari. Zeenat n'avait que 16 ans quand elle a épousé un jeune homme contre l'avis des siens. Une audace qui lui a couté la vie lorsque sa mère excédée l'a brûlée vive dans leur modeste maison à Lahore. Le meurtre de Zeenat est le troisième en autant de mois d'une jeune fille accusée d'avoir bafoué l'honneur de sa famille au Pakistan. Des centaines comme elle sont tuées chaque année, mais très rarement par une femme, et encore moins leur mère.

Des dignitaires sunnites réagissent... enfin


Un groupe influent de dignitaires sunnites pakistanais a donc émis une fatwa condamnant les crimes perpétrés au nom de l'honneur, qu'un porte-parole a qualifiés d' "immoraux et injustifiables" lundi, après une série de meurtres de femmes qui ont choqué le pays. Le Sunni Ittehad Council (SIC), organisation alternative au CII, estime que de tels meurtres constituent un "grand péché". Cet édit religieux est soutenu par une quarantaine de membres de ce conseil, une fédération d'organisations sunnites qui jouit d'une grande influence dans la province pakistanaise du Pendjab. "Allah a décrété que les femmes devraient être libre d'épouser la personne de leur choix, tant que les deux parties sont d'accord", affirme le secrétaire général du SIC pour le Pendjab, le moufti Saeed Rizvi. Dans cette fatwa, les responsables musulmans réclament au gouvernement des lois permettant aux forces de sécurité et aux tribunaux de punir dans la semaine tous les coupables de tels crimes.

On rappellera que des centaines de femmes sont tuées chaque année au Pakistan par des proches sous prétexte qu'elles auraient bafoué l'honneur familial. #yaduboulot