Au Paraguay, 100 kilos de gloire contre la dictature de la minceur

Alors que Calvin Klein ou Pirelli commencent à utiliser des mannequins XXL dans leurs pubs, cela fait un moment qu’au Paraguay, les rondes sont déjà des stars des médias people. Adulées par des milliers d’admirateurs, dans un pays où l’obésité atteint plus de 64% de la population, les Miss Gorditas (rondes en espagnol) créent la polémique. En grande majorité issues des quartiers défavorisés d’Asunción, elles désirent changer les mentalités et la norme du 90-60-90, même si l’attrait de la célébrité et des buzz de tous genres n’est jamais très loin.
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Au Paraguay, 100 kilos de gloire contre la dictature de la minceur
Miss Tamara Luraschi -27 ans -100 kilos : « Ma me`re qui est e´vange´lique n’e´tait pas d’accord au de´but pour que je me pre´sente au casting des Miss Gorditas. Mais j’avais tellement grossi que mon petit ami m’a abandonne´e. J’ai de´cide´ de devenir un mannequin XXL pour montrer qu’une femme obe`se est aussi sexy qu’une autre ».
(©) Jean-Jérôme Destouches
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Rumby tuicha ! (gros cul) crie un vendeur ambulant d’ananas en ricanant en langue guarani à une femme ronde d’une trentaine d’années, juste avant qu’il s’agrippe à la porte rouillée d’ un bus brinquebalant à toute allure, près du shopping huppé de Villa Mora. Au Paraguay comme dans beaucoup d’autres pays, la dictature de la minceur sévit et les discriminations sont monnaie courante.

« J’ai toujours rêvé de travailler dans un showroom, raconte Laura Ochipinti, une miss Gordita âgée de 28 ans, entre deux gorgées de tereré (maté qui se boit avec de l’eau froide). Mais le directeur de nationalité coréenne m’a dit que j’étais trop grosse et que mon physique allait faire fuir les clients ». C’est en partie pour lutter contre ces discriminations que le rapai  (brésilien) Mike Beras qui vit au Paraguay depuis 24 ans, a créé la toute jeune agence des Miss Gorditas; au nom éponyme de Mike Beras Plus Size. Rêveur, poète à ses heures perdues mais surtout écrivain d’un roman qui dépeint le côté cruel de l’Amour (El lado Mbore del Amor en espagnol), Mike est un personnage atypique au Paraguay loin des clichés des agents de mannequins. Chemise à fleurs, mocassins usés et un attaché-case rempli de coupures flashy de journaux people sur les Miss Gorditas, Mike Beras , la quarantaine, traverse de long et en large la ville d’Asunción pour promouvoir le message de son agence auprès des médias. « Le but des Miss Gorditas, dit Mike avec un fort accent brésilien, est de développer l’estime des femmes rondes et de rompre les standards de beauté établis par notre société. J’en avais marre des concours de Miss String ou de Miss Paraguay qui sont tous les mêmes et qui dévalorisent les femmes normales ».

Au Paraguay, 100 kilos de gloire contre la dictature de la minceur
E´tudiante en dernie`re anne´e de me´decine Diana Chamorro a e´te´ e´lue Miss Gordita Paraguay 2013. De´prime´e par le de´ce`s de sa me`re qui re^vait que sa fille soit mannequin elle a de´cide´ de participer au concours...
(©) Jean-Jérôme Destouches
Au début, quand il a décidé de créer le concours Miss Gordita sur Facebook en 2012, la plupart des médias paraguayens pensaient qu’il s’agissait d’une blague. Lorsque la fan page a commencé à crouler sous les likes, les mannequins de Mike ont été conviées à participer à des programmes télé. Mais à peine le succès arrivé - et même s’il ne désire l’avouer - beaucoup de choses ont dérapé. « De nombreuses émissions people nous ont accusé de faire l’apologie de l’obésité, prétextant que nous donnions un mauvais exemple à la société paraguayenne qui souffre d’obésité. Mais je ne cesse de le répéter notre message est tout le contraire ».

« Du vilain petit canard à la star »

La plupart des Miss Gorditas sont passées du jour au lendemain du statut du vilain petit canard à la femme respectée et désirée. Diana Chamorro, étudiante en dernière année de médecine le confirme : « Avant je pensais que les hommes ne pouvaient pas s’intéresser à moi. On me disait tu es belle mais… tu as un joli visage mais… il y avait toujours un mais ! Quand j’ai gagné le concours de Miss Gordita 2013 en imitant Madonna sur scène non seulement le public a été impressionné de voir qu’une « grosse » pouvait danser langoureusement mais en plus ma vie a changé. Contrairement à ce qui est dit, je pense avoir représentée les Miss Gorditas le mieux possible sans créer de polémique et surtout sans avoir dû montrer mes fesses ! » s’écrie Diana en pleurs, avec son maquillage qui dégouline, dans sa maison cossue de deux étages.

Après son titre de Miss Gordita 2013, plusieurs professionnels de la mode et de la publicité se sont intéressés à elle. Mais pour eux une Miss Gordita est avant tout un mannequin low cost. « Ils lui ont offert 700 000 guaranis (120 euros) pour participer à un catalogue et utiliser son image durant trois mois. En comparaison un mannequin « normal » est payé 7 millions de guaranis (1200 euros) » dit Mike Beras agacé.

Au Paraguay, 100 kilos de gloire contre la dictature de la minceur
Leticia Ocampos (21 ans) fabrique des kimonos pour pratiquer l'aikido dans sa maison d'Asuncion. Elle a toujours rêvé de devenir mannequin en dépit de ses 90 kilos...
(©) Jean-Jérôme Destouches
Dans le quartier où elle vit, à chaque fois que Leticia sortait de chez elle on murmurait dans son dos : « V’là la grosse ». Aujourd’hui Leticia, âgée de 21 ans fait de la télévision et est devenue une des miss gorditas les plus populaires.  À tel point qu’elle s’est vue proposer un cheval pur-sang, des bijoux et une voiture avec chauffeur par un admirateur en contrepartie d’une « visite » dans son estancia (exploitation agricole d’Amérique du sud). «  J’ai refusé car je ne veux pas donner une image dégradante des miss gorditas » dit-elle en clignant des yeux devant une dizaine de machines à coudre qu’elle utilise pour la fabrication de kimonos de Taekwondo. Pendant ce temps Maria, sa mère, prépare la table pour le déjeuner. Elle est fière de sa fille et ne rêve que d’une seule chose : « qu’elle devienne une star people ». C’est d’ailleurs elle qui la pousse à porter des vêtements plus sexy et plus courts pour attirer l’attention.

« Au début, dit Mike assis devant la maison près de l’asado (barbecue), préparé par le père de Leticia, la plupart des filles ont honte de leurs corps. Peu importe qu’il fasse 45° à l’ombre, elles avaient l’habitude de porter des vêtements longs et amples pour cacher leurs courbes. Après quelques semaines d’expérience comme mannequin XXL, elles commencent à avoir plus confiance en elles et portent sans complexe une jupe ou un maillot de bain ».

Le quart d’heure de gloire

Dans une société où tout le monde désire comme le disait Andy Warhol « son quart d’heure de gloire », plusieurs miss Gorditas sont tombées dans le piège de la polémique cherchant avant tout l’exposition médiatique et la célébrité. C’est d’ailleurs pour cela que Mike Beras n’a pas hésité à retirer la couronne de Montserrat Monges, la Miss Gordita 2014. « Non seulement elle a très mal représenté les gorditas, lors de son élection, en pointant son majeur à ceux qui l’avaient traité de grosse dans son enfance, mais en plus elle a posé devant les objectifs avec un sandwich géant pour un article de journal qui disait « Journée nationale contre le régime ». Tout a été orchestré pour donner une image négative de mon agence. En effet quand des miss gorditas sont présentes dans un show télé, c’est une baisse de rating assurée pour les autres émissions » déplore Mike qui par déjà deux fois a frôlé, en raison des nombreuses polémiques people, la crise cardiaque. Mike souffre de stress chronique, une pathologie que beaucoup pourrait trouver inhabituelle chez un brésilien. Il prétend ne pas vouloir parler de ses disputes avec les médias mais en même temps il ne fait que ça : «  comment puis-je diffuser le concours des Miss Gorditas et le message qui va avec si je ne m’adresse pas à l’ensemble de la population ? Et c’est justement la presse people qui nous permet d’atteindre un nombre important de paraguayens ».
Au Paraguay, 100 kilos de gloire contre la dictature de la minceur
Miss Leticia Velaztiqui - 29 ans -130 kilos : « J’ai toujours e´te´ tre`s vaniteuse. Bien que je sois obe`se je n’ai jamais perdu confiance en moi. J’ai de nombreuses amies qui sont grosses et qui vivent de´prime´es. Maintenant qu’elles me voient a` la te´le´vision de´filer en robe moulante et de´collete´ plongeant elles essayent de m’imiter ». Si j’aimerais e^tre plus ce´le`bre ? E´videmment ! »
(©) Jean-Jérôme Destouches

Les obèses creusent leur tombe

Pour contredire les critiques de la presse people, Mike Beras  s’est entouré d’une psychologue dont le travail est de préparer les miss au dur monde des médias mais aussi d’un nutritionniste, le docteur Vacante. Ce dernier, de nationalité argentine et vivant à Asunción depuis plusieurs années, est la grande star des programmes alimentaires à la télévision paraguayenne. Dans son cabinet médical, trônent sur les murs des photos de lui, faisant la une de plusieurs magazines sur la santé.

D’un ton vif et passionné, le docteur Vacante profite de cette interview pour tirer la sonnette d’alarme «  Les obèses creusent eux-mêmes leur tombe mon bon monsieur ! Dans le monde, plus de 2 milliards de personnes souffrent d’obésité et au Paraguay cette pandémie est importante (+ de 64% de la population). Dans ce pays, ce fléau est lié à un manque d’éducation alimentaire avec des plats peu variés, riches en farine et en graisses mon bon monsieur ! Et j’ajouterai que l’agence des Miss Gorditas permet véritablement de lutter contre les discriminations car sachez, mon bon monsieur, que les obèses sont seuls dans leur lutte contre le surpoids dans une société qui les punit et qui les culpabilise quelques mois avant l’été, pour les obliger à faire des milliers de régimes dont je peux affirmer, mon bon monsieur, que chaque patient a dû en suivre plus d’une dizaine sans réussir à perdre le moindre kilo ».
Au Paraguay, 100 kilos de gloire contre la dictature de la minceur
MIss Ana D'oliviera - 24 ans - 125 kilos : « J’ai essaye´ plus de vingt re´gimes. Aucun n’a fonctionne´. Je sais parfaitement que l’obe´site´ est une maladie. En ge´ne´ral je ne mange pas beaucoup mais je mange mal. Mon patron me dit que je suis grosse et que je dois perdre du poids. Il m’apporte tous les jours des fruits pour prendre soin de moi. Je n’ai jamais re^ve´ de devenir mince mais j’aimerais pouvoir re´duire la taille de mes bras. Je suis pre^te a` m’ope´rer ».
(©) Jean-Jérôme Destouches

La guerre des 'peoples'

Le soleil est à son zénith et la chaleur suffocante. Mike traverse, attaché-case en main, une avenue en zigzaguant entre les voitures, les bus et les vendeurs ambulants. Il est pressé car il doit répondre à une interview dans la plus grande station de radio people d’Asunción. Le programme de radio avec Mike ne durera pas plus de 10 minutes. « C’est aujourd’hui un des seuls programmes qui soutient le mouvement des miss gorditas », déclare avec fierté Mike, à côté d’un sapin de Noël blanc artificiel aux guirlandes multicolores.

L’animatrice du programme radio Carmiña Massi, avant de devenir une star de la télé reality avait des problèmes de poids. « Il est vrai que j’ai souffert de problèmes de poids, raconte l’animatrice vedette, qui porte des lunettes de soleil et dont l’épaisse couche de fond de teint fige son sourire. Il y a plusieurs années, j’ai participé à un programme de télé reality où j’ai subi de nombreuses réflexions sur mon physique. Les téléspectateurs me disaient "toi la grosse ! Comment peux-tu te permettre de critiquer les autres ?" ». Même si Carmiña Massi pense que les miss gorditas ont leur carte à jouer dans le panorama télévisuel paraguayen, elle avoue qu’elle voit mal comment une gordita pourrait sortir de son « rôle de grosse » dans une émission. « Car la télé doit avant tout vendre une image » dit-elle en fumant une cigarette.  C’est en général la doxa de nombreuses personnalités de la télé au Paraguay qui cherchent à écarter les miss gorditas des plateaux télé : « Les enrobées ne peuvent pas danser dans un show. En plus, c’est connu, à la télé on apparaît toujours plus gros » a déclaré dans une émission César Vinader, un ex danseur membre du jury d’un programme de reality. 
Au Paraguay, 100 kilos de gloire contre la dictature de la minceur
Miss Sofia Larrosa - 21 ans - 124 kilos, est l’une des plus jeunes mannequins XXL de l’agence Mike Beras. Elle est arrive´e jusqu’a` la finale des Miss Gorditas en 2014. Certaines mauvaises langues disent que c’est principalement gra^ce a` son tour de poitrine. Elle pe`se pre`s de 130 kilos et pense que son obe´site´ se doit a` un facteur he´re´ditaire : « Dans toute ma famille il y a des gros ». Pour la ce´le`bre nutritionniste Ingrid Poka qui craint de donner sa doxa a` la presse de peur de cre´er une pole´mique qui alimentera les programmes people : «  l’obe´site´ au Paraguay se doit a` une gastronomie peu varie´e, riche en graisse et a` un manque d’e´ducation ».
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Dans l’agence des Miss Gorditas, qui de mieux que la Miss 2014 en titre pour répondre aux différentes polémiques. Cintia Colina, âgée de 34 ans et pesant 108 kilos sur la balance, porte sa couronne avec fierté et n’a pas la langue dans sa poche. Derrière son stand ambulant de lomito (sandwich de viandes, de jambons, de fromages et d’œuf), situé devant un théâtre dans un quartier mal famé où plusieurs groupes de jeunes se dissimulent dans la pénombre pour vendre de la poudre blanche, Cintia explique sa récente dispute : « La Miss Paraguay 2014 a traité une femme de grosse et de nègre. J’ai trouvé cela abject et je lui ai demandé de présenter des excuses publiques au nom du pays… mais en vain elle n’a toujours rien dit ».

Malgré les difficultés rencontrées pour financer son agence,  Mike Beras a de nombreux projets. « Nous allons réaliser un calendrier des Miss Gorditas en bikini pour l’été 2015 avec comme unique sponsor un magasin de vêtements XXL, raconte Mike en sirotant un dernier tereré. Mais je pense que l’on va quand même devoir faire quelques retouches sur Photoshop pour enlever la cellulite des mannequins » murmure Mike, assis  sur un banc juste avant d’enlacer sa petite amie, une gordita avocate de profession qui elle aussi rêve, peut-être, de devenir un jour une miss.
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MIss Gordita 2014 - Cintia Colina, 34 ans - 108 kilos, a du caracte`re et elle aime participer aux programmes people et rebondir sur chaque pole´mique. Re´cemment la Miss Paraguay 2014 a tenu des propos racistes et discriminatoires envers les femmes obe`ses. Cela a cre´e un ve´ritable scandale dans le monde entier. La presse indienne en a me^me fait ses gros titres. « Elle a dit d’une personne que c’e´tait une grosse ne`gre. Je me suis sentie offense´e et j’ai lors de nombreuses interviews demande´ a` ce qu’elle pre´sente des excuses publiques au nom du Paraguay… mais en vain elle ne l’a toujours pas fait ».
(©) Jean-Jérôme Destouches


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