Au pied des tours, les femmes revendiquent leurs droits

C’est une tradition de longue date à Africa 93. Chaque 8 mars pour la journée internationale des femmes, l’association installée au cœur de La Courneuve en banlieue parisienne réunit les femmes du quartier pour qu’ensemble elles parlent de leurs droits et dénoncent haut et fort ce qui ne va pas. Reportage.

Image
Au pied des tours, les femmes revendiquent leurs droits
Comme chaque 8 mars, des femmes de la cité des 4000 à La Courneuve se retrouvent pour discuter de leurs droits dans les locaux d'Africa 93.
Partager7 minutes de lecture
« Vous savez de quoi ils ont parlé sur France 2  dans l'émission de Sophie Davant ? D'une famille où l'on devient majorette de mère en fille ! Moi, j'aurais préféré voir une famille où l'on devient féministe de mère en fille. La transmission des luttes, c'est ça qui est vital ! »

Voilà comment, ferme et revendicative, toujours prompte à critiquer les médias, Mimouna Hadjam  a lancé la journée internationale des femmes 2013 dans la  cité des 4000,  l'une des plus sensibles de La Courneuve, celle que Nicolas Sarkozy avait promis de « karchériser » en 2005 après le décès d’un garçon dans une fusillade. Là, au milieu des barres en béton, plus de 22% des habitants sont au chômage et à peine 35% des foyers sont imposables (source insee).

Au pied des tours, les femmes revendiquent leurs droits
Mimouna Hadjam, porte-parole de l'association Africa 93.
Petit-déjeuner féministe !

Autour de Mimouna, quelques hommes et surtout une trentaine de femmes. Toutes immigrées. La plupart du Maghreb ou d'Afrique subsaharienne. Certaines sont là depuis des années avec des enfants proches de la vingtaine. D'autres, enceintes, viennent d'arriver il y a quelques mois en France. Elles se connaissent presque toutes.  Alors, le thé servi,  ça grignote et ça papote.  « Aujourd'hui, c'est un petit-déjeuner féministe !  annonce la militante. On va parler de nos droits. » 

Fille d'immigrés algériens, élevée dans la culture ouvrière du Nord de la France, nourrie d'idéaux communistes, Mimouna croit dur comme fer aux vertus de l'éducation populaire. A la tête de l’association Africa 93, implantée depuis 25 ans dans les 4000 logements, elle aide tous ceux qui se perdent dans le dédale administratif français et ont bien du mal à faire valoir leurs droits.

Une demande d'échelonnement de dettes, un coup de téléphone à Pôle-Emploi, un dossier de Droit au logement opposable ( « un vrai-casse tête ce Dalo », ronchonne-t-elle), une lettre au tribunal contre une menace d’expulsion… Epaulée par deux médiateurs sociaux, Mimouna débloque le maximum de situations en un minimum de temps. 900 personnes ont été suivies en 2012. Mais pas question de faire de l'assistanat pur et simple. A Afrique 93, on s'instruit et on se mobilise, aussi.

Au pied des tours, les femmes revendiquent leurs droits
Projection des grandes figures du féminisme à Africa 93.
Fini la causerie. On tire les rideaux, on éteint les lumières. Première diapositive sur le mur. Le dispositif est rudimentaire mais efficace. A chaque diapo, une figure du féminisme et les explications de Mimouna au micro.

Et voilà que défilent Olympe de Gouge, morte sur l'échafaud de la Révolution française après avoir publié La déclaration des Droits de la femme et de la citoyenne, Flora Tristan, qui « dix ans avant Karl Marx, précise Mimouna de sa voix énergique, prônait l'émancipation des femmes et de la classe ouvrière », Yvette Roudy, première ministre des Droits des femmes en France… L'assemblée semble écouter d'une oreille quelque peu passive. 

Mais dès qu'apparait Hassiba Boulmerka, athlète algérienne qui apporta la première médaille d'or olympique à son pays et refusa de se soumettre à la pression des islamistes, la salle se réveille dans un grand « ah » collectif.

Puis se succèdent Nawal el Saadawi, psychiatre  égyptienne qui dénonça dans son pays la pratique de l’excision, l’anthropologue française Françoise Héritier , « notre copine qui est venue nous voir plusieurs fois ici », rappelle Mimouna pas peu fière, ou encore Gisèle Halimi, cette avocate franco-tunisienne qui s'est battue pour l'avortement, « encore une copine », ne manque pas signaler une nouvelle fois Mimouna…

Sans oublier la noire américaine Angela Davis, militante communiste engagée dans le mouvement des droits civiques, proche des Black Panthers, l'idole de Mimouna, celle qui par ses ouvrages philosophiques et son parcours de vie l’initia au féminisme.

Retour de la lumière, retour du thé. Et voilà que le ton monte autour de la table.

-    Mais pourquoi tu te voiles, toi, maintenant ? interroge l'une d'entre-elles à une des plus jeunes. Ta mère ne s'est jamais voilée. Et toi tu le fais. T' as des pressions, c'est ça ?
-     Mais non, c'est mon choix, réplique la jeune femme recouverte d'un foulard fleuri. Je veux suivre le Coran. Je le mets depuis 5 ans maintenant.
-    Pourtant, tu l'enlèves pour travailler ! Il faut bien que tu l'enlèves, non ?
-    Oui ça je l'accepte mais dès que je peux je le mets.
-    Quand même, en Algérie, nos mères ne se voilaient pas et portaient des robes de paysannes très décolletés à manches courtes !

Une discorde des plus classiques entre celles qui ont vécu les lendemains euphoriques et émancipateurs des indépendances africaines et les plus jeunes élevées en France dans les années 80. Mimouna en a l’habitude et apaise rapidement les tensions. « Ca lui passera, c'est une question de parcours personnel… »

Bien entendu, Mimouna n’a jamais porté le voile. Mais, les intégristes religieux, elle les connaît. Il y a quelques années à La Courneuve, elle s'est faite agresser. « Ils ne me visaient pas personnellement, précise-t-elle. Ils refusaient qu' Africa 93 donne des cours de français aux femmes. Aujourd'hui encore, les animatrices ont des pressions ! »

Au pied des tours, les femmes revendiquent leurs droits
Pendant que les mères de famille discutent de leurs droits, les enfants s'amusent dans le coin garderie.
Cours de français : 200 places disponibles, 2200 personne en attente

Pour les primo-arrivantes, ces cours sont précieux. C'est en général le premier lieu de socialisation, là où elles découvrent un bout de la France. « Il y a quelques mois, je ne parlais pas du tout, confie Najat une Marocaine, qui d'Agadir est  directement arrivée à La Courneuve pour rejoindre son époux. Mais maintenant, avec les cours de français, je communique beaucoup, beaucoup. Il faut que je trouve du travail. Même du ménage. Ca m’est égal, du moment que je travaille. Vous savez, mon mari, il donne pas beaucoup. 50 euros pour le mois, c’est tout. »

Africa 93 souhaiterait recevoir plus de femmes en cours de langues. Mais les moyens manquent. « A La Courneuve, il y a 2200 personnes en attente de formation linguistique pour seulement 200 places disponibles, explique Mimouna. Nous, on n’a pu accepter que 15 personnes en plus. J’en ai parlé au maire et à la préfecture. Il faut qu’ils débloquent les crédits. »

Au pied des tours, les femmes revendiquent leurs droits
La féministe franco-égyptienne Sérénad Chafik, invitée à Africa 93.
Retour à la journée des femmes. Après le petit-déjeuner féministe, place au goûter révolutionnaire ! La militante Sérénad Chafik fait le point sur la situation en Egypte en, dénonçant les propositions de loi salafistes telles que l’abaissement de l’âge du mariage pour les filles ou encore, l’une des plus choquantes, la « fornication des adieux », tandis que Samia Allalou du Fonds pour les femmes en méditerranée raconte les dernières initiatives féministes en Algérie et Tunisie.

Logements-relais, un manque

Rapidement un dialogue s’engage avec la salle. « Vous, quelles seraient vos revendications pour le 8 mars ? », interroge Samia. Et voilà que les langues se délient et que les (graves) problèmes du quotidien ressurgissent. « Moi ce qui m’énerve c’est quand on s’étonne en France que les femmes battues restent avec leur mari ! Elles n’ont pas d’autre choix ! » s’insurge l’une des Courneuvoises. « Moi, je m’en suis sortie toute seule, réplique sa voisine. Un soir, ça hurlait tellement que les voisins ont appelé la police. Vous savez qui a dû quitter le logement ? Moi, pas mon mari, alors que son nom n’était même pas sur le bail. J’ai passé des heures au commissariat et, à 3h du matin, je me suis retrouvée toute seule dans la rue. Alors où je suis allée ? Chez moi. Heureusement, avec l’alcool, mon mari dormait à poings fermés. J’ai quand même pris un couteau de cuisine. S’il s’était réveillé, je serais morte.  »

A La Courneuve, quatre logements-relais ont été aménagés pour que les femmes puissent quitter leur conjoint violent. « Ils ont le mérite d’exister, reconnaît Mimouna. On s’est mobilisées pour les avoir. Mais ce n’est rien au regard des besoins surtout que les femmes sont censées y vivre un an mais dans les faits elles restent plus longtemps et le roulement ne se fait pas. »

Pour 2013, Africa 93 a inscrit un nouvel objectif à son agenda : faire reconnaître un statut autonome pour les femmes immigrées.  « Jusqu’à présent, celles qui bénéficient de la carte de séjour par le regroupement familial dépendent de leur mari. Si elles divorcent, ou si leur mari les répudient dans leurs pays, elles perdent le droit de résider en France. En raison d’accords bilatéraux, c’est le droit du pays d’origine qui prime. Ce qui fait qu’il y a des femmes en France qui subissent des codes de la famille rétrogrades ! »

L’association a déjà interpellé Najat Vallaud-Belkacem, la ministre des Droits des femmes, et compte sur l’appui de la communiste Marie-Georges Buffet, députée de la circonscription, pour monter au créneau. Une nouvelle bataille en perspective.

Au pied des tours, les femmes revendiquent leurs droits
A l'occasion du 8 mars, les femmes de La Courneuve ont aussi échangé avec leur député Marie-Georges Buffet.