Au procès de Jean-Pierre Bemba, le viol reconnu crime de guerre et contre l'humanité

En reconnaissant coupable de crimes contre l'humanité, le 21 mars 2016, le sénateur et ancien vice président de la République démocratique du Congo Jean-Pierre Bemba, la Cour pénale internationale de La Haye a implicitement admis que le viol utilisé comme arme de guerre relevait de cette accusation. Et le 21 juin elle l'a condamné à 18 ans de prison. 
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Jean Pierre Bemba coupable devant la CPI
Jean-Pierre Bemba le 21 mars 2016 devant la CPI alors qu'il vient d'être reconnu  coupable de crimes de guerre et contre l'humanité, en particulier pour avoir inciter ses milices à avoir user de viols systématiques lors d'opérations de représailles en Centrafrique.
AP Photo/Jerry Lampen, Pool
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Mise à jour le 21 juin 2016 : la CPI a condamné Jean Pierre Bemba à 18 ans de détention
La Cour pénale internationale a donc condamné l'ancien vice-président congolais Jean-Pierre Bemba à 18 années de prison pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité. Il devient ainsi la personnalité la plus haut placée à être condamnée par la CPI jusqu'à présent.
"La chambre condamne M. Jean-Pierre Bemba Gombo à une peine totale de 18 ans de prison", a déclaré la juge Sylvia Steiner en audience publique, considérant que l'ancien chef militaire avait échoué à exercer un contrôle effectif sur son armée privée envoyée en République centrafricaine en octobre 2002, où ses hommes ont violé, tué et pillé avec une "cruauté particulière".
Les avocats de la défense avaient annoncé dès la veille au soir leur intention de faire appel du verdict.

Retour sur l'avénement d'une jurisprudence internationale historique


Serait-ce une question de genre ?
L'interrogation posée comme cela semble abrupte et pourtant on ne peut s'empêcher de la poser : à la manoeuvre de cette évolution jurisprudentielle fondamentale, quatre femmes - une procureure générale et trois magistrates rigoureuses et compétentes.

"Au‑delà de tout doute raisonnable". La formule figure dans les premières lignes du communiqué de la Cour pénal internationale de La Haye. "Aujourd'hui, le 21 mars 2016, la Chambre de première instance III de la Cour pénale internationale (CPI) a déclaré à l'unanimité Jean‑Pierre Bemba Gombo coupable au‑delà de tout doute raisonnable de deux chefs de crimes contre l'humanité (meurtre et viol) et de trois chefs de crimes de guerre (meurtre, viol et pillage)."

Le jugement Bemba, un avertissement très fort à ceux qui incitent au viol de guerre
Géraldine Mattioli-Zeltner, HRW

"La chambre déclare Jean-Pierre Bemba coupable en tant que personne faisant effectivement fonction de chef militaire", a donc annoncé la juge brésilienne Sylvia Steiner, expliquant qu'il "agissait de fait en tant que commandant militaire et avait le contrôle effectif de ses troupes". Un jugement historique pour toutes les ONG qui se battent depuis des décennies comme Amnesty International ou Human Rights Watch afin que les crimes sexuels ne soient pas oubliés de la justice pénale internationale.
"Le jugement Bemba, un avertissement très fort à ceux qui incitent au viol de guerre" tweete ainsi quelques heures après l'annonce de culpabilité, Géraldine Mattioli-Zeltner, avocate internationale et juriste de HWR. 

"La décision de déclarer coupable de crimes de guerre et contre l'humanité un ancien vice-président de la République démocratique du Congo est tout à la fois une victoire pour les victimes de violences sexuelles et un avertissement sévère aux commandants qui ferme leurs yeux quand leurs troupes violent ou commettent d'autres atrocités. Ce premier verdict coupable à la CPI pour violences sexuelles met en lumière l’utilisation du viol comme arme de guerre." écrit-elle sans son analyse.
 

Une bonne nouvelle

A Amnesty International, on renchérit, en classant l'information dans la catégorie "bonne nouvelle" : "C'est la première fois que la CPI condamne quelqu'un pour le viol utilisé comme arme de guerre, et la première fois qu'elle prononce une condamnation fondée sur le principe de la responsabilité du commandant."
"Le jugement est un message clair que l'impunité pour des violences sexuelles en tant qu'outil de guerre ne sera pas tolérée", a affirmé Samira Daoud, directrice régionale adjointe pour l'Afrique occidentale et centrale de l'organisation internationale de défense des droits humains.

La comédienne Angelina Jolie, également ambassadrice du Haut-Commissariat de l'ONU pour les réfugiés (UNHCR) et baronne du Royaume Uni a, elle aussi, salué cette annonce judiciaire : "C'est la première fois qu'un cas porté devant la Cour pénale internationale aboutit à la responsabilité d'un 'commandant' pour les actes commis par ses troupes, même s'ils ne les a pas ordonnés. C'est aussi la première fois que la CPI qualifie des cas de violences sexuelles et de viols de crimes de guerre et crimes contre l'humanité."

Une affaire de femmes

"Je crois que c'est un jour très important pour la justice pénale internationale surtout en ce qui concerne les crimes sexuels", a commenté Fatou Bensouda. La procureure générale de la Cour pénale internationale (CPI) a ajouté elle aussi que ce jour était "historique".
 

Fatou Bensouda
Fatou Bensouda, en 2013, dans son rôle de procureure générale de la Cour pénale interationale
AP Photo/Peter Dejong, Pool, File


Et on ne peur s'empêcher de penser que cette avancée de la justice pénale internationale n'est pas totalement étrangère au fait que l'accusation de la Cour de La Haye soit menée depuis quatre ans par une femme remarquable, gambienne et avocate internationale, Madame Fatou  Bensouda.

A relire, le portrait de Fatou Bensouda dans Terriennes

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Jean-Pierre Bamba a certainement joué de malchance en se trouvant face à cette juriste cinquantenaire qui voulait "changer l'image de la justice internationale" et qui avait pris son mandat en annonçant qu'elle serait "la procureure de tous les Etats membres d’une manière indépendante et impartiale". Agé de 53 ans, l'ancien homme d'affaires congolais (RDC), vêtu d'un costume sombre et d'une cravate lie-de-vin, semblait tendu en écoutant le prononcé du jugement.

Responsable donc coupable

Toujours sénateur (élu en 2007), malgré sa détention aux Pays Bas, vice président de la République démocratique du Congo durant une période de transition en 2003, il avait plaidé non coupable lors de l'ouverture de son procès en novembre 2010, deux ans après son arrestation à Bruxelles, en vertu d'un mandat d'arrêt de la CPI. Il était accusé de trois crimes de guerre et de deux crimes contre l'humanité: meurtres, viols et pillages. Quelque 1500 hommes en armes de l'ancien chef rebelle, issus de "l'Armée de libération du Congo" dont il était le créateur et "commandant en chef", s'étaient rendus en Centrafrique en octobre 2002 pour soutenir le président Ange-Félix Patassé, victime d'une tentative de coup d'Etat menée par le général François Bozizé. Là, ils ont violé, pillé et tué, a assuré la juge, égrenant une longue liste de viols, souvent accompagnés d'autres violences, commis par les troupes de Jean-Pierre Bemba.
 

Troisième chambre de la CPI
La kenyane Joyce Aluoch, la brésilienne Sylvia Steiner et la japonaise Kuniko Ozaki, les trois magistrates de la 3ème chambre de la CPI qui ont changer la jurisprudence pénale internationale au procès de Jean-Pierre Bemba
Flickr - © ICC-CPI

Unanimité judiciaire

Le verdict de culpabilité a été rendu à l'unanimité des membres de la Chambre de première instance III, composée uniquement de magistrates : Mme la juge Sylvia Steiner (Brésil), juge présidente, de Mme la juge Joyce Aluoch (Kenya) et de Mme la juge Kuniko Ozaki (Japon).

La défense, comme l'accusation dispose de 30 jours pour faire appel de la déclaration de culpabilité, et les avocats de Jean-Pierre Bemba ont annoncé y réfléchir sérieusement parce que "il n'y avait aucune preuve d'un ordre venant de M. Bemba vers ses troupes en Centrafrique". Les juges ont estimé, elles, que par téléphone, radios ou téléphone satellite, Jean-Pierre Bemba était en "contact constant" avec ses troupes : "Il savait que les forces du MLC placées sous son autorité et son contrôle effectifs commettaient ou allaient commettre les crimes visés par les charges."

S'il n'y a pas appel, la sentence sera prononcée à une date ultérieure. Il risque jusqu'à 30 ans de détention ou la prison à perpétuité, si les juges estiment que l'"extrême gravité du crime" le justifie.