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Au Québec, Caroline Codsi se bat contre le cyberharcèlement

Face à la recrudescence des propos sexistes et de la violence verbale sur Internet, les femmes politiques du Québec agissent et réagissent. Caroline Codsi, fondatrice et présidente de "Gouvernance au féminin", appelle les gouvernements à légiférer et les géants du numérique à prendre leurs responsabilités. Entretien.

C'est devenu inquiétant : la vague de propos haineux, violents, dont plusieurs femmes dans la sphère de la politique font l'objet tous les jours sur les réseaux sociaux. Or depuis quelques semaines, au Québec, les dénonciations se multiplient et les victimes commencent à réagir en faisant appel à la justice. Elles dénoncent la cyberintimidation des élues, à commencer par celles qui briguent des postes de décisions. 

Fin novembre 2019, Christine Labrie, députée de Sherbrooke, a pris la parole à l'Assemblée nationale, pour dénoncer les insultes que reçoivent régulièrement les femmes élues de sa formation politique. Elle veut sensibiliser la population à ce type de harcèlement qui touche davantage les femmes.


Mi-décembre 2019, la ministre de la Culture et de la Communication, Nathalie Roy, faisait un signalement à la Sûreté du Québec, tandis que Christine Labrie, déposait plainte à la police pour menaces et harcèlement. De nombreuses femmes politiques font écho à leur ras-le-bol, soulignant l'urgence à mettre fin à la violence en ligne :

Entretien avec Caroline Codsi

Ce vendredi 20 décembre 2019, en direct dans le journal de TV5MONDE, c'est à Caroline Codsi de réagir aux insultes reçues par Christine Labrie et Nathalie Roy. "C’est malheureux que le Québec n’échappe pas à ce fléau mondial, car ces dérives un peu déplorables sont perçues un peu partout dans le monde," affirme la présidente de "Gouvernance au féminin", qui se félicite que la ministre et la députée aient toutes les deux porté plainte. "Pour que ceux qui se cachent derrière leur écran pour attaquer impunément, surtout des femmes et dans leur intégrité physique, cessent de proférer des menaces de mort ou de viol - des propos extrêmement violents."

La cyberviolence est la première raison qui fait que les femmes hésitent à s’engager en politique.
Caroline Codsi, présidente de "Gouvernance au féminin"

Ces attaques, selon Caroline Codsi, sont "la première raison qui dissuadent les femmes de s’engager en politique," d'où le déséquilibre des sexes dans les sphères décisionnelles, de pouvoir. "Dès qu'elles y vont, poursuit Caroline, elles doivent faire face aux tirs groupés d'un club de machos, à l’échelle internationale, qui ont encore du mal à accepter que des femmes parviennent à des postes de décision."

Elle-même, explique-t-elle, a eu l’occasion de rencontrer des femmes influentes en politique comme Marlène Shiappa en France, extrêmement attaquée, mais qui, voici quelques mois de cela, a fait condamner son agresseur à huit mois de prison. Elle parle aussi de Hillary Clinton, aux Etats-Unis, qui a subi d'innombrables attaques sur les réseaux sociaux , et qui pense que : "la meilleure façon de faire sortir la misogynie et le sexisme de la politique, c’est d’y faire entrer plus de femmes". Alors même qu'elle ont du mal à s’engager, souligne Caroline Codsi, car c'est un cercle vicieux.

La fondatrice de "Gouvernance au féminin" rappelle que certains hommes vont très loin, comme ce député polonais qui, voici quelques mois, expliquait les raisons pour lesquelles les femmes devraient être moins bien payées que les hommes - moins intelligentes, moins fortes... A l'époque, l'Espagnole Iratxe Garcia Pérez avait réagi avec vigueur à la tirade misogyne de Janusz Korwin-Mikke : 

Les démarches : un point décisif face à l'agression

Que faire en cas d'agression ? Caroline Codsi rappelle que toutes les femmes sont concernées, publiques ou anomynes, et qu’une fille sur 5 entre 12 à 15 ans dit avoir été attaquée sur les réseaux sociaux sur son apparence physique. Elle encourage les victimes à dénoncer leurs agresseurs sur Twitter, Facebook ou autres réseaux sociaux et appelle les géants du numérique à prendre leurs responsabilités et à réagir aux dénonciations.

Elle-même a fait l'objet de commentaires terribles sur Twitter. Elle les a dénoncés, mais sans conséquence aucune, car son agresseur a toujours son compte. Caroline Codsi exhorte les femmes à ne pas hésiter à appeler la police dans des cas extrêmes. Et puis la multiplication des interpellations et des arrestations aura immanquablement un effet dissuasif. 

Toutes les femmes

Une députée et une ministre qui dénoncent, qui appellent la police, c'est une chose, souligne Caroline Codsi, rappellant que "des actrices, des chanteuses, toutes sortes de femmes publiques qui sont attaquées." Elle se prend en exemple. Elle, à la tête d’un mouvement progressiste, qui oeuvre pour que les hommes et les femmes travaillent ensemble afin d’atteindre la parité, se voit enjoindre, sur les réseaux sociaux, de retourner à la cuisine... "Par quelqu'un qui n’a aucun accomplissement à son actif, mais qui se sent supérieur de par son genre simplement. C’est aberrant, en 2019, d’en être encore là." s'indigne-t-elle.

Une législation s'impose

"Il est très difficile de vivre avec le cyberharcèlement et la violence virtuelle," explique Caroline Codsi. Difficile de garder son sang-froid quand on ignore si ce sont des personnes qui sont instables mentalement qui vous agressent ou des gens qui souhaitent voir moins de femmes dans la sphère publique. La présidente de "Gouvernance au féminin" cite l'exemple d’une femme publique québécoise qui, en butte à des menaces à son encontre et des menaces de viol contre sa fille, une enfant, a décidé de supprimer tous ses comptes sur les réseaux sociaux. En Grande-Bretagne, 18  députées ont retiré leur candidature, alors qu'elles étaient élues, afin d’éviter le torrent d’insultes sur les réseaux sociaux.

Les attaques sur les réseaux sociaux sont un problème sérieux et il ne faut pas que l’égalité des genres recule à cause de cette situation, plus grave qu’elle ne paraît".

Caroline Codsi, présidente de "Gouvernance au féminin"

"Les attaques sur les réseaux sociaux sont un problème sérieux et il ne faut pas que l’égalité des genres recule à cause de cette situation, plus grave qu’elle paraît", affirme Caroline Codsi. A tous ceux qui sont convaincus que l'apport des femmes est indispensable à la croissance économique et au renforcement de nos sociétés, comme le montrent les études, Caroline Codsi demande d'aider à protéger les femmes et exige qu'elles disposent des outils nécessaires pour se défendre. "Les gouvernements doivent en prendre acte afin d’avoir de plus en plus de femmes dans les sphères décisionnelles, ce qui va se répercuter sur les jeunes filles en leur donnant à voir des modèles de femmes aux postes de décision. Au Québec, le Cercle des femmes parlementaires a pris le temps de parler à l’Assemblée nationale en ce sens pour exiger plus de moyens afin de lutter contre le cyberharcèlement.

Les géants du numérique, inactifs 

Si les géants du numérique ne prennent pas le problème du cyberharcèlement à bras le corps, "c'est qu'ils mettent trop l’emphase sur la manière de générer plus de revenus : mettre les bonnes publicités sous les yeux des internautes, piquer les données personnelles pour les revendre... Les gouvernements doivent imposer leurs règles." Beaucoup a déjà été fait, Caroline Codsi n'en disconvient pas, et le problème des attaques sur les réseaux sociaux est de plus en plus souvent abordé, mais, dit-elle "On ne va pas assez loin car sinon, on n’en serait pas à cette situation où des femmes sont en train de reculer face à la violence de la vie politique ou publique."

L'éducation, fondatrice des sociétés 

Revenant sur le mouvement des Chiliennes sur les réseaux sociaux, Caroline Codsi réitère sa conviction : "Un changement doit passer par l’éducation des garçons et des hommes. Il faut aussi mieux éduquer les jeunes filles, leur expliquer que leur rôle dans la vie, ce n’est pas d’être belles, de se taire, mais d’assumer un rôle actif dans la société à tous les niveaux, dans tous les secteurs". Dès leur plus jeune âge, les garçons devraient savoir qu'ils ont le droit d’être sensibles et d’être pères au foyer s’ils le souhaitent et qu’il est dans leur intérêt de s’entourer de personnes qui ne leur ressemblent pas.

Beaucoup de préjugés sont développés dès la plus tendre enfance.
Caroline Codsi, présidente de "Gouvernance au féminin"

Caroline Codsi en est convaincue : le changement passe par l’école et les fabricants de jouets. Elle remarque qu’à Noël, rares sont les magasins qui proposent des jouets unisexes. Même si Barbie décline aussi sa poupée en juge ou médecin, "trop peu de jouets disent aux filles qu’elles peuvent entrer en politique si c'est ce qu’elles choisissent de faire, déplore-t-elle, alors  que les garçons ont des livres et tout ce qui ressemble aux sphères de pouvoir."

Il est important d'agir sur l’éducation, à l’école, à la garderie et au sein de la famille, car "beaucoup de préjugés souligne Caroline Codsi, sont développés dès la plus jeune enfance. Les petites filles, dès l’âge de 5 ans, commencent à comprendre qu’il y a des choses qu’elles ne peuvent pas faire. Ce qui n’est pas inné, mais une impression dictée, ordonnée par la société." Dès le plus jeune âge, les filles devraient savoir que tout est possible pour elles et qu'elles doivent être reconnues comme des égales par les jeunes garçons.


Caroline Codsi, présidente et fondatrice de Gouvernance au Féminin

Caroline Codsi a fondé Gouvernance au féminin en 2010, organisme à but non lucratif avec pour mission d’encourager les femmes à développer leur leadership, faire avancer leur carrière et siéger dans des conseils d’administration.

Née à Beyrouth, Caroline n’avait que sept ans quand la guerre du Liban a éclaté et 22 ans quand elle s’est terminée. Citoyenne du monde, elle a vécu sur trois continents et a reçu de nombreux prix et reconnaissances dont, entre autres, celui des Mercuriades, du Réseau des Femmes d’affaires du Québec, du Trophée des Femmes arabes et de Premières en Affaires, pour ne nommer que ceux-là.

Elle a été hissée au rang des 100 femmes les plus influentes au Canada, des 75 Grands Immigrants au Canada et des 20 Personnalités de la Diversité du Québec. Le Comité National des Femmes des Nations unies lui a décerné un prix pour son travail en matière de promotion de l'égalité hommes-femmes et le Women Economic Forum de New Delhi, le Prix Leader of the Decade for Diversity & Inclusion. 

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