Au Québec, la “Charte des valeurs“ divise aussi les féministes
Le 10 septembre 2013, le gouvernement du Québec présentait son projet de Charte des valeurs québécoises, une sorte de cadre au sein de la société québécoise pour gérer les questions de laïcité de l’État ainsi que les balises pour encadrer les accommodements religieux. Depuis, le débat fait rage et il est en train de diviser le mouvement féministe québécois comme il ne l’a même jamais été… Les « accommodements raisonnables », ce vivre ensemble à la québécoise, inspirant pour beaucoup, semble relégué aux antiquités.
La Charte des valeurs, divise la société québécoise, provoquant des manifesations, d'autant plus après l'agression d'une femme voilée après plusieurs agressions de femmes voilées, dans des bus ou dans la rue, à Montréal en particulier - cliché AFP, Marc Braibant
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Le port du voile En fait, ce qui déchire les féministes, c’est la volonté d’interdire le voile ( hidjab, niqab ) à toutes les employées du secteur public et parapublic durant leurs heures de travail. Autrement dit, une éducatrice dans une crèche, une infirmière, une femme médecin dans un hôpital public ou une secrétaire dans une école devraient enlever son voile en rentrant au travail le matin et le remettre en partant le soir – si ce projet de Charte devient loi. La Fédération des femmes du Québec a pris position contre. La FFQ a avancé l’argument de la liberté individuelle des femmes pour justifier son appui au port du voile des employées de l’État. Elle dit craindre que des femmes ne perdent leur emploi si cette Charte est appliquée. Et pour se faire entendre, la FFQ a décidé de riposter au site gouvernemental, qui argumente pour les valeurs de la Charte par un contre-site laicitefeministe.com. Mais cette position ne satisfait pas d’autres féministes, qui ont l’intention de fonder un nouveau groupe : « Pour les droits des femmes » réunirait des femmes en faveur de la Charte, des femmes qui seraient même prêtes à militer pour l’interdiction du voile intégral pas juste aux employées de l’État sur leurs lieux de travail mais pour toutes les Québécoises, partout, même dans la rue. Bisbille entre le Conseil du statut de la Femme et le gouvernement En plus de ces divisions au sein du principal organisme représentant les femmes du Québec, une sorte de bras-de-fer entre le gouvernement du Parti Québécois et la présidente du Conseil de statut de la Femme a fait les manchettes de la presse québécoise. Julie Miville-Dechêne, une ex-journaliste de Radio-Canada, a accusé le gouvernement québécois de faire de l’ingérence parce qu’il vient de nommer au sein de cet organisme parapublic quatre nouveaux membres, des femmes soupçonnées d’être « pro-Charte ». Le gouvernement a réfuté ces accusations en précisant que ces femmes ont été nommées à ces postes uniquement pour leurs compétences professionnelles. Et il maintient ces nominations.
A écouter : qu'est-ce que la neutralité dans l'espace public ?
La Première ministre Pauline Marois a même pris soin de garantir à Julie Miville-Dechêne, nommée à ce poste par le gouvernement libéral précédent, qu’elle allait rester à son poste de présidente de CSF et qu’en aucun cas le gouvernement n’a voulu s’ingérer dans ses affaires. Précisons qu’il y a deux ans, le Conseil du statut de la Femme a rendu un avis en faveur de l’interdiction de signes religieux dans la fonction publique. Julie Miville-Dechêne n’en était pas encore la présidente. Elle prône maintenant une étude d’impact que cette Charte pourrait avoir sur ces femmes. Une initiative qu’appuie la Fédération des femmes du Québec. Deux visions Ces divisions illustrent l’affrontement entre deux visions : le féminisme individuel versus le féminisme collectif. Le nouveau groupe féministe qui est en train de voir le jour au Québec estime que la Fédération des femmes du Québec privilégie le droit de chaque femme de décider de ce qu’elle veut faire même si cela implique qu’elle se pose en position d’infériorité en portant un voile. Alexa Conradi, la présidente de la FFQ dit comprendre cette critique mais elle réplique : « S’il y a des femmes qui, malheureusement, choisissent malgré tout ce qu’on a mis en place pour elles sur les plans économique, social et légal, de continuer à vivre dans un contexte d’infériorisation, c’est dommage mais c’est leur droit ». Et elle ajoute : « Pourquoi avoir des droits collectifs si ça empêche les femmes de pouvoir vivre librement » ? Bonne question en effet… Les droits individuels doivent-ils primer sur les droits collectifs ? Les règles qui régissent une société peuvent-elles impliquer une restriction des libertés individuelles ? Où et comment fixer la limite ? Faut-il encourager les accommodements religieux ? Ici, on évalue que cette mesure sur l’interdiction de signes religieux ostentatoires ne concernerait que quelque 2% de la fonction publique québécoise. Tout ce bruit pour juste plusieurs milliers de personnes ? Quoiqu’il en soit, ce projet de Charte semble plus diviser que rassembler les Québécois. Division entre les féministes, entre les troupes souverainistes, et au sein de la population. Peut-être que le gouvernement va devoir retourner à la planche à dessin comme on dit et réviser notamment ces interdictions des ports de signes religieux ostentatoires aux employés de l’État. Une chose de sûre, le débat est vif et il est loin d’être fini
A écouter : le voile au Québec, recul ou épiphénomène ?