Au Québec, Mélanie Ghanimé, une humoriste qui décape et affiche son féminisme

Elle rêvait depuis toute petite de devenir humoriste. Elle vient de faire sa première « Place des Arts », salle prestigieuse de Montréal, avec son premier spectacle, baptisé « Brut(e) » - à juste titre - : Mélanie Ghanimé est une jeune humoriste québécoise qui n’a pas de filtre, qui ne veut pas en avoir et qui, surtout, revendique haut et fort son féminisme. Rencontre…
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Mélanie Ghanimé
La jeune humoriste québécoise Mélanie Ghanimé revendique haut et fort son féminisme
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Biculturelle et déterminée

Mélanie est née d’une mère québécoise et d’un père libanais : tout son parcours de vie est donc teinté de cette biculture. Après des études en communications, elle a commencé à travailler dans le domaine de la publicité sans être complètement convaincue que c’était là qu’elle allait s’épanouir. 

Un jour, son amoureux se tue dans un accident de voiture : ça a été le déclic : « Je me suis dit : non ce n’est pas possible, je dois faire ce que j’ai envie de faire dans la vie. J’ai lu un livre qui s’appelle "Qui a piqué mon fromage", un livre sur le changement, comment vivre le changement dans sa vie, etc. Et il y avait une phrase qui disait : si tu n’avais pas peur, qu’est-ce que tu ferais ?  Je me suis réveillée dans mon lit à 4 heures du matin et je me suis dit : si je n’avais pas peur, je partirais sur le chemin de Compostelle, et je deviendrais humoriste, mon rêve d’enfant. Je suis allée faire Compostelle, et après j’ai fait les auditions de l’école de l’humour à Montréal. J’avais 28, 29 ans, je suis sortie de là à 30 ans. Là, je vais avoir 40 ans, c’était mon premier spectacle hier ». 

Pendant 10 ans donc, Mélanie a appris son métier d’humoriste, les petites salles, des animations de soirées à droite à  gauche, des galas d’humour, et puis une émission de télévision avec d’autres humoristes qui lui a permis de s’accrocher et d’arriver enfin à ce premier « one woman show » qui va partir en tournée dans tout le Québec en 2019. 

Féministe à 100% et sans taboou

Dans ce spectacle décapant de 90 minutes, l’humoriste n’a ni filtre ni tabou : elle parle de sexualité, de sa crise existentielle de la quarantaine, ses séances chez une psy, la découverte de son premier poil pubien gris, sa séance d’épilation au laser, ses rencontres sur Tinder et ses amants de passage, ses séances de masturbation, de consommation de pornographie et de sa découverte de la porno féministe, etc… le tout avec des propos très crus et audacieux qui sont plus souvent qu’autrement très drôles. 

Je ne voulais pas me censurer. Je n’en avais pas envie, je suis un peu tannée de cette espèce de règle qui dit que les hommes ont le droit des choses, les femmes ne peuvent pas.
Mélanie Ghanimé

« Je ne voulais pas me censurer, explique Mélanie. Je n’en avais pas envie, je suis un peu tannée de cette espèce de règle qui dit que les hommes ont le droit des choses, les femmes ne peuvent pas, etc. En ce qui concerne la pornographie par exemple, j’ai fait des recherches et j’ai découvert qu’il existe une pornographie que l’on dit féministe parce qu’elle se fait dans le respect des femmes qui en font, alors j’ai voulu passer le message dans mon spectacle que oui, cette pornographie existe et que c’est mieux de regarder de la porno féministe que celle qui ne l’est pas ». 

Melanie Ghaminé spectacle affiche

Car féministe, la jeune femme l’est et le revendique à 100% : « Il faut savoir que moi, j’avais normalisé beaucoup dans mon éducation le principe de la dévalorisation parce que j’étais une fille. Cela ne fait pas longtemps que je suis revenue de ça, je me suis rendue compte que c’était ancré en moi et je me suis dit : oh mon Dieu c’est terrible parce que je fais partie du problème. Mais le mouvement #MeeToo #MoiAussi a été tout un réveil pour moi : c’est comme si je revoyais tous les moments où je n’avais rien dit dans ma vie. Par exemple, ces moments où je passais des entrevues pour un travail et où on me demandait : toi, tu fais les entrevues la porte ouverte ou la porte fermée ?... Alors quand j’ai vu toutes ces femmes parler, raconter, ça m’a tellement saisi, je me suis dit : oh my god, le nombre de fois où on ne dit rien, parce qu’on a peur de perdre sa job, parce qu’on ne veut pas déranger, parce qu’on se dit que c’est comme ça… C’est assez ! ».

L'humour, toujours un "boy's club" au Québec... et ailleurs

Pour Mélanie, le rayonnement de ce mouvement s’est fait partout et il a éveillé les consciences sur beaucoup de problématiques dans nos sociétés. « On la voit la différence maintenant » estime-t-elle. 

Le milieu de l’humour québécois a d’ailleurs été fortement ébranlé par ce mouvement  #MeToo #MoiAussi parce qu’un personnage central dans ce milieu, Gilbert Rozon, le fondateur du festival Juste pour Rire, a été accusé par des dizaines de femmes d’agressions et d’harcèlement sexuel. « Cette affaire Rozon a été une commotion dans le milieu humoristique québécois et c’est une bonne chose, affirme Mélanie. Car c’est encore un « boys club » l’humour, il y a encore beaucoup de travail à faire et des luttes à mener pour sortir de ce système ».

Elle donne l’exemple d’invitations qu’elle reçoit de festivals parce qu’elle est une fille, parce qu’il faut qu’il y ait au moins une fille dans le festival, et ça, ça la choque ! « Moi je veux qu’on vienne me chercher parce que je suis moi, Mélanie Ghanimé, pas parce que je suis une fille » conclut-elle. 

Ces questions, et d'autres, traversent son spectacle... 

Les défis d’être femme et humoriste

Il y a beaucoup d’humoristes au Québec – pas pour rien qu’il existe même une école de l’humour à Montréal, unique en son genre d’ailleurs – mais peu de femmes se lancent dans cette carrière car les défis y sont nombreux. 

« Dans mon cheminement personnel, dans mes prises de conscience, de ce que je me donne le droit de faire, de la valeur que je me donne, mon défi, c’est de passer par-dessus mes vulnérabilités pour m’assumer à 100% et me donner tous les droits, pour moi c’est ça mon défi. Chaque humoriste fait ce métier pour ses raisons, moi, mon cheval de bataille dans la vie, c’est me donner le droit d’être qui je suis. J’aime avoir l’humilité de le partager avec des gens, y compris mes échecs. J’ai un contact direct avec les gens en partageant avec eux ma quête de moi-même » déclare l’humoriste.
 
Mélanie Ghanimé ne croit pas qu’il existe un humour québécois ou un humour français, elle estime plutôt que l’humour est universel, même s’il existe toute sorte d’humour avec des références culturelles qui varient selon la société dans laquelle on vit. « Le rire, c’est souvent provoqué par des effets de surprise. Et pour moi, l’émotion c’est vraiment au centre de ma créativité, et l’émotion c’est universel. Quand on découvre son premier poil pubien gris, c’est universel ! » dit-elle dans un éclat de rire. Un état d'esprit qui irrigue son compte twitter... 

Je suis devenue bonne sur scène en humour quand j’ai arrêté de vouloir recevoir l’autorisation des gens pour faire ce que je faisais. Et ça a tout changé, tout !
Mélanie Ghanimé

Cette travailleuse acharnée veut maintenant améliorer son improvisation quand elle interagit avec son public. Elle adorerait aller jouer dans le reste de la Francophonie, ou participer au célèbre festival de l’humour à Marrakech. Mais avant, elle se donne l’objectif de se faire découvrir par le grand public québécois, qui ne la connait pas encore vraiment, en allant à sa rencontre lors de cette prochaine tournée. 

Elle fait partie de cette couvée de jeunes humoristes québécois qui n’ont peur de rien et qui n’ont pas leur langue dans leur poche. Il faut appeler un chat, un chat. Avec Mélanie, « What you see is what you get » comme on dit au Québec : elle a une belle authenticité sur scène et elle y est comme elle est dans la vie : entière, intense, et drôle. 

 « Je suis devenue bonne sur scène en humour quand j’ai arrêté de vouloir recevoir l’autorisation des gens pour faire ce que je faisais. Et ça a tout changé, tout ! Hier je ne suis pas montée sur scène pour prouver aux gens que je valais la peine. Je suis montée sur scène pour m’amuser d’abord et avant tout. Ce n’est pas la même chose ». C’est simple : on prend Mélanie Ghanimé comme elle est, ou on ne la prend pas !