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Le 1er avril 2020, Sophie Brochu est nommée présidente d’Hydro-Québec : elle devient la première femme à diriger cette société d’État qui gère et distribue l’électricité dans les foyers québécois, et qui emploie près de 20 000 employés – le Québec est une puissance mondiale dans le domaine hydro-électrique. Hydro-Québec vient par ailleurs de nommer deux femmes à des postes importants au sein du conseil d’administration de l’entreprise, également dirigé par une femme.
Du côté de la Caisse de dépôt et placement, une importante institution financière québécoise qui gère les caisses de retraite de millions de Québécois, on vient d’offrir à Kim Thomassin le poste de cheffe des placements au Québec – elle est la première femme à occuper ce poste au sein de l’institution - et à Helen Beck celui de cheffe des marchés boursiers. Toutes deux font aussi maintenant partie du comité de direction de l’entreprise, qui devient ainsi paritaire.
Enfin le Fondaction du puissant syndicat CSN, la Confédération des syndicats nationaux du Québec, a depuis décembre dernier une femme à sa tête : Geneviève Morin. Ce fonds d’investissement gère un actif de 2,4 milliards de dollars. Toutes sont des femmes de talent, pour s'être hissées à ces postes aussi prestigieux et imposées comme les meilleur.e.s candidat.e.s.
Le 21 avril 2020, Francis Vailles, chroniqueur du quotidien montréalais La Presse, a écrit un article dans lequel il qualifiait ces nominations de "petite révolution" : "On ne s’en rend pas compte, mais le monde des affaires québécois vit une petite révolution. Et non, ce n’est pas lié au coronavirus. Je parle de l’éclatement du fameux plafond de verre pour de nombreuses femmes, c’est-à-dire leur ascension aux plus hautes sphères de décisions des organisations, qui leur ont longtemps été fermées par discrimination", écrit le journaliste.
Réactions des principales intéressées dans une entrevue à la radio de Radio-Canada le 29 avril : "J’aime mieux parler de grande évolution que de petite révolution, a déclaré Sophie Brochu. Je suis contente de compter un conseil d’administration paritaire et c’est vrai qu’on en parle plus. Maintenant il faut qu’on ait des femmes à tous les niveaux et dans tous les secteurs de l’entreprise". Kim Thomassin de son côté, se réjouit de ces nominations : "Pour moi, c’est une bonne nouvelle, on en parle davantage, je ne sais pas si on peut parler de révolution mais c’est une bonne chose pour l’avenir". Quant à Geneviève Morin, elle prend soin de rappeler que "malheureusement, les statistiques ne montrent pas une si grande augmentation des femmes dans les postes de contrôle, mais il y a quand même des progrès".
Caroline Codsi, présidente de l’organisme "La gouvernance au Féminin", se félicite qu’Hydro-Québec et la Caisse de dépôt et placement du Québec montrent l’exemple avec ces nominations : "La Caisse s’est toujours bien positionnée en faveur de la parité, et je me réjouis de voir ces sociétés d’État nommer des femmes à des postes de direction. Il y a aussi Loto-Québec et la Société des Alcools du Québec qui ont plusieurs femmes dans des postes de direction importants."
Il y a encore beaucoup de progrès à faire pour parvenir à la parité dans le privé.
Caroline Codsi, présidente de "La gouvernance au Féminin"
Caroline Codsi et les trois dirigeantes le disent d’une seule voix : oui, on peut se réjouir de cette vague féminine de nominations, mais il ne faut pas baisser la garde car le combat est loin d’être gagné, surtout dans le secteur privé. "Il y a encore beaucoup de progrès à faire pour parvenir à la parité dans le privé, explique Sophie Brochu, la majorité des entreprises sont encore entre les mains d’hommes et ils ont encore beaucoup le réflexe de s’entourer de gens qui leur ressemblent. C’est pour ça qu’il faut continuer à bosser et ne pas baisser la garde. Quand on est en zone paritaire, il suffit qu’une femme quitte pour ne plus l’être."
"Encore un tiers des entreprises cotées en bourse au Canada n’ont pas une seule femme dans leur conseil d’administration, ce qui est quand même assez incroyable," se désole Caroline Codsi.
Sur la question des quotas ou d’un renforcement législatif pour imposer davantage de femmes dans les conseils d’administration ou les postes de direction, les trois femmes sont plutôt réticentes. "On peut y arriver sans y aller par des quotas, estime Kim Thomassin, je suis une éternelle optimiste". Geneviève Morin, elle, pense qu’il est surtout important de faire preuve de transparence, de montrer publiquement ses chiffres sur la présence de femmes dans les CA et qu’il ne faut pas avoir peur de se fixer des objectifs.
L’égalité salariale est fondamentale.
Sophie Brochu, présidente d’Hydro-Québec
Par contre, s’il y a bien une question sur laquelle les trois dirigeantes ne laissent aucune place à la négociation, c’est bien l’enjeu salarial : elles ont le même salaire que leurs prédécesseurs masculins. "L’égalité salariale est fondamentale pour moi, précise Sophie Brochu. Je ne me serais pas satisfaite d’avoir 80% du salaire du gars avant moi, et pour moi, il faut parler d’égalité salariale, pas de parité".
Taïwan, l’Allemagne, la Norvège, l’Islande, le Danemark, la Nouvelle-Zélande, autant de pays qui ont bien géré la crise du coronavirus et qui sont dirigés par des femmes : "On voit là l’apport de la diversité, dit Geneviève Morin, l’introduction de femmes dans le leadership, ça donne des atouts dans la gestion de crise comme celle que l’on vit actuellement". "C’est pour cela qu’il est important de promouvoir cette diversité", renchérit Sophie Brochu, en faisant remarquer que dans ces pays, les femmes sont davantage présentes dans les organisations et aux différents échelons de la société.
La diversité est un levier de performance qui apporte une richesse sur la gestion des risques, sur la gouvernance, sur l’engagement des employés.
Kim Thomassin, cheffe des placements à la Caisse de dépôt et placement
Kim Thomassin d'ajouter : "La diversité est un levier de performance qui apporte une richesse sur la gestion des risques, sur la gouvernance, sur l’engagement des employés d’une entreprise. Il faut aussi toujours être ouvert à une diversité d’idée et de culture, les entreprises qui ont ça vont sortir plus fortes et plus facilement que d’autres de cette crise."
Les trois dirigeantes sont persuadées que les femmes auront un rôle important à jouer dans la relance de l’économie au cours des prochaines semaines et des prochains mois. "Nous, les femmes, on échange beaucoup, on a des points de vue diversifiés et on a beaucoup d’écoute autour des tables de discussion. On cherche à travailler tous ensemble dans la même direction", déclare Kim Thomassin. Un avis que partage Geneviève Morin : "Le climat de travail est plus inclusif, pour faire travailler les gens en équipe. Il y a aussi une tendance à mettre les personnes en avant, à mobiliser en inspirant plutôt qu’en dirigeant, en étant autoritaire. Et dans la gestion et la perception des risques, car on ne perçoit pas les choses de la même façon".
Sophie Brochu de son côté estime que "tout ça, c’est une question de société, ce n’est pas une affaire de femmes, mais une affaire d’hommes et de femmes. On va jouer un rôle pour accroître la résilience de l’économie du Québec, on va contribuer au rebond économique, et se demander comment se projeter dans le futur pour être plus fort si survient une nouvelle crise".
Caroline Codsi parle de "complémentarité des talents entre les hommes et les femmes" mais elle craint pour sa part que cette crise sans précédent ne fasse resurgir des réflexes de frilosité chez certains : "Ils disent qu’ils ont d’autres chats à fouetter et mettent de côté les objectifs de parité au sein de leur entreprise ou leur organisation… on voit les vraies couleurs qui ressortent en temps de crise". La présidente de "La gouvernance au Féminin" revient sur cette célèbre citation de Simone de Beauvoir qui avertit qu’il suffit d’une crise politique économique ou sociale pour remettre en question les acquis gagnés par les femmes de haute lutte et qu’il faut donc, toujours, rester sur ses gardes…
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