Au Salvador, l’illustratrice Sonia Lazo n’a pas peur des poils

La jeune Salvadorienne est encore à la fac. Mais ses dessins ont déjà conquis de nombreux admirateurs, qui les ont découverts en ligne. Elle en est la première surprise ! Avec beaucoup de délicatesse, Sonia Lazo s’attaque à la pilosité féminine. Jusqu'ici un vrai tabou. 
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Les femmes dessinées par cette Salvadorienne ne s'excusent pas d'être qui elles sont.
©Sonia Lazo
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Cheveux verts (parfois roses) coupés au carré, des lunettes gigantesques et des robes colorées. Sonia Lanzo est une artiste. A 24 ans, elle explore des moyens d’expression différents avec des crayons, des aquarelles… « Mon style est imparfait et plein d’émotions », affirme-t-elle. 
 
Imparfait car elle se soucie très peu de la finition des traits. En revanche, son message est « clair » et percutant. « Putain, je m’habille comme je veux », lit-on en lettres pastel une pancarte qui accompagne le dessin de trois jeunes femmes en colère habillées... comme elles veulent. 

Celle aux cheveux violets a mis un pantalon également violet et un haut transparent qui laisse voir son soutien-gorge, sa copine aux cheveux bleus a choisi une jupe. Le troisième personnage a opté pour un mini short. Comble des combles, elle ne s’est pas rasée. L’insolente pilosité de ses jambes très blanches est rehaussée de gris. 

« Dessiner des poils est presque un acte de rébellion »

Les poils que l’on veut souvent cacher, raser et éliminer au laser sont une composante importante des dessins faussement naïfs de la jeune femme : « Dessiner des poils est presque un acte de rébellion. Un jour, j’ai commencé à me demander pourquoi je devais me raser alors que ces poils font partie de notre biologie. Je me suis donc mise à lire, à faire des recherches. Je me suis rendue compte que les grands fabricants de rasoirs y sont pour beaucoup. Quand j’étais adolescente, j’étais tellement complexée par les poils de mes bras que j’allais jusqu’à les raser. Nous grandissons avec l’idée que c’est un passage obligé pour être perçues comme de belles femmes. A mon avis, ça ne devrait pas être si important que ça. Ce qui est important c’est d’apprendre à s’accepter comme on est ».
 
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Sonia Lazo dessine une femme "libre" qui a mis au placard toute injonction esthétique.
©Sonia Lazo
L’illustratrice salvadorienne s’inscrit (involontairement) dans un mouvement qui émerge depuis quelques années en réponse à l’esthétique imposée non seulement aux aisselles, aux jambes ou encore aux bras, mais aussi aux parties les plus intimes qui se sont radicalement dégarnies. 
 
Il y a deux ans, on a vu des femmes se colorer les poils des aisselles. A l’origine de ce mouvement, des Américaines voulant « se libérer ». Si des Françaises avaient participé à ce mouvement, elles ont aujourd’hui le leur. Avec le mot clé #LesPrincessesOntDesPoils, des adolescentes crient haut et fort leur indépendance vis-à-vis d'une certaine idée de la beauté féminine.

Aussi surprenant que cela puisse paraître, un petit secteur de la pornographie met de nouveau à l’honneur l’érotisme du poil. Surprenant surtout car on connaît l’impact de cette industrie sur les diktats épilatoires. 

Nikki Silver est la reine auto-proclamée de ce porno féministe et poilu. Les protagonistes de ses films et de ses photos sont des femmes « normales » qui ont banni toute visite chez l’esthéticienne. 
 
En évacuant la notion féministe, les géants du porno gratuit en ligne ont créé également des catégories « poilues » souvent assimilées à des femmes « mûres », selon le langage de l’industrie. L’impact de ce type de vidéos sur les ventes de rasoirs reste à confirmer.
Dessiner des femmes à l’aise avec leur corps
Dans le domaine artistique, une autre illustratrice et photographe, Ayqa Khan, dessine un univers où les femmes peuvent avoir des poils aux bras. Cette Américaine d’origine pakistanaise s’est posée les mêmes questions que Sonia Lazo.
 
Interviewée par Buzzfeed, elle a déclaré qu’ « elle avait toujours entendu de la bouche de sa famille  et de ses proches que la pilosité corporelle n’était pas naturelle ou pas féminine ». Elle a grandi avec ce complexe. Ce n’est que récemment qu’elle a exorcisé ce mal-être en dessinant des femmes « à l’aise avec leurs corps ».
 
« C’est important pour moi de normaliser les poils, car c’est naturel, et les enlever relève purement d’une construction sociale », déclare-t-elle sur ce média en ligne américain. La jeune dessinatrice a reçu des centaines de messages de remerciement et d’encouragement sur le Tumblr (blog) où elle poste ses dessins.
 
Ces messages sont souvent écrits par des latinas vivant aux Etats-Unis ou des Américaines d’origine latino dont la pilosité n’est pas toujours en accord avec les canons de beauté blonds et glabres. 
 
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Américaine d'origine pakistanaise, l'illustratrice Ayqa Khan ne se retrouvait pas dans les canons de beauté qu'on voulait lui imposer. Et elle en souffrait.
© Ayqa Khan
C’est déjà beaucoup. Dans un pays aussi conservateur comme le sien, le pari de Sonia était loin d’être gagné. D’autant que « les femmes qui ne s’épilent pas représentent une toute petite minorité », raconte la dessinatrice. Le Salvador est loin d’être une exception. La beauté est une obsession latino-américaine. Avec les Etats-Unis, le Brésil est le champion de la chirurgie esthétique. La Colombie et l’Argentine battent aussi des records en la matière. L’épilation définitive fait partie des soins proposés par les centres spécialisés. Tout « salon de beauté » digne de ce nom propose de l’épilation à la cire et d’autres techniques importées des quatre coins du monde. 
 
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"Je dessine des femmes esthétiquement imparfaites", s'amuse Sonia Lazo.
© Sonia Lazo

Les poils, signes distinctifs d’aristocratie

Difficile d’imaginer qu’il y a quelques siècles, pendant la conquête espagnole, les femmes de la haute société exhibaient fièrement les poils de leurs bras. Car avoir des poils voulait dire qu’elles étaient les dignes descendantes des conquistadores. Les femmes plus glabres avaient du sang indien. Elles étaient donc « inférieures ». Le duvet était particulièrement important pour celles nées dans le nouveau monde : les Créoles. Ces poils étaient la preuve concrète de leurs liens avec la caste supérieure, voire la royauté. 
 
Aujourd’hui, pas question de revendiquer une quelconque supériorité, mais d’afficher ses convictions. Sur ce terrain, Sonia Lazo se sent un peu seule. Mais elle ne désespère pas et « fait confiance à celles qui ne font pas de l’épilation une obsession ».


 

Je n’ai pas peur de me dire féministe.
Sonia Lazo, illustratrice.

Parler de ses dessins transgressifs est aussi l’occasion de faire un point sur les mouvements féministes de son pays. « Ces groupes peuvent être mal vus à cause des préjugés et de l’ignorance. Mais les choses vont changer peu à peu. Moi-même je n’ai pas peur de me dire féministe. C’est illogique d’avoir peur de ce mot. Pour chasser toute peur, il suffit d’être témoin de toutes les inégalités que subissent les femmes de mon pays.  C’est rageant, indignant. Aujourd’hui, ce sont les plus jeunes qui sont aux avant-postes, qui prennent conscience de ces problèmes et qui proposent des solutions. Pour ma part, je dessine une femme libre qui n’a pas peur de ses émotions. Ce n’est pas pour autant qu’elle est moins forte ou moins compétente que les hommes. »

 

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Si les poils sont aujourd'hui en quelque sorte sa marque de fabrique, la dessinatrice salvadorienne s'attaque aussi à d'autres tabous comme les règles. 
© Sonia Lazo