Lesly Ramirez. C'est le nom de cette jeune Salvadorienne de 23 ans qui vient d'être condamnée à 50 ans de prison, pour homicide avec circonstances aggravantes. Son crime ? Avoir accouché, dans les latrines de sa maison, d'une fillette, qui n'a survécu que quelques heures.
#ElSalvador condenó a 50 años de prisión a una joven que a sus 19 años enfrentó una emergencia obstétrica.
— Agrupación Ciudadana #ManuelaJusticiaYEsperanza (@AbortoPORlaVIDA) July 4, 2022
Condenamos este fallo y reiteramos: seguiremos luchando para q' ninguna mujer que enfrente emergencias de salud durante el embarazo sea condenadahttps://t.co/OHlkA5xuaP pic.twitter.com/yyOsX6IKtk
[Nous condamnons cette décision et nous réitérons : nous continuerons à nous battre pour qu'aucune femme confrontée à des urgences sanitaires pendant sa grossesse ne soit condamnée]
Le verdict, prononcé le 29 juin 2022, n'est basé que sur "de purs et simples préjugés de genre", dénonce l'Acdatee, une organisation féministe, dans un communiqué annonçant qu'elle fera appel du jugement pour obtenir la libération de la jeune femme.
L'un des arguments avancés par le tribunal est que la jeune femme a manqué à son devoir de mère d'être "la source de protection de ses enfants en toutes circonstances de la vie", rapporte l'organisation.
Al igual que en Manuela vs ES, en el caso de Lesli primó una presunción de culpabilidad que aplicó estereotipos de género vinculados a que la mujer debe sobreponerse a cualquier tipo de convalecencia extrema con base en un "instinto materno" que solo prima en "buenas madres"
— Carmen Cecilia Martínez (@CarmenCeciliaML) July 5, 2022
[Comme dans Manuela vs ES, dans le cas de Lesli, prévalait une présomption de culpabilité qui appliquait des stéréotypes de genre liés au fait que les femmes doivent surmonter tout type de convalescence extrême basée sur un "instinct maternel" qui ne prévaut que chez les "bonnes mères". ]
"Lesly", jeune paysanne pauvre, comme tant d'autres
La jeune mère, identifiée sous le prénom de Lesly, fait partie d'une famille nombreuse d'agriculteurs pauvres vivant dans une maison sans eau ni électricité.
Lesly
Dans la nuit du 18 juin, Lesli Ramirez se plaint de maux de ventre. À l’aube, sa famille la trouve inanimée aux côtés du fœtus. Selon la presse locale, ses proches préviennent la police au lieu d’appeler l’hôpital, où elle sera tout de même admise en urgence, transfusée à plusieurs reprises, avant d’être finalement arrêtée. "J'ai senti que quelque chose sortait (de mon corps), il faisait noir et je n'ai pas vu ce que j'expulsais", a expliqué Lesly. La fillette, née vivante après 37 à 40 semaines de gestation, selon le parquet, n'a survécu que quelques heures.
"On n'est pas d'accord avec le sens de l'homicide aggravé car normalement ces femmes traversent des situations dans lesquelles survient une perte de connaissance, elles ont de l'anémie, ce sont des éléments que le parquet ne prend pas en compte au moment où une femme est en train d'accoucher et en post-partum", réagit Abigail Cortez, du collectif féministe et citoyen pour la dépénalisation de l'avortement, interrogée par le site d'informations elsalvador.com.
El Salvador: Lesly Ramírez, la joven condenada a 50 años de prisión por perder una bebé en una emergencia obstétrica - https://t.co/8omT6ud3oZ pic.twitter.com/n2kuDCLKRj
— Mayatv.hn (@mayatvhn) July 5, 2022
[Lesly Ramírez, la jeune femme condamnée à 50 ans de prison pour avoir perdu un bébé en urgence obstétricale]
"Homicide avec circonstances aggravantes"
Le Salvador, petit pays chrétien de 6 millions d’habitants possède l'une des lois les plus restrictives au monde en matière d'avortement. Depuis 1998, le code pénal interdit l'IVG, même en cas de viol ou de danger pour la mère, et prévoit des peines pouvant aller jusqu'à huit ans de prison. Mais les procureurs et les juges peuvent requalifier les cas d'avortements, même involontaires, en "homicide avec circonstances aggravantes", cette fois passible d'une peine allant jusqu'à 50 ans de prison. En février 1999, cette interdiction totale a été inscrite dans la Constitution, qui stipule reconnaître comme "personne humaine tout être humain depuis l’instant de sa conception".
Morena Herrera, présidente du Collectif féministe Acdatee
"J’ai mal au cœur, parce que nous avons tenté de fermer la page de la triste histoire du Salvador qui condamne injustement les femmes pauvres pour des urgences obstétriques, mais l’Etat salvadorien, une fois de plus, s’acharne sur les femmes qui n’ont pas eu le droit ni les conditions pour se défendre ", regrette Morena Herrera, présidente du Collectif citoyen.
C'est "la première fois dans l'histoire que la peine maximale est prononcée depuis que l'on pénalise de manière totale l'avortement", selon l'Acdatee.
Depuis 2009, 65 femmes, pour la plupart de condition modeste, ont été libérées après avoir été condamnées pour des fausses couches ou des urgences obstétriques grâce au soutien de l'Acdatee ou d'autres organisations féministes, mais une dizaine restent emprisonnées. Quatre femmes sont emprisonnées et cinq autres ont été inculpées au Salvador dans des affaires similaires.
Au Salvador, l'interdiction totale de l'avortement, une loi répressive d'un autre âge, détruit la vie de femmes et de jeunes filles car elle les pousse à avoir recours à des avortements clandestins et risqués ou les force à mener à terme des grossesses dangereuses, déclare Amnesty International.
Son rapport publié en 2014, À deux doigts de la mort: la violence contre les femmes et l'interdiction de l'avortement au Salvador, démontre que du fait de cette loi restrictive des centaines de femmes et de jeunes filles meurent parce qu'elles ont eu recours à des avortements clandestins. De plus, cette pratique étant érigée en crime, les femmes suspectées d'avoir avorté risquent de lourdes peines de prison.
"Le monde ne peut pas rester les bras croisés pendant que des femmes et des jeunes filles souffrent et meurent au Salvador", concluait le rapporteur de l'organisation de défense des droits humains.
#LibertadParaLesly
Le collectif féministe salvadorien a lancé une campagne sur les réseaux sociaux pour soutenir Lesli et réclamer sa libération, avec le mot dièse #LibertadParaLesly.#LibertadParaLesly| Por años las mujeres que enfrentan emergencias obstétricas han sido perseguidas y criminalizadas.
— Agrupación Ciudadana #ManuelaJusticiaYEsperanza (@AbortoPORlaVIDA) July 5, 2022
Lo hicieron con Evelyn, María Teresa y @Las17ElSalvador. Ahora Lesly también se enfrenta a este sistema injusto. #LibertadParaLesly pic.twitter.com/ne9WyqPlOE
Certaines femmes ont ainsi passé plus d'une dizaine d’années derrière les barreaux, comme Teodora Vasquez (condamnée à 30 ans de réclusion, ndlr) libérée en février 2018, après onze ans d’emprisonnement ou encore Cinthia Rodriguez, Alba Lorena Rodriguez et Maria Orellana, trois Salvadoriennes libérées en mars 2019, après avoir passé dix ans en prison, à la suite de fausses couches. En août 2019, Evelyn Hernandez, jeune femme de 21 ans, condamnée une première fois à 30 ans de prison, avait finalement été acquittée lors d'un second procès après avoir passé 33 mois derrière les barreaux.
►Salvador : Evelyn Hernandez, condamnée pour une fausse couche, définitivement acquittée
►Salvador : libération de Cindy Erazo après 5 ans de détention pour une fausse couche
►Salvador : Imelda Cortez jugée pour "tentative d'avortement" a été acquittée
►Salvador : une femme libérée après 11 ans de prison pour une fausse couche
►Prix Simone de Beauvoir 2019 : la Salvadorienne Sara Garcia Gross récompensée pour son combat en faveur du droit à l'avortement