Séparée de sa famille à deux reprises, Patricia Gomis devient la bonne à tout faire pendant trois ans d'un "oncle" qui vit en France. Après s’être échappée, elle revient au Sénégal poursuivre sa vie, se reconstruire et marcher résolument vers l'émancipation. C’est par le théâtre qu’elle trouve un exutoire, la tribune idéale pour dénoncer et sensibiliser aussi les autres. Rencontre.
Son histoire pourrait s'appeler, en clin d'oeil à Jean-Paul Sartre "Les chemins de la liberté". Optimisme et énergie émanent de Patricia Gomis dès qu’on la rencontre. Quand cette femme, « la quarantaine », née à Dakar, raconte son histoire, ses réalisations et ses projets, on mesure la route parcourue et sa volonté de s’en sortir, de tracer sa voie envers et contre toute tradition.
Alors qu'elle a seulement 7 ans, une tante demande à sa mère, veuve de puis deux ans, de prendre Patricia pour fille. « Ma mère a accepté et je suis allée vivre avec cette tante qui est devenue ma maman. » Elle reste avec elle jusqu’à ses 13 ans. Pendant que sa tante travaille hors de la maison comme lingère, Patricia, elle, va à l’école et tient la maison : « En Afrique, les petites filles ont pas mal de charge dans les maisons. Certaines tâches sont souvent données aux filles plutôt qu’aux garçons comme les corvées d’eau, le linge, la vaisselle, la cuisine, etc... »
Atteinte d'une maladie grave, l’adolescence est récupérée par sa mère. Mais pas pour longtemps. « Elle a décidé de m’envoyer dans son pays d’origine, en Guinée Bissau car elle avait appris qu’on pouvait soigner là-bas la maladie que j’avais. » Dans ce pays lusophone, Patricia interrompt sa scolarité jusqu’à 15 ans, âge auquel elle retourne au Sénégal, chez sa mère. Temporairement. Elle prend des cours de couture dans un centre de formation. Puis deux ans plus tard, sa mère reçoit un coup de téléphone. Un homme qu’elle appelle « oncle » cherche une personne pour travailler chez lui, en France. « Il lui a dit qu’il voulait l’aider en prenant un de ses enfants en charge. Ma mère a accepté de lui en donner un. C'était moi. » Elle, parmi ses six frères et soeurs.
Sans papier
Même si Patricia n’a plus envie de quitter son pays, sa famille y voit l’opportunité d’une réussite : « Tout le monde était très heureux que j’aille en France, là où il y a tout, où j’avais plus de chance de réussir qu’ici. Et finalement, ils m’ont convaincue. Donc à 17 ans et demi, je suis embarquée en France dans cette famille que je ne connaissais pas du tout. »
Arrivée en France, près du Havre, chez cet « oncle », elle est prévenue d’emblée qu’il va falloir patienter pour obtenir des papiers avant de penser aux études. « Il m’avait faite venir en France pour que je m’occupe de sa famille parce qu’il n’avait pas les moyens de se payer une bonne. Alors je m’occupais des enfants, je les emmenais à l’école, je faisais la cuisine… » Au bout d’un moment, Patricia prend pleinement conscience de sa situation : « J’étais sans papier, je ne savais pas quand est-ce que j’allais retourner chez moi. Et mon oncle me disait qu’il fallait que je reste tranquille sinon je risquais de me faire arrêter par la police. »
Servir
Pendant trois ans et demi, elle est « restée là à servir ». « Voyant que ma situation n’était pas arrangée, j’ai quitté la maison. Je suis partie à Paris avec un numéro de téléphone de quelqu’un que je connaissais à Dakar. » Une fois dans la capitale, elle ne parvient pas à rencontrer ce contact. Elle erre. Finalement, elle parvient à retrouver l’un de ses frères qui vit alors à Lyon. « Il a pu mettre de l’argent de côté pendant 6 mois pour me payer un billet d’avion. Je suis revenue à Dakar à 21 ans. »
Echec
Difficile retour au pays. « Quand quelqu’un part en France ou en Europe, on porte l’espoir de la famille. Me voir revenir au Sénégal, c’était comme un échec pour eux. J’ai eu du mal à rétablir un lien avec ma mère car elle était un peu déçue que je sois rentrée sans métier, sans diplôme, sans rien. » Sa volonté va, une nouvelle fois, la guider. Elle adore la photographie mais aucune formation existe alors à Dakar. Sa route croise celle d’un comédien qui lui confie un petit rôle dans son projet. C’est là qu’elle découvre le métier et se prend de passion pour la scène. Rapidement, elle rencontre Marcia de Castro, comédienne brésilienne et épouse du directeur du centre culturel français de Dakar. Elle crée une école de théâtre qu’intègre Patricia Gomis. « J’ai travaillé avec elle pendant deux ans puis elle m’a proposé une bourse pour faire une école de théâtre à Paris dans le 10ème arrondissement pendant un an. » Sa vie s’écrira désormais sur scène.
De retour au Sénégal, Patricia Gomis crée, à son tour, une compagnie de théâtre jeune public, puis en 2011, elle décide d’écrire pour elle, et finalement pour les autres aussi. Elle monte avec Marcia de Castro son spectacle Moi, monsieur, moi dans lequel elle se raconte à 7 ans, à ses 13 ans et son départ en Guinée, puis à 17 ans quand elle quitte Dakar pour la France.
Une poupée de chiffon
Sur scène, elle joue avec une poupée de chiffon. Pour elle, ce n’est pas le jouet qu’elle a été, malmenée par les adultes. Cette poupée avec qui elle partage les planches, représente davantage sa conscience « Elle me représente moi petite. Je lui fais raconter les choses que je ne pouvais pas dire : "non je ne veux pas partir en France ", "je ne veux pas aller vivre avec ma tante, je veux rester avec toi maman".»
Une manière d’exorciser les séparations, sa vie de bonne en France. « C’était pour moi comme une sorte de thérapie de revenir sur mon parcours, mon enfance, sur ce que j’ai vécu ici, en Guinée Bissau et en France. Finalement pour tourner la page, pour avancer, il fallait que je sorte tout ça, que je le raconte. »
Dans Moi, monsieur, moi, elle relate le parcours d’une jeune fille née au Sénégal, donnée plusieurs fois. Au travers des personnages interprétés, Patricia Gomis a voulu « régler des comptes avec toutes ces personnes chez qui j’ai vécu ». Elle raconte aussi la vie des femmes qu’elle a rencontrées : « ma tante lingère, une fille de mon quartier qui a été excisée et une autre copine mariée à l’âge de 10 ans. »
La comédienne voit aussi son spectacle comme un moyen de sensibilisation : « Je me suis dit qu’en racontant cette histoire, je pouvais peut être donner l’occasion à plein de filles et de garçons qui sont envoyés en Europe, qui sont séquestrés dans des maisons où ils travaillent comme des esclaves, de se rendre compte de leur situation. »
Partager
Elle se produit à Saint-Louis et Zinginchor au Sénégal, au Burkina Faso, en Belgique, à Paris et au Bénin. En 2015, elle poursuivra sa tournée en Afrique centrale et de l’Ouest. Une traduction en anglais ou un surtitrage est en préparation pour qu’elle puisse se produire en Afrique de l’Est.
Forte de cette réussite, Patricia Gomis a décidé d’en faire profiter les autres. Grâce à l'association
Djarama, ils ont : créé une école maternelle dans son village qui accueille notamment des enfants orphelins, ouvert une bibliothèque et bientôt un centre informatique. « Dans mon village Toubab Dialaw, on a mis en place un pôle culturel qui forme tous les enfants au théâtre mais surtout les enfants des rues. » Le prochain projet de taille qui va voir le jour, c’est le théâtre. Sa grande fierté
Espoir
Cette femme, investie dans son village de la brousse, incarne aussi le dynamisme sénégalais de générations qui ont envie de changer leur pays toujours pétri de traditions. « Ici, les femmes jouent un rôle très important. Certaines suivent aujourd’hui de longues études alors qu’il y a quelques années, elles arrêtaient plus tôt pour aider les parents à la maison ou parce qu’elles étaient données en mariage. Désormais, beaucoup de femmes ont compris que pour se développer, pour se réaliser dans la vie, il ne suffit pas seulement de trouver un mari qui peut tout prendre en charge. Il s’agit d’être quelqu’un, d’avoir un rôle à jouer dans la société. »
Patricia Gomis en est l’exemple, actrice de ce changement. Indépendante. « Quand je parle avec des jeunes de ma génération, leur but n’est pas de s’expatrier en Europe mais de réussir à faire avancer les choses ici. Ils sont conscients que tout est à faire. Et ça, ça me rassure car cela signifie qu’il y a de l’espoir. »
Sur le même thème