Voilà un an, le 25 juin 2013, la sénatrice texane Wendy Davis tentait par une manoeuvre désespérée (un discours d'obstruction légale de 13 h non stop, appelé “filibuster“) d'empêcher la régression annoncée du droit à l'avortement au Texas, Etat américain dirigé par des ultra conservateurs. Mais le répit ainsi obtenu aura été de courte durée. Les centres qui pratiquaient les interruptions volontaires de grossesse, un droit constitutionnel depuis 1973, ferment les uns après les autres, sous la pression d'exigences de mises aux normes sanitaires rédhibitoires. Des Texanes (et quelques Texans), toutes catégories sociales confondues, organisent la riposte. Un combat qui concerne désormais tout le pays.
A Harlingen, grande ville tout au Sud du Texas, les “Reproductive Services“, où l'on pratiquait des IVG, ont tous été fermés.
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Derrière les chiffres des fermetures de centres IVG, il y a ceux, de plus en plus élevés, des vies de femmes qu'ils affectent. De l’immigrée sans-papier à la trentenaire blanche et bien insérée, les disparitions de centres IVG ne font pas de discrimination au Texas.
En prononçant un discours fleuve contre les nouvelles restrictions au droit à l’avortement, le 25 juin 2013, la sénatrice texane Wendy Davis avait remporté une victoire dans la longue bataille que les Américaines doivent livrer pour conserver le droit de disposer de leurs corps, un droit pourtant garanti par la Constitution depuis 1973. Mais ce succès spectaculaire aura été de courte durée. Il a suffi que le gouverneur du Texas convoque une nouvelle session extraordinaire pour que le Parlement texan puisse procéder au vote de la loi, quelques semaines plus tard. Et même si des associations la contestent en justice, elle a commencé à produire ses effets et les "centres IVG" ferment les uns après les autres. De quarante l’été dernier dans cet Etat de 26 millions et demi d’habitants aussi étendu que l’Allemagne, leur nombre est passé à 28 au printemps 2014 et pourrait tomber à six à l’automne, selon le dernier décompte établi par le Texas Tribune, laissant des pans entiers de l’Etat sans lieu pour avorter, voire dépourvus de tout centre de planification familiale.
Lester Minto, gynécologue de Harlingen, a dû renoncer, malgré toute sa bonne volonté, à aider les femmes à avorter
Dans l’impossibilité d’investir trois à quatre millions de dollars dans la mise aux standards de la chirurgie ambulatoire du centre IVG de la basse vallée du Rio Grande où il exerçait, Lester Minto a ainsi dû se résigner, à la fin du mois de février dernier, à fermer les Reproductive Services d’Harlingen. Faute de bénéficier de « privilèges d’admission » dans un hôpital voisin pour parer à une éventuelle urgence grave, le médecin texan ne pouvait déjà plus y pratiquer d’IVG depuis l’automne. Le privilège d'admission est le droit d'un médecin, en vertu de son statut de membre soignant d'un hôpital, d'admettre un patient dans un hôpital ou un centre médical afin d'y délivrer un diagnostic ou un traitement. Mains nombre de cliniques n'ont pas réussi à obtenir ce "privilège d'admission" pour leurs praticiens.
Mais comme ses homologues de Whole Woman’s Health, de l’autre côté de cette communauté frontalière d’un million et demi d’habitants, il continuait d’y recevoir les femmes ayant réussi à déclencher l’avortement en se procurant des médicaments au marché noir ou bien en consommant les herbes abortives connues de la communauté d’origine mexicaine.
Le jour de la fermeture de ce centre servant un comté frontalier pauvre à 35 %, le médecin texan a reçu le coup de fil d’un orphelinat. « On m’a exposé le cas d’une fillette de douze ans qui avait été violée au moins cinq fois en immigrant clandestinement aux Etats-Unis et était enceinte. Pour l’instant, elle est sans-papier, donc elle ne peut pas passer les barrages douaniers au sein du pays pour se rendre à San Antonio. Et le temps qu’elle régule sa situation, elle ne pourra plus avorter. Elle est coincée. »
Texane d'adoption, Marni Evans a dû aller avorter dans la région de Seattle dont elle est originaire
Le centre IVG opéré par Whole Woman Health à McAllen, près d’Harlingen, a en effet fermé peu après celui de Lester Minto pour les mêmes raisons. Sur son site, les raisons de la fermeture sont accompagnées de "remerciements sincères pour tous les soutiens apportés à l'équipe" et "d'assurances que tout sera mis en oeuvre pour rester présent au Texas". La basse vallée Rio Grande est maintenant dépourvue de tout lieu pratiquant des avortements accessible aux plus pauvres, tout comme l’Est et le Nord du Texas, ainsi que d’autres régions du Sud où des législations similaires ont été adoptées sous l’influence de lobbies « pro-vie ».
La riposte s’organise
Mais même dans les grandes villes, les fermetures de centre IVG compliquent l’exercice du droit à l’avortement. Quand la règle sur les privilèges d’admission est finalement entrée en vigueur, au premier novembre dernier, en dépit des contestations juridiques, la consultante en construction écologique Marni Evans a ainsi décidé d’aller avorter dans la région de Seattle dont elle est originaire. « Rien que le centre IVG où je devais avorter à Austin [la capitale du Texas] a été contraint d’annuler une centaine de rendez-vous, explique la trentenaire, qui craignait de porter un enfant autiste et s’est depuis séparée de son conjoint. Je n’avais déjà pas pu avoir recours à la méthode médicamenteuse, du fait de restrictions légales, je voulais m’assurer que je ne subirais pas de nouveau délai. »
Révoltée par le blocage du centre IVG où elle avait décidé d’avorter, Marni Evans a aussi souhaité témoigner. Son histoire a été largement relayée par les médias américains et racontée dans les tribunaux.
Brittany Yelverton de Planned Parenthood of Greater Texas (l’équivalent du Planning familial dans l’Etat), fer de lance de la riposte pour le droit à l'avortement au Texas.
A l’image de cette Texane d’adoption, un nombre croissant de militants rejoignent ce combat des féministes. « Nous étendons notre réseau partout dans l’État, de la vallée du Rio Grande à la région de Beaumont », aux confins de la Louisiane, également touchée par la fermeture d’un centre IVG témoigne ainsi Brittany Yelverton de Planned Parenthood of Greater Texas (l’équivalent du Planning familial dans l’Etat). L’association vient, par ailleurs, de se doter d’un fonds d’action politique afin de peser dans les prochaines élections.
Rendue internationalement célèbre par son discours de treize heures contre les restrictions au droit à l’avortement, Wendy Davis est en effet candidate au poste de gouverneur et les femmes sont nombreuses à ses côtés. Planned Parenthood ne donnera pas de consignes de vote, mais cherche à favoriser la participation pour que les lois texanes reflètent mieux les convictions de ceux, et surtout celles en l'occurence, à qui elles s’appliquent. Au moment du vote de la dernière loi sur l’avortement, un sondage de l’université du Texas pour le Texas Tribune a montré que seuls 38 % des Texans souhaitaient des règles plus strictes pour encadrer l’IVG, alors que 47 % y sont opposés, contre, tandis que 14 % restent indécis.