Au Venezuela, la légalisation de l'avortement n'est "pas une priorité" du gouvernement

Le Venezuela est loin de surfer sur la "marée verte" des mouvements pro-avortement qui a déferlé en Amérique latine ces dernières années. Au contraire, l'IVG y est illégal et seulement les plus fortunés y ont accès clandestinement.

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manif ivg venezuela

"Éducation sexuelle pour décider, contraceptifs pour éviter l'avortement", peut-on lire sur la pancarte de cette manifestante dans le cadre de la Journée mondiale d'action pour l'accès à l'avortement légal, sûr et gratuit, devant le Parlement à Caracas, au Venezuela, le 28 septembre 2021.

©AP Photo/Ariana Cubillos
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Maria a bu un breuvage fait de graines d'avocat et de plantes médicinales afin de tenter d'interrompre sa grossesse. Mais cela n'a pas fonctionné. A 26 ans et déjà mère de cinq enfants, elle vit dans une extrême pauvreté, chez une amie, dans un bidonville de la capitale Caracas. 

Perdre sa vie à accoucher

"On perd sa vie à accoucher", déplore la jeune femme qui souhaite garder l'anonymat dans un pays catholique et conservateur, qui punit l'avortement d'une peine d'emprisonnement pouvant aller jusqu'à six ans. 

La loi prévoit cependant des peines réduites s'il s'agit de protéger "l'honneur" de la femme et de sa famille, et tolère les interruptions de grossesse – contrairement à des pays comme le Salvador, le Honduras ou le Nicaragua – s'il est question de "sauver la vie" de la mère.

"Je ne voulais plus d'enfants, j'ai été engrossée trop vite par des garçons", se plaint Maria. Ses deux plus jeunes filles, de trois ans et dix mois, vivent avec elle, les trois autres, des jumelles de neuf ans et une fillette de cinq ans, chez sa mère et sa grand-mère. 

Avec les pilules, les médecins s'en rendent compte... et ici on ne peut pas faire ça, car il nous mettent en prison. 
Maria

La jeune femme explique avoir tenté d'avorter lors de sa troisième grossesse. "J'ai essayé de le faire sortir, j'ai pris des graines d'avocat, des remèdes maison, mais il n'est jamais sorti", témoigne-t-elle. Avec les breuvages de plantes, "il paraît que le bébé sort et qu'il n'y a aucun résidu", poursuit-elle, disant avoir reçu la recette d'une amie pour qui cela a marché. "Avec les pilules, il reste des choses... et les médecins s'en rendent compte... et ici on ne peut pas faire ça, car il nous mettent en prison", assure la jeune femme.

Une question remise aux calendes grecques

Le Venezuela ne publie pas de chiffres sur les avortements, mais une chose est sûre : le pays de près de 30 millions d'habitants est loin de rejoindre la "marée verte" des mouvements pro-avortement en l'Amérique latine ces dernières années. Les interruptions de grossesse sont possibles en Argentine, en Colombie, à Cuba, au Mexique et en Uruguay, mais la question n'a jamais été, en vingt-quatre ans de chavisme, une priorité au Venezuela. 

Ce n'est pas une priorité, les femmes qui meurent en se faisant avorter. 
Belmar Franceschi

Le Parlement, à majorité progouvernementale, a annoncé en 2021 qu'il légiférerait sur la question mais, depuis, il n'y a eu aucune avancée. "Ce n'est pas une priorité, les femmes qui meurent en se faisant avorter" de manière clandestine, déplore Belmar Franceschi, directrice de l'ONG Plafam, qui fournit des conseils en matière de sexualité et de reproduction. 

carte ivg 2022 monde

9 mois fermes

En 2020, une enseignante a été arrêtée et emprisonnée pendant neuf mois pour avoir aidé une adolescente de 13 ans à avorter après un viol. En mai, la police a démantelé un prétendu "gang dédié à la promotion de l'avortement illégal", qui était en réalité un collectif féministe accompagnant des femmes souhaitant avorter. Les manifestations en faveur de l'avortement se multiplient pourtant dans le pays.
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En réaction, les manifestations contre l'avortement se multiplient aussi, à l'instar d'une marche promue par des mouvements évangéliques qui a récemment rassemblé des centaines de personnes à Caracas.

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Clandestinité trop chère

Les hôpitaux publics ne pratiquent pas d'avortements, contrairement aux centres privés où une interruption de grossesse clandestine peut coûter jusqu'à 1000 dollars. 

Zarina, une musicienne de 35 ans, a découvert qu'elle était enceinte alors qu'elle prenait la pilule. Elle a pu mettre un terme à sa grossesse moyennant le paiement de 500 dollars. "Je me suis senti sauvée", se souvient la jeune femme qui souhaite également rester anonyme afin de ne pas "aller en prison".

Quel que soit votre âge, on vous soupçonnera toujours d'avoir avorté. 
Ketsy Medina

"Quel que soit votre âge, on vous soupçonnera toujours d'avoir avorté", note pour sa part Ketsy Medina, 40 ans, qui a perdu un foetus à la neuvième semaine d'une gestation désirée.

Près de la moitié des grossesses dans le monde ne sont pas désirées et 60% d'entre elles se terminent par un avortement, selon les Nations unies. 

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