Aung San Suu Kyi, la sanglante déception

L'ex-dissidente de Birmanie devenue lauréate du prix Nobel de la paix en 1991 était un symbole de la démocratie triomphante. Mais Aung San Suu Kyi, par son silence assourdissant, a continué de  couvrir les exactions commises par l’armée birmane sur les Rohingyas, cette minorité apatride de religion musulmane. Le 1er février 2021, l'armée birmane a mené un coup d'Etat, et mis aux arrêts la dirigeante. 
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Aung affiche
©AP Photo/Peter Dejong
Aung San Suu Kyi a été mise aux arrêts lors d'un coup d'état militaire le 1er février 2021. La dirigeante birmane avait été auditionnée par la Cour internationale de justice à La Haye, aux Pays-Bas, en décembre 2019, sur les crimes commis par la Birmanie contre la communauté des Rohingyas.
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Aung San Suu Kyi
(AP Photo/Aung Shine Oo)
Aung San Suu Kyi, le 14 décembre 2018 au Myanmar . 
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La dernière actualité en Birmanie : Aung San Suu Kyi arrêtée

Un coup d'Etat a été perpétré par l'armée en Birmanie, lundi 1er février 2021, et l'état d'urgence a été proclamé pour un an. La cheffe du gouvernement civil, Aung San Suu Kyi, a été arrêtée et des généraux ont été placés aux principaux postes du pouvoir. 

Le parti d'Aung San Suu Kyi, très critiquée par la communauté internationale pour sa gestion de la crise des musulmans rohingyas (des centaines de milliers d'entre eux ont fui en 2017 les exactions de l'armée et se sont réfugiés au Bangladesh, voisin) mais toujours adulée par une majorité de la population, avait remporté une victoire écrasante en novembre. Il s'agissait des deuxièmes élections générales depuis 2011, année de la dissolution de la junte.​

Un mythe s'effondre

Fin 2018, l'une des plus grandes organisations de défense des droits humains de Corée du Sud a décidé de la déchoir du prix Gwangju des droits de l'Homme, un prix qui lui avait été remis en 2004, alors qu'elle avait été placée en résidence surveillée par la junte miliaire. Son "indifférence face aux atrocités commises contre les Rohingyas est contraire aux valeurs défendues par ce prix, la protection et la promotion des droits de l'Homme", a déclaré à l'AFP Cho Jin-tae, porte-parole de la Fondation du mémorial du 18 mai. 

Nous sommes consternés de constater que vous ne représentez plus un symbole d’espoir
Kumi Naidoo, Amnesty International

Aung San Suu Kyi
  Aung San Suu Kyi  au Myanmar le mercredi 21 novembre 2018.
(AP Photo/Aung Shine Oo)

Même mutisme observé quelques semaines plus tôt quand elle a reçu cette autre lettre, en date du 12 novembre 2018. 
Kumi Naidoo, secrétaire général de Amnesty International, lui écrit :
" En tant qu’ambassadrice de conscience d’Amnesty International, nous espérions que vous utiliseriez votre autorité morale pour dénoncer l’injustice partout où vous la verriez, même en Birmanie. Nous sommes consternés de constater que vous ne représentez plus un symbole d’espoir, de courage et de défense indéfectible des droits de l’homme. Nous vous retirons donc ce prix avec une profonde tristesse." Le prix d' "ambassadrice de conscience " lui avait été attribué en 2009.
Selon Amnesty International, la dirigeante birmane a " trahi les valeurs qu’elle défendait autrefois ".
Et la disgrâce n'en finit pas.
Evoquons aussi la décision d'Anne Hidalgo, maire de Paris, qui à retiré à Aung San Suu Kyi la citoyenneté d'honneur de la ville. Sanction identique dans les villes d’Oxford, Glasgow et Edimbourg.  Sans oublier le prix Elie Wiesel jadis reçu du musée de l’Holocauste, à Washington.

Une position faite de silences et de compromissions

Comme le temps a passé ! Celle qui témoignait d'une voix vibrante, qui promettait de défendre les droits de la minorité persécutée, de « s’opposer fermement aux préjugés et à l’intolérance » n'est plus.

A retrouver dans Terriennes, Aung San Suu Kyi au temps de sa gloire :
En Birmanie, le 8 mars des émules de Aung San Suu Kyi

Dans un pays bouddhiste à 90 %, ultra nationaliste, les musulmans sont perçus comme une menace.  Dit simplement : l’Islam mettrait en péril le bouddhisme.

Aung San Suu Kyi
 Aung San Suu Kyi, prononce un discours lors du forum consultatif sur la réconciliation nationale et la paix au Myanmar au Myanmar International Convention Center à Naypyidaw, au Myanmar, le mercredi 21 novembre 2018.
(Photo AP / Aung Shine Oo)


Avant cet exode forçé, on estime qu'un million de Rohingyas vivaient en Birmanie  dans l’État de l’Arakan, dans l’ouest du pays. Mais les Birmans considèrent les Rohingyas comme des Bangladais. La Birmanie leur refuse donc la citoyenneté. Chacun d'eux est un apatride et, comme tel, privé de droit et sans représentation officielle. Aussi, la position de Aung San Suu Kyi sur leur cas, faite de silences et de compromissions, est majoritairement bien perçue dans son pays, elle qui est la fille du général Aung San, père de l'indépendance de la Birmanie.
Le 25 août 2017, quand est déclenchée la répression brutale menée par l'armée birmane et qui entraina un exode massif de plus de 700 000 membres de cette minorité musulmane, (où, rappelons-le,  60% d'entre eux sont des enfants),  ce fut le silence radio de sa part.

Rohingya
Un volontaire de l'UNICEF enseigne aux enfants Rohingya dans une école de fortune située dans une tente du camp de réfugiés de Balukhali, au Bangladesh, le dimanche 14 janvier 2018.  (Photo AP / Manish Swarup)
(Photo AP / Manish Swarup)

Certes, Aung San Suu Kyi ne dirige ni les policiers ni les militaires responsables de ces atrocités et ces soldats n'obéissent qu'au chef de l'armée. Rappelons aussi que  l'armée contrôle les ministères de la Défense, de l’Intérieur et des frontières.
Mais jamais "la dame de Rangoun" ne s’est opposée publiquement à la politique répressive contre la minorité rohingya. Viols, atrocités, maisons brûlées, exil contraint de ces hommes, femmes et enfants obligés de se réfugier au Bangladesh, non, tous ces événements ne semblent guère avoir troublé sa digestion.

Rohingias
Les Musulmans Rohingya assis sur un radeau en plastique contenant des conteneurs en plastique sur lesquels ils ont traversé pour se rendre au Bangladesh en attendant l'autorisation de continuer, près de Shah Porir Dwip (Bangladesh), le vendredi 10 novembre 2017.
(Photo AP / A.M. Ahad)

Un niveau de brutalité difficilement concevable

Mieux : l’ancienne dissidente a accusé le Programme alimentaire mondial (PAM) d’aider les combattants en distribuant des rations de survie aux réfugiés rohingyas. Avec le président turc Recep Tayyip Erdogan, lors d'un échange téléphonique à propos des violences commises, elle préfère dénoncer  "un iceberg de désinformation" malgré les quelques  10 000  Rohingyas tués depuis le début des exactions.







Quand le Conseil des droits de l’homme de l’ONU a présenté un rapport accablant dénonçant un "génocide", quand Marzuki Darusman, le président de la mission d’enquête a qualifié  le  "niveau de brutalité" de l’armée de "difficilement concevable" et qu'il a appellé à des poursuites devant la justice internationale contre des généraux birmans, cette fois, Aung San Suu Kyi ne s'est pas tue.
Elle est enfin apparue en public.
Pour parler poésie et littérature.