Aurélie Jean, "en tant que femmes codeuses, nous avons un rôle à jouer"

Docteur en mécanique numérique aux Etats-Unis, la Française Aurélie Jean met un point d'honneur à casser les préjugés sur ces métiers encore très masculins. Elle insiste pour montrer que ce type de profession est accessible à chacune. Nous l'avons rencontrée dans le cadre de la "Journée de la femme digitale" à Paris, le 10 mars 2016. Entretien. 
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aurélie jean
Aurélie Jean, chercheuse au MIT, évoque la place des femmes dans le milieu des masculin du code. 
©L.Baron TV5MONDE
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Pouvez-vous nous expliquer votre métier ? 

Je suis docteur en mécanique numérique de formation. Après ma thèse, en 2009, je suis partie aux Etats-Unis. Et depuis 2011, je suis chercheuse en biomécanique numérique au Massachusetts Institute of Technology  (MIT) de Boston.

Mon métier consiste à développer des modèles mathématiques que j'implémente dans des codes de calcul pour simuler la déformation des tissus humains et en particulier le coeur pour essayer de comprendre la rigidité des tissus après un infarctus et comment regénérer les tissus. Et je m'intéresse aussi au cerveau, pour comprendre comment le tissus du cerveau se déforme sous un impact, lorsque quelqu'un a un choc à la tête. Comprendre comment ces déformations endommagent le tissus et génèrent ce qu'on appelle des traumatismes crâniens. 

J'applique en fait ma formation de base en mécanique numérique à la médecine. Je suis donc une codeuse parce que je code au quotidien. 

Quel a été votre parcours de formation pour exercer ce métier ? 

J'ai commencé  par un DEUG (Bac+2, ndlr) de Physique-Maths à l'université, et là j'ai eu le déclic grâce à ma professeure de physique. Elle m'a donné envie de faire des sciences. Je suis ensuite partie faire ma maîtrise à l'Ecole normale supérieure (ENS) en mécanique, puis à l'école supérieure des Mines de Paris j'ai fait ma thèse en science des matériaux et en mécanique numérique. C'est là que j'ai voulu repartir aux Etats-Unis. Depuis que je suis là-bas, je ne fais que du biomédical. 

J'ai voulu faire de la mécanique parce que je trouvais qu'il n'y avait pas assez de filles.


Qu'est-ce qui vous a attiré dans ce domaine qui a priori est très masculin ? 

J'ai toujours fonctionné par rébellion. Quand j'étais en physique-maths en DEUG, j'ai voulu faire de la mécanique parce que je trouvais qu'il n'y avait pas assez de filles en mécanique et j'aimais bien ça. Je me suis dit que j'allais pouvoir changer les choses... On est assez naïf quand on est jeune. 
La thèse, c'est pareil. J'ai voulu faire de la programmation parce que ça m'a toujours attirée, et je ne trouvais aussi par normal qu'il n'y ait pas beaucoup de femmes dans ce domaine. 

Et les hommes sont-ils toujours plus nombreux ou les choses changent-elles ? 

Ça ne va pas assez vite. C'est pour ça que je pense qu'en tant que femmes codeuses nous avons un rôle à jouer. Nous avons même un devoir. On se doit de montrer l'exemple, expliquer aux gens ce qu'est une codeuse. 
Je pense que c'est un combat au quotidien. Et d'ailleurs beaucoup d'hommes soutiennent aussi les femmes mais des préjugés perdurent.

Un invité dans notre équipe a pensé que j'étais la secrétaire parce que j'y suis la seule femme

Récemment encore un invité était venu dans notre équipe où je suis en ce moment la seule femme. La personne a pensé que j'étais la secrétaire parce que justement je suis une femme. Autre exemple, quand on assume sa féminité ce n'est pas forcément bien perçu. C'est considéré comme du temps en moins que l'on passe à travailler. Mais c'est faux ! Il y a donc encore des choses à faire, ça avance mais pas assez vite pour moi. 

Les femmes ont aussi peur de ce milieu parce qu'elles ne le connaissent pas. Quand on parle code et informatique, les gens pensent Mark Zuckerberg (patron de Facebook, ndlr) mais c'est dommage car c'est aussi autre chose. 

C'est pour cela que vous vous impliquez auprès des jeunes filles pour les sensibiliser au code ? 

J'ai fait une interview pour PBS, une chaîne nationale américaine pour une émission dans laquelle des étudiants partent chaque année à travers le pays sur une thématique particulière. Cette année c'était le code, la programmation informatique. J'ai pu en tant que "modèle" sensibiliser deux jeunes filles à mon métier. J'ai aussi récemment faire une conférence vidéo avec des adolescentes d'un collège au Kansas au travers d'une association qui les sensibilise aux sciences.  

Aux Etats-Unis, les filles m'ont dit qu'elles arrêtaient les sciences au lycée parce que ...ça ne plaît pas aux garçons. Pour sortir de ce genre de préjugés, il est vraiment important de faire connaître davantage de modèles féminins. Des femmes inspirantes qui montrent qu'elles sont épanouies dans le code et qu'elles peuvent avoir une vie de couple. 

En quoi aux Etats-Unis le monde du numérique est-il différent avec les femmes ?

J'ai peu travailler en France, mais j'ai l'impression qu'aux Etats-Unis il y a un dynamisme fort pour soutenir les femmes en entreprises. L'année dernière, il y a eu beaucoup d'efforts de fait sur les congés maternité, Google a proposé aux femmes de congeler leurs ovocites, ... Ce genre de choses représentent des révolutions sociétales.

Il y a aussi une différence du rapport des femmes entre elles. Aux Etats-Unis, elles ont compris depuis longtemps qu'elles doivent s'entraider pour être plus fortes. Il y a énormément de mentor de femmes, d'entraide. 

Nous cherchons encore notre place dans un système établit avec métriques masculines.


Un peu comme font les hommes ? 

Tout à fait. A notre décharge, cela fait encore très peu de temps, au regard de l'histoire, que les femmes travaillent. Je pense que nous cherchons encore notre place dans ce système qui n'est pas fait pour elles au départ, mais établi avec métriques masculines. Je crois qu'il y a une différence hommes/femmes par culture. Mais les choses vont évoluer parce que les femmes vont être pro-actives, s'aider entre elles et représenter des modèles. 

Quels sont encore les points faibles des femmes en entreprise en général ? 

On n'a pas encore complètement confiance en nous.  Par exemple, quand on me donne une nouvelle tâche, la première chose que je me dis c'est "je ne sais pas le faire, mais je vais apprendre". Je me sens obligée de dire que je ne connais pas. Mes collègues masculins, eux, vont dire immédiatement "je vais le faire", même si, comme moi, ils ne le savent pas tout de suite. 
Il faut apprendre à changer nos comportements pour gagner en confiance. Mais je pense aussi que les entrepreneures ne sont pas encore assez soutenues. Il y a donc un effort à faire de la part des hommes comme des femmes.