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Georges de Peyrebrune contribua à plusieurs revues féminines et publia un grand nombre de romans qui connurent un succès populaire. Elle fit partie du premier jury du prix Fémina en 1905. Elle mourut dans la pauvreté et l'oubli en 1917. Octave Mirbeau s'est inspiré de son roman Victoire la Rouge pour plusieurs de ses œuvres, notamment Le Journal d'une femme de chambre.
Qui hormis celui de George Sand, saurait citer le nom d'une écrivaine du 19e siècle ? Pourquoi en 2023, seules trois autrices figurent sur la liste des épreuves du bac ? Dans sa série Autrices, Daphnée Ticrizénis nous emmène à la rencontre de grandes plumes féminines, grandes oubliées de la postérité.
Le propre d'un génie est d'être incompris, selon Oscar Wilde. Celui d'un génie au féminin serait de rester inconnu ?
Si je vous dis Voltaire, Rousseau, Chateaubriand, Victor Hugo, Balzac, Maupassant ... Facile. Ces grands philosophes ou écrivains de la littérature française, ces génies donc, sont ceux qu'on étudie en classe. Que des hommes. Quid des écrivaines ? N'ont-elles donc pas existé ? Le talent littéraire serait-il réservé à une seule moitié de l'humanité ?
Évidemment, non, répondrez-vous. Et de citer l'autrice des Malheurs de Sophie, la célèbrissime Comtesse de Ségur, George Sand ou l'illustre et incontournable Colette et sa Claudine à l'école, entre autres, ou bien encore Olympe de Gouges, rendue plus populaire depuis que son buste en marbre a pris place dans un couloir de l'Assemblée nationale ... Mais quid des autres ? Car il en a existé, et pas qu'une petite poignée...
(Re)lire dans Terriennes :
Dans son premier tome, Daphnée Ticrizénis retraçait le parcours de femmes qui ont écrit du Moyen Âge à la Renaissance. Une période particulièrement favorable à celles qui osaient prendre la plume. Dans son deuxième tome, l'autrice explore leurs héritières, qui vont pâtir d'un contexte particulièrement mouvementé. Empêchées, spoliées, moquées, puis tout simplement effacées, ces écrivaines du XVIIIe siècle ont pourtant contribué aux réflexions des Lumières. Mais pour publier, elles vont devoir se soumettre à de nombreuses contraintes, et le faire soit de manière anonyme, soit par l'intermédiaire d'un proche.
Elles vont aussi prendre part activement aux révolutions de 1789 et de 1848, comme à la Commune en 1870, comme l'attestent leurs écrits. Romans, littérature épistolaire, pamphlets, poèmes, essais, pièces de théâtre ... Un matrimoine quasiment ignoré qu'il s'agit de nous remettre en mémoire, afin de procéder à un rééquilibrage nécessaire. Guérir de cette amnésie patriarcale, c'est ce à quoi travaille l'universitaire, qui signe Autrices (Tome 1 et Tome 2) aux Editions Hors d'atteinte, que nous avons rencontrée.
Terriennes : Pourquoi est-il si difficile de citer le nom d'une autrice dans l'histoire de la littérature française?
Daphnée Ticrizénis : Cet effacement des autrices du 18e et du 19e, il commence courant 17e où elles ont eu beaucoup de succès, écris des best-seller, inventé des nouveaux genres -le roman, les contes de fées-, lancé des modes littéraires comme le mode épistolaire. De fait, cela a provoqué une forte réaction conservatrice.
C'est au 17e que le mot autrice va disparaître, au moment de la création de l'Académie française en 1635. On voit aussi, dans la lignée de la publication de l'ouvrage de Molière Les précieuses ridicules, trouver des ouvrages entiers qui attaquent ouvertement les femmes qui écrivent, et qui sont très misogynes. C'est là qu'on va retrouver tous les arguments sexistes contre ces femmes qui osent publier. Elles sont "immorales", ou alors si par chance, les oeuvres sont de bonne qualité, "c'est qu'elles ne les ont pas écrites toutes seules, et qu'un père, un frère a tenu la plume". C'est aussi à ce moment là qu'on va voler leurs oeuvres. Je pense notamment à Catherine Bernard, une autrice dramatique, qu'on commence à connaitre aujourd'hui, qui est la première à avoir fait jouer des tragédies sur la scène de la Comédie française.
Les hommes qui vont écrire cette histoire, vont intégrer dans leur dictionnaire et leur encyclopédie déjà ces arguments sexistes et puis même effacer les noms de ces autrices. Daphnée Ticrizénis
Ce 17e siècle est un siècle de contrastes très forts, et malheureusement ce sont les réactions conservatrices qui vont mener la danse de l'histoire littéraire. Les hommes qui vont écrire cette histoire, vont intégrer dans leur dictionnaire et leur encyclopédie, déjà, ces arguments sexistes, et puis même effacer les noms de ces autrices. Elles n'auront ainsi purement et simplement jamais existé.
Du coup, cela va compliquer les choses pour les autrices du 18e siècle ?
Quand on arrive au 18e siècle, ces autrices, dont je parle dans le Tome 2, évoluent dans un contexte très dur. Elles savent que les femmes qui écrivent sont attaquées. Elles n'ont pas envie elles-mêmes, forcément, de se "découvrir" publiquement. Il y a un risque pour leur réputation. Et par ailleurs, on est en train d'effacer leur héritage. C'est difficile pour elles de se faire une place dans le domaine des lettres.
On va trouver au 18e beaucoup d'écrits à l'état de manuscrits, car elles ne vont pas oser publier leurs textes. Ce sont souvent des publications posthumes qui se font grâce à l'intervention de proches. Ou alors, elles vont le faire, mais de manière totalement anonyme. Daphnée Ticrizénis
On va trouver au 18e beaucoup d'écrits à l'état de manuscrits, car elles ne vont pas oser publier leurs textes. Ce sont souvent des publications posthumes qui se font grâce à l'intervention de proches. Ou alors, elles vont le faire, mais de manière totalement anonyme. La recherche d'aujourd'hui découvre des textes qu'on pensait avoir été écrits par des hommes, mais on arrive à leur réattribuer ces textes qu'elles n'ont pas signés de leur nom.
Par exemple Louise d'Epinay qui est une penseuse des Lumières, ce que l'on sait grâce à sa correspondance. Pendant très longtemps, on a cru que le conte Qu'en pensez-vous avait été écrit de la main de Diderot, et ce n'est que récemment que l'on a compris que c'était elle, la véritable autrice. Ce contexte participe à l'effacement et à l'histoire dont on a hérité aujourd'hui.
Louise Florence Pétronille Tardieu d'Esclavelles, est mariée à l'âge de dix-neuf ans à son cousin. Sous le nom de Louise d'Epinay, écrivaine philosophe, elle a écrit plusieurs ouvrages dont Histoire de Madame de Montbrillant (ou Les Contre-Confessions). Elle fut l'amie de Rousseau, qui lui présenta celui qui deviendra son ami intime, le baron Grimm.
Ces autrices trouvent malgré tout des stratégies ...
Aucune période n'est complétement sombre. On peut caler l'histoire des autrices sur l'histoire des droits des femmes, avec des périodes d'avancées et de recul. La période révolutionnaire est un moment où l'on va entendre d'avantage les femmes, qui vont à la fois revendiquer leurs droits et tout simplement leur droit à s'exprimer. Au 19e, le recul arrive au moment de la promulgation du Code civil. C'est un retour en arrière pour les droits des femmes qui ont besoin de l'autorisation de leur père ou leur mari pour à peu près tout ! Et donc pour publier également.
Le pseudonyme masculin, c'est un peu particulier. C'est une mode qui apparait au 19e siècle. C'est finalement assez minoritaire sur l'ensemble de l'histoire littéraire, mais aussi au 19e. Dans le cas de George Sand, elle n'est pas la seule à choisir un pseudo mixte, on pense aussi à Daniel Stern pour Marie d'Agout ou André Léo (de son vrai nom Victoire Léodile Béra, ndlr). On ne sait pas exactement ce qui a poussé au choix de ces pseudonymes, si c'est une demande de l'éditeur, ou si c'est pour se montrer plus "sérieuses" ou simplement une mode littéraire. A mesure que l'on avance dans le siècle, on en trouve d'autres, comme Gérard d'Houville (Marie de Heredia, ndlr), une poétesse. C'est une époque où les auteurs sont photographiés, donc elles ne vont pas pouvoir cacher très longtemps leur identité sous ce pseudonyme masculin.
Marie d'Agoult, alias Daniel Stern, photographie d'Antony-Samuel Andam-Salomon (vers 1861), Paris, musée d'Orsay.
Dans votre ouvrage, vous évoquez l'expression bas-bleu, qui désignait les femmes qui "osaient" devenir autrices, expliquez-nous...
La première fois que l'on entend cette expression, c'est dans un salon littéraire au 18e siècle. L'hôtesse fait un mot d'esprit et, ironie de l'histoire, c'est un homme qui porte des bas bleus, elle dit que son salon n'est pas fait pour les élégants, mais pour parler littérature. L'expression sera reprise au 19e pour mépriser les femmes qui écrivent. Des caricatures représentent ces femmes, qui oublient le rôle qu'elle doivent occuper dans la société et qui, au lieu de s'occuper de leur mari, préfèrent écrire des vers ou des romans. Cette expression continue d'évoluer.
Plus l'on avance, moins cette expression sera humoristique et devient une insulte virulente. L'auteur Jules Barbet d'Aurevilly va signer un ouvrage à charge contre les bas-bleus. Il y explique très clairement qu'il s'oppose à l'égalité entre les femmes et les hommes. Et finalement, ce sont les autrices elles-mêmes qui vont se réapproprier cette expression pour se définir, en disant "Et bien oui, je suis bas-bleu !" comme Olympe Audouard. Petit à petit, elle deviendra synonyme du mot écrivaine et elle finira par disparaitre.
« ...dussent-ils me maudire... », dans la série des bas-bleus de Honoré Daumier, parue dans Le Charivari en 1844.
Ces autrices écrivaient-elles pour les femmes ?
On s'opposait aux femmes écrivaines et on s'opposait aux femmes qui lisaient. C'est ça qui dérangeait, finalement. Là, c'est l'accès à l'éducation qui est en jeu. Je pense au roman, qui a longtemps été considéré comme un genre mineur, ou immoral, parce qu'il donnait de faux exemples aux jeunes filles et pouvait les inciter à se conduire d'une manière qui ne correspondait pas à ce qu'on attendait d'elles dans la société. Evidemment, le destin des autrices est intimement lié au destin des lectrices.
Toutefois, dans les écrits de ces autrices, elles ne s'adressent pas particulièrement aux femmes, mais à tout un lectorat. Il n'y a pas d'essence féminine à leurs ouvrages. C'est ce que j'essaye de montrer dans mon texte. Elles sont d'horizons politiques totalement variés, s'expriment dans tous les genres, sur tous les thèmes. Il n'y a pas vraiment de points communs. Ce qui les différencie des oeuvres des hommes, c'est qu'elles vont chercher des thèmes qui n'ont pas été exploités par les auteurs.
Ce sont toutes ces histoires, tous ces genres littéraires qui participent à la richesse de notre patrimoine et notre matrimoine littéraire qu'il faut retrouver. Daphnée Ticrizénis
Finalement, en redécouvrant les textes des autrices, on découvre leur quotidien, leur intimité, leur subjectivité. Ce sont des histoires qu'on n'a pas forcément entendues. Et évidemment, il y a beaucoup plus de personnages féminins, d'héroïnes. C'est vrai qu'on en manque dans notre histoire littéraire. Souvent ce sont des héros qui sont les personnages principaux de nos romans. Et pour certaines, qui sont féministes, c'est aussi l'histoire de leur combat, des violences qu'elles ont subies. Ce sont des histoires qui nous ont été enlevées et qui méritent de reprendre place dans notre histoire.
Ce n'est pas qu'une question de parité de remettre ces autrices sur le devant de la scène. Ce sont aussi toutes ces histoires, tous ces genres littéraires qui participent à la richesse de notre patrimoine et notre matrimoine littéraire qu'il faut retrouver.
Comment rendre visibles aujourd'hui toutes ces autrices ?
Aujourd'hui, il y a deux enjeux : dans l'éducation et dans l'édition. Parce que finalement, on a hérité de plusieurs siècles d'histoire littéraire qui nous est enseignée où il n'y a que des hommes. C'est difficile de revenir dessus. Moi même je n'ai rencontré que très peu d'autrices dans mes études supérieures. Ce n'est qu'en explorant le travail des chercheuses que j'ai découvert tout ce pan de l'histoire littéraire.
Les enseignants d'aujourd'hui vont faire étudier des auteurs qu'ils ont eux-mêmes étudié au cours de leur parcours. C'est le serpent qui se mord la queue ! Il faut absolument inscrire des autrices au programme. Dès le secondaire, mais aussi au programme des concours pour que les enseignants de demain connaissent les textes de ces autrices pour pouvoir les transmettre. Et puis sur le marché éditorial, on ne les trouve pas, ces textes ! Pourtant, ils ont été numérisés par la bibliothèque nationale et on les trouve sur internet gratuitement, mais on ne les trouve pas en librairie. Il faut que les éditeurs s'en emparent.
Aujourd'hui en 2023, au programme du bac, il y a Olympe de Gouges, Colette, et Hélène d'Orion, québécoise, première poétesse vivante à être intégrée dans ce programme. On peut faire mieux.
Hélène d'Orion, écrivaine québécoise est reconnue autant au Québec qu'à l'international. Ses ouvrages sont traduits dans de nombreuses langues et font l'objet d'études dans plusieurs pays. Son recueil de poèmes Mes forêts est inscrit au programme du bac français à partir de 2023-2024.
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