Aux urnes Saoudiennes !

Pour la première fois en Arabie Saoudite, des femmes peuvent prétendre voter et être élues à des élections municipales, le 12 décembre 2015. Une ouverture dans ce royaume ultra-conservateur, arrachée par des pionnières.
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Madeha Al-Ajrouh
Madeha Al-Ajrouh, psychothérapeute et photographe saoudienne, en action, "actrice" du documentaire de Clarence Rodriguez "Arabie saoudite - Paroles de femmes".
(c) Clarence Rodriguez
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Certaines se sont lancées dans la campagne électorale avec courage dans cet Etat ultra-conservateur qui impose de nombreuses restrictions aux femmes, comme l'interdiction de conduire ou de sortir sans autorisation du pays. Une démarche inédite à l’approche des élections municipales du 12 décembre 2015, les premières à être ouvertes aux femmes en tant qu'électrices et candidates. Un droit en suspension accordé par le roi Abdallah en 2011, à l’occasion des précédentes municipales.

Environ 900 Saoudiennes, sur un total de 7000 candidats, se présentent pour un siège dans les 284 conseils municipaux. Faire campagne puis être élue s'annonce bien compliqué pour elles, le royaume interdisant la mixité en particulier dans les meetings électoraux. Seules 130.600 femmes se sont en outre inscrites sur les listes électorales soit environ dix fois moins que d'hommes, selon des chiffres officiels

C'est l'une des premières étapes pour les droits des femmes

                                                                                                               Sahar Hassan Nasief

"Nous allons voter pour des femmes même si nous ne savons rien d'elles", lance Oum Fawaz, une jeune institutrice de Hafr al-Baten (nord-est). "Il suffit qu'elles soient des femmes comme nous. C'est l'une des premières étapes pour les droits des femmes", se félicite Sahar Hassan Nasief, une militante de la ville côtière de Jeddah (ouest), qui compte beaucoup d'amies parmi les candidates.

Disqualifications et autres empêchements

"J'ai été éliminée comme candidate pour les municipales (...) Je ferai opposition par les canaux appropriés", se plaint Loujain Hathloul, une militante qui avait été détenue deux mois pour avoir tenté en décembre 2014 d'entrer dans le royaume au volant de sa voiture par la frontière avec les Emirats arabes unis. Une autre activiste militant pour la conduite des femmes, Tamadour al-Yami, signale que son nom a été retiré de la liste des candidates. Elle promet de faire appel, mais "ne pense pas que cela changera quoi que ce soit".

Une militante des droits de l'Homme, Nassima al-Sadah, qui s'était présentée à Qatif (nord-est), a elle aussi annoncé avoir été informée une semaine avant le scrutin par les autorités que son nom avait été retiré de la lite des candidates. Elle a suspendu sa campagne. "Je ne connais pas la raison", constate la recalée, qui avait reçu pour sa campagne électorale une formation du National Democratic Institute, une ONG basée à Washington.

Les restrictions pour se faire connaître sont également nombreuses. Une candidate peut faire campagne sur les réseaux sociaux, dont Twitter et Facebook. Elle peut aussi utiliser des banderoles et des brochures mais sans sa photo, une interdiction qui s'applique également aux hommes. A Hafr al-Baten, une affiche publicitaire pour les élections comportant un dessin représentant un homme et une femme a été défigurée. Et le visage de la femme a été déchiré.

Une candidate peut s'adresser directement aux électrices lors d'un meeting mais devra laisser le lendemain son porte-parole, un homme, diriger la réunion publique pour les hommes. Aljazi Al-Hossaini, une candidate à Ryad, voulait installer une tente sur un terrain de sa circonscription pour sa campagne. Mais le propriétaire du terrain, « un homme, a refusé ».

Etre femme au royaume du conservatisme

L'entrée des Saoudiennes sur la scène politique est un défi de taille dans un royaume qui applique une version rigoriste de l'islam. Les femmes ne sont autorisées à sortir en public qu'à la condition d'être couvertes de la tête aux pieds, et elles ne peuvent pas travailler ou voyager sans l'autorisation de leur mari ou d'un homme de leur famille.

Je crois que l’Arabie saoudite est un pays d’évolution et non de révolution. Nous progressons étape par étape
                                                                 Thoraya Ahmed Obaid, membre de la Choura

Qualifié de « grand roi, défenseur des femmes » par la directrice du FMI Christine Lagarde, ce qui en avait fait sursauter plus d’une, le roi Abdallah (2005 – 2015) après avoir entrouvert la porte du droit de vote Saoudiennes, avait nommé deux ans plus tard, des femmes au Majlis al-Choura, un conseil consultatif. Et le souverain avait entrouvert une autre barrière en nommant en 2009 une femme à un portefeuille ministériel, Noura al-Fayez, diplômée de l’Utah State University, aux Etats-Unis, et devenue à 52 ans vice-ministre de l’Education pour les filles du royaume wahhabite.

Le chemin des Saoudiennes vers leur émancipation reste jonché d’obstacles, et pas seulement parce qu’elles sont femmes. Le concept même de démocratie élective reste une chimère dans cette monarchie absolue. Mais les combattantes sont tenaces, autant celles de la première heure que les plus jeunes, bien décidées à travailler, à diriger, à s’épanouir aussi dans leur vie privée.
 

Noura, directrice chez Areva à Ryiad
Noura est directrice Stratégie et Marketing chez Areva, groupe français d'énergie nucléaire, à Riyad, confie à Clarence Rodriguez qu'elle veut réussir sa vie professionnelle et privée, et permettre à sa fille d'aller encore plus loin.
(c)Clarence Rodriguez

Certains l’acceptent très bien, d’autres non : ils sont choqués, et je les respecte, parce que je prends une place qui n’est pas normale dans notre société
                                                                                                       Dina, cheffe de chantier

Le documentaire « Arabie saoudite, paroles de femmes » de Clarence Rodriguez (52'), diffusé le 8 décembre 2015 par France 5, chaîne culturelle du groupe public France Télévisions, rend hommage à quelques unes de ces pionnières qui se défient des tabous, mais sans remettre en cause les piliers de leur société : religion et capitalisme.

A redécouvrir dans Terriennes :
> Quand les Saoudiennes se dévoilent, autour du livre "Révolution sous le voile" de Clarence Rodriguez

On y découvre des militantes, très décidées, mais aussi parfois très apprêtées et maquillées, loin des clichés de la soumission, de tous âges et de milieux sociaux divers. Elles s'y confient à visage découvert. L’une prend le volant et photographie ses concitoyennes, l’autre arpente des chantiers de construction, une troisième met son talent au service d’un géant de l’énergie nucléaire, et une princesse creuse patiemment le sillon de l’émancipation. Clarence Rodriguez qui arpente avec une passion critique l’Arabie saoudite depuis une décennie donne la parole à ces éclaireuses, déjà présentes dans son livre « Révolution sous le voile ». 

Voici un extrait (1'39) du film de Clarence Rodriguez et Bernard Cazedepats où l'on part à la rencontre de la photographe et psychothérapeute Madeha Al-Ajrouh. Pionnière parmi les pionnières, elle se souvient de ses premières actions, dans les années 1990, pour faire avancer les droits des Saoudiennes.
 

Une minorité agissante qui trace un sillon
                                                                                          Clarence Rodriguez

Les droits des femmes avancent-ils vraiment en Arabie saoudite ?

Clarence Rodriguez
Clarence Rodriguez, journaliste, documentariste, en Arabie saoudite depuis 2005
DR

Clarence Rodriguez : Quand je suis arrivée, en 2005, il y avait déjà des femmes qui travaillaient, mais dans les domaines traditionnellement dévolus aux femmes, santé ou éducation. Aujourd’hui, elles sont devenues ingénieures, chercheures, ou même vendeuses dans le secteur de la lingerie, un pas qui pourrait sembler anecdotique, mais qui en réalité a permis de conquérir la vente, jusque là chasse gardée des hommes. J’ai assisté à cette évolution, toute relative, mais réelle.

Il semble y avoir un décalage incroyable entre ces femmes et les lois qui leur sont imposées…

CR : Ces femmes ne peuvent pas déroger à la charia. Leur chance, c’est d’avoir des maris, des pères, plus ouverts que la moyenne, progressistes, prêts à accorder aux femmes la place qui devrait leur revenir. Celles-là sont parties étudier à l’étranger, grâce à la bourse Abdallah, mise en place en 2005. Il s’agit d’une minorité, mais d’une minorité agissante qui trace un sillon.

Que risquent-elles à avoir témoigné à visage découvert ?

CR : Dans mon livre aussi, elles donnaient leur nom. Elles-mêmes paradoxalement ne risquent rien, mais leurs « tuteurs » maris ou frères, qui les ont laissées faire qui peuvent être pénalement condamnés. En fait, je me suis contentée de révéler une photographie de cette petite partie de la société saoudienne.

Les municipales vont-elles vraiment changer quelque chose ?

CR : On est au début d’une marche. Mais cela est vrai pour le système électoral dans son ensemble. La démocratie est absente de la culture saoudienne. C’est un balbutiement. Un début. Parfois douloureux comme le montre la campagne. Elles ont fait preuve de beaucoup de courage, elles ont essuyé nombre de remontrances sévères.

Certains pensent que la question des droits des Saoudiennes rend finalement inaudible les autres : les inégalités sociales, économiques, vis à vis des domestiques…

CR : En ce qui me concerne, je n’occulte pas les autres problèmes. L’Arabie saoudite n’est pas un bloc monolithique. Je montre cette facette et d’autres aussi. Le chemin reste long.