Amanda Morales-Guerra entourée de l'une de ses filles et du père Luis Barrios. Un cordon de sécurité humain a été déployé autour de la jeune femme pendant qu'elle était à l'extérieur de l'église
Dans une cuisine aménagée derrière la nef de l’église Holyrood Church, au coeur de New York, Amanda Morales-Guerra épluche une mangue qu’on vient de lui apporter. Ses trois enfants de 10 ans, 8 ans et 2 ans jouent calmement sur leur lit dans la pièce attenante, une bibliothèque où des cours d’aide aux devoirs avaient lieu voilà encore quelques semaines. L’endroit a été sobrement aménagé à l’aide de quatre lits superposés pour accueillir cette famille pendant plusieurs mois. L’air las, Amanda Morales-Guerra sait que des journalistes l’attendent pour recueillir son témoignage.
Le 17 août 2017, cette Guatémaltèque de 33 ans, qui vit illégalement aux Etats-Unis depuis 2004, a pris refuge dans cette imposante église de Washington Heights, à Manhattan, avec l’aide du père Luis Barrios. “Je devais me rendre à un rendez-vous fixé par ICE (Immigration and Customs Enforcement, les services de l’immigration américaine, NDLR) et je pense que les autorités comptaient m'expulser. On m’avait demandé de venir munie d’un aller simple pour le Guatemala, payé à mes frais”, explique-t-elle en espagnol. A ses côtés, Rosa, une bénévole, traduit ses propos. ICE a accepté de lui accorder un délai de 90 jours, le temps que son cas soit réexaminé, mais la considère comme une fugitive, précise le père Luis Barrios.
Aux Etats-Unis, les églises et autres lieux de culte sont de plus en plus vus comme des refuges potentiels par les immigrés illégaux, clandestins, menacés de détention ou d’arrestation. Environ 800 églises y sont enregistrées comme asiles, selon des chiffres de l’organisation d’aide aux immigrés Church World Service, contre 400 l’année dernière. Une hausse spectaculaire qui s’explique par la prise de pouvoir de Donald Trump.
Durant les 100 premiers jours de la présidence du nouveau chef d’Etat, les arrestations d’immigrés sans papier ont augmenté de près de 40 % par rapport au nombre d’interpellations durant la même période en 2016, selon un rapport publié par ICE. Parmi elles, celles concernant les immigrés "n’ayant commis aucun crime" ont bondi de 150 %.
Parmi les soutiens à Amanda Morales-Guerra, une majorité de femmes dont la présidente du borough de Manhattan, Gale Brewer (à droite), se recueillent devant l'église Holyrood Church
“Depuis l’élection de Donald Trump, on a du travail non-stop”, affirme le rabbin Ragbir, l’un des représentants du New sanctuary movement, un réseau d’organisations et de personnes de toutes religions confondues soutenant les immigrés. “Les gens sont terrifiés et nous demandent de l’aide.” A New York, on dénombre actuellement huit cas dans lesquels des immigrés sont réfugiés dans des lieux de culte, selon cet homme qui ne divulgue pas plus de détails. Il se contente de dire que le nombre de femmes qui demandent l’asile surpasse celui des hommes, car “ce sont souvent elles qui ont la charge des enfants”.
Mais je suis triste aussi, car je me sens comme piégée. Je voudrais retrouver ma vie normale
Amanda Morales-Guerra
Lorsqu’elle avait 20 ans, Amanda Morales-Guerra a été menacée de mort par un gang au Guatemala. “Mon frère et mes deux soeurs vivaient aux Etats-Unis et les membres de ce gang ont pensé que cela voulait dire que ma famille était riche. Ils m’ont dit qu’ils allaient me kidnapper.” Elle décide alors de fuir et entre de manière illégale aux Etats-Unis pour rejoindre sa famille installée dans le Maryland. Elle pose ensuite ses valises sur Long Island, ce bras de terre qui s’étend à l’Est de New York, où elle travaille d’abord dans une laverie, puis dans une usine de fabrication de cordes pour violoncelles. Elle donne naissance à trois enfants, tous américains, en vertu du "droit du sol".
“Pendant ces années, j’ai essayé de régulariser ma situation”, assure celle qui n’a pas de casier judiciaire. “J’ai engagé plusieurs avocats, mais ils se sont contentés de prendre mon argent et ne m’ont pas aidée.” De toute façon, les ressortissants du Guatemala ne sont pas une priorité pour les autorités américaines, pense Amanda. “La situation là-bas n’est pas considérée comme une urgence.” Après des décennies de guerre civile et de dictature, ce petit Etat d’Amérique centrale s’illustre par une justice défaillante, une classe politique corrompue et un système de crime organisé.
Il y a un mois, un ami d’Amanda Morales-Guerra a été rejeté vers le Guatemala. Cela s’est passé très vite, raconte-t-elle. “Il est allé à un rendez-vous de l’immigration et a été refoulé tout de suite. Il n’a pas pu repasser par chez lui. Il a été séparé de sa femme qui est enceinte.” Quelques jours plus tard, Amanda quittait son travail et son logement, emportant “quelques affaires”.
Deux des enfants d'Amanda Morales-Guerra jouent à des jeux vidéo dans leur refuge épiscopal. Ses enfants, américains, ne sont pas concernés par une éventuelle procédure d'expulsion.
Entre les murs de l’église new-yorkaise, elle se sent à l’aise. Le New sanctuary movement a mis en place des aides et coordonne les bonnes volontés qui arrivent de toutes parts. Des plats cuisinés sont apportés plusieurs fois par jour. Les lits superposés sur lesquels dorment Amanda et ses enfants leur ont été attribués à leur arrivée. Durant la journée, des bénévoles s’occupent de David, le plus petit, qu’elles emmènent dans une garderie. Rien qu’au sein de l’église, 25 personnes par semaine s’occupent de ces nouveaux arrivants, comptabilise le père Luis Barrios. Une aide financière est également apportée à Amanda. “Je suis tellement reconnaissante envers tous ceux qui m’aident”, dit calmement l’intéressée, assise sur une chaise dans un couloir. “Mais je suis triste aussi, car je me sens comme piégée. Je voudrais retrouver ma vie normale.”
Une pancarte de soutien pour Amanda Morales-Guerra est déployée sur la façade de la Holyrood Church, à New York
La veille, les larmes sont montées aux yeux d’Amanda Morales-Guerra. Sur le parvis de l’église, des dizaines de personnes, dont des élus, se sont rassemblées, pancartes à la main, pour prier et lui témoigner leur soutien. “Amanda ne s’en ira pas” et le célèbre “Yes we can” de l’ancien président Barack Obama ont été scandés par la foule. Pour l’occasion, Amanda s’est risquée à l’extérieur de la réclusion qu’elle s’est choisie et un cordon de sécurité humain a été formé autour d’elle.
Des intervenants se sont succédés derrière un micro. “Amanda n’est pas une menace pour la société. Elle paie ses impôts, pas comme certains milliardaires”, a lancé, piquant, le père Luis Barrios, en référence au richissime président républicain. D’autres ont érigé Amanda Morales-Guerra au rang d’exemple dans la “lutte contre l’oppression” des immigrés illégaux, qui seraient 11 millions aux Etats-Unis. Rosita Romera, présidente du Centre de développement pour les femmes dominicaines, a même comparé “le courage” de la timide mère de famille à celui de Rosa Parks, femme afro-américaine qui, en 1955, défia la ségrégation raciale en refusant de laisser sa place dans un bus à un Blanc.
A retrouver dans Terriennes :
> Quand Barack Obama rendait hommage à Rosa Parks
Je suis la première réfugiée dans une église de manière publique à New York
Amanda Morales-Guerra
“Je comprends la comparaison”, commentera par la suite Amanda Morales-Guerra. “Je suis la première réfugiée dans une église de manière publique à New York.”
Ces situations de dernier recours sont en effet peu médiatisées, tant elles restent secrètes. Mais en 2006, une mère de famille mexicaine, Elvira Arellano, avait déjà endossé le rôle de symbole des immigrés illégaux aux Etats-Unis, en rendant public son asile dans une église de Chicago pendant plus d’un an. Elle avait finalement été arrêtée puis expulsée après être sortie de sa tanière.
Le père Luis Barrios a ouvert les portes de la Holyrood Church à Amanda Morales-Guerra et ses enfants. C'est la deuxième fois que cet homme aide des immigrés illégaux à trouver refuge dans l'enceinte de son église de Manhattan
Le père Luis Barrios de son côté raconte avoir déjà prêté main forte à une famille en 1990 dans une église du Bronx. “Ils étaient restés trois ans et demi, mais ils ne faisaient pas parler d’eux. Avec Amanda, on ne sait pas combien de temps cela va durer mais on est prêts. Et on n’est pas pressés”, dit-il dans un sourire. “Grâce à elle, les gens dans sa situation sauront qu’ils peuvent eux aussi demander de l’aide.”
A retrouver sur le même sujet :
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