Fil d'Ariane
En Inde, pays continent de 1,3 milliards d’habitants, avoir une enfant de sexe féminin reste un fardeau dans certaines régions. La dot à payer pour les filles au moment du mariage, dépense considérable pour les parents, reste l'une des raisons invoquée. « La presque femme » est toujours dénigrée.
Quant aux hindouistes, fidèles de la religion très majoritaire en Inde, ils vénèrent la vache, car l’animal symbolise la fertilité grâce entre autre à son lait.
En 2010, grâce à son projet « Holy Daughters, les filles sacrées » sculptures hybrides en bronze – une tête de vache, aux grands yeux de verre surplombant un corps de petite fille – l’artiste plasticienne « met en lumière un paradoxe de la culture indienne. » La tête de vache y incarne le « sacré » « holy » en anglais, à l’inverse du « corps-fille » « daughter », mères en devenir, non désirées.
Durant des siècles, cette dépréciation des filles au sein des familles indiennes s’est traduite par leur élimination physique, avant ou après leur naissance. En 2011, on recense 940 femmes pour 1000 hommes en Inde.
A retrouver dans Terriennes :
> 15 millions de filles ne sont pas nées en Inde
> Un test prénatal de détection du sexe empêchera-t-il les foeticides de filles en Inde ?
En 2013, en Chine, dans la continuité de son projet « Holy Daughters », Prune Nourry s’interroge sur les conséquences de la politique de l’enfant unique sur la part féminine de la population.
Le pays le plus peuplé de la planète, avec 1,4 milliards d’habitants en 2017, décidait en 1979 d’éviter une surpopulation en pénalisant les familles de plus d’un enfant.
Un nombre élevé de parents chinois privilégient alors la naissance des garçons, au détriment des filles. La tradition chinoise déclare une fille « perdue » pour ses parents biologiques à partir de son mariage. Certaines mères avortent si l’enfant attendu s’avère être de sexe féminin.
Pour incarner la disparition des filles en Chine, Prune Nourry crée une armée de 108 filles en terre cuite « Terracotta Daughters ». La plasticienne s’inspire de l’armée de 8000 soldats de l’Empereur Qin Shi Huangdi, "armée d'argile" mise au jour en 1974. En 2014, son armée de jeunes filles voyage à travers le monde pour une série d’exposition.
Depuis les années 80, les avancés scientifiques comme l’échographie, sont détournées pour connaître le sexe du bébé
Prune Nourry, sculpteure
En 2015, Prune Nourry enfouit ses guerrières en terre cuite dans un lieu tenu secret, jusqu’en 2030. À cette date, elle déterrera « les Terracotta Daughters ». Les visiteurs du musée Guimet pourront découvrir une version miniature de cette « armée » en biscuit de porcelaine de Limoges.
« J’ai choisi l’année 2030, car pour les sociologues chinois avec qui je travaille, elle sera une année phare. Il y aura le plus gros déséquilibre homme/femme en âge de se marier. Les hommes seront plus nombreux » explique Prune Nourry.
En Chine et en Inde, l’avènement des nouvelles technologies, dont l’usage à été biaisé pour mieux servir les croyances culturelles, a accentué la sélection prénatale. Les deux œuvres « Holy Daughters » « Terracotta Daughters » s’y réfèrent. Le démographe Christophe Guilmoto estime une perte par défaut de plus de 163 millions de filles, en Asie à cause de ces pratiques.
« Depuis les années 80, les avancés scientifiques comme l’échographie, sont détournées pour connaître le sexe du bébé » rappelle Prune Nourry.
La rencontre avec des sociologues et des anthropologues en Inde et en Chine inspire ses projets. « À partir de leurs recherches très spécifiques, je crée une version sculpturale- ma vision d’artiste- de leurs travaux. »
Les gens en venaient par eux même à parler de cette problématique qui existe, en Inde, en Asie et même à l’échelle du monde : d’une préférence culturelle pour le garçon.
Prune Nourry, artiste, sculpteure
Illustrer leurs travaux, symbolise « une forme d’échange avec le monde scientifique » déclare Prune Nourry. Synthèse artistique de leurs études, peut-être plus marquant pour certains, qu’un discours académique.
Après avoir conçu et réalisé l’œuvre, intervient une autre phase tout aussi importante du travail de l’artiste Prune Nourry : le recueil des réactions des visiteurs, badauds, face à ses créations.
« Dans les rues de New Delhi, devant des distributeurs de lait, l’équivalent de nos boulangeries, j’ai abandonné différentes Holy Daughters. Puis, j’ai observé et filmé les réactions des habitants » explique Prune Nourry. « Les gens ont tellement commenté mes sculptures, c’était comme de la philosophie de rue. Ils en venaient par eux même à parler de cette problématique qui existe, en Inde, en Asie et même à l’échelle du monde : d’une préférence culturelle pour le garçon. Une réaction m’a beaucoup touchée. Je l’ai filmée. Elle apparaît sur un des films projetés au cours de l’exposition. Deux amis me disaient : craindre ne pas trouver de femmes pour se marier. L’échange est très important et a même une visée anthropologique. Je suis là avec ma caméra, mon appareil photo, et j’étudie la réaction des gens. Il y a quelque chose du domaine du terrain. Des recherches qui me permettent d’aller un cran plus loin dans mon projet. » insiste Prune Nourry.
« Déposer mon œuvre dans l’univers où elle a été pensée et produite, fait partie intégrante de mon travail » explique l’artiste plasticienne.
Comme ce « Bouddha monumental afghan », installation fragmentée en plâtre, piqué de bâtons d’encens présenté au musée Guimet. Les pieds bien ancrés au rez-de-chaussée du musée, une main au premier étage, le buste au deuxième et la tête au sommet. L’œuvre incarne un hommage aux bouddhas de bamiyan détruits par les talibans en Afghanistan. « J’ai été tellement inspirée par cet espace, notamment par cette pièce baignée de lumière, que j’ai souhaité faire une œuvre spécifique destinée au musée Guimet » ponctue Prune Nourry.
Grâce à cette exposition Prune Nourry embarque les visiteurs dans son univers. Un monde où les problématiques bioéthiques sont source d'art.