Fil d'Ariane
"R - E - S - P - E - C - T!" Plus qu'une simple reprise d'Otis Redding, la version de "Respect" enregistrée en 1967 par Aretha Franklin a transformé la chanson en hymne féministe et politique et consacré son interprète comme nouvelle reine de la soul.
Le magazine Rolling Stone a fait de ce tube international la cinquième chanson de "tous les temps" dans un palmarès paru en 2004. Un classement où Aretha Franklin, qui vient de mourir à l'âge de 76 ans, apparaissait comme la première femme derrière Bob Dylan, les Rolling Stones, John Lennon et Marvin Gaye.
"Respect" fut écrite et enregistrée par Otis Redding en 1965, mais c'est bien la version revue et corrigée par Aretha Franklin, 25 ans à l'époque, avec son refrain et ses arrangements imparables, qui fait entrer la chanson dans la postérité.
Chez Otis Redding, un homme clame son besoin de respect de la part de sa femme, respect qui lui est dû puisqu'il apporte l'argent au foyer... Mais Aretha, dans sa version enregistrée le jour de la Saint-Valentin 1967 à New York, bouscule ce schéma traditionnel en mettant ces mots dans la bouche d'une femme forte et énergique.
Une dimension saluée des tous les horizons à l'annonce de son décès... "Aujourd'hui, nous nous souvenons de l'héritage de la Reine de la Soul, la 'voix de l'Amérique noire', Aretha Franklin, dont les chansons à succès de la fin des années 60 et du début des années 70, "Respect" et "Think," l'ont placée en icône du féminisme et du mouvement des droits civiques."
Today, we remember the legacy of the Queen of Soul, the “voice of black America,” Aretha Franklin, who’s late ‘60s & early ‘70s hit songs “Respect,” & “Think,” set the standard for passionate soul music & positioned her as an icon for feminism & the civil rights movement. pic.twitter.com/6JxShouQtA
— NatCivilRightsMuseum (@NCRMuseum) 16 août 2018
Ou encore : "Par sa musique et son activisme, Aretha Franklin s'est imposée en une icône des droits civiques et une pionnière des droits des femmes."
Through her music and activism, Aretha Franklin's feverish demand for respect and calls for equality made her a Civil Rights icon and a pioneer for women's rights. https://t.co/xMJ9Y9keiv
— Twitter Moments (@TwitterMoments) 16 août 2018
#ArethaFranklin reine de la soul, figure incontournable du combat contre le racisme et l’oppression, les violences faites aux femmes et leur soumission. Résister était la finalité ultime de son art et avec quelle énergie. Honneur!
— Michaëlle Jean (@MichaelleJeanF) 17 août 2018
Un grand hommage à Aretha Franklin qui nous quitte aujourd’hui. Un immense #respect pour cette icône de la chanson, reine de la soul, voix du féminisme et légende qui a marqué l’histoire américaine pendant plus de 60 ans. #ArethaSings pic.twitter.com/fyCbbinln2
— Pascale F. Personne (@f_personne) 16 août 2018
La chanteuse originaire de Detroit conserve les couplets mais inclut un refrain dynamisé par les choeurs, assurés par ses soeurs Erma et Carolyn, et quelques nouvelles expressions, comme ce "Sock it to me" joueur et un brin provocant, expression pouvant se traduire par "Montre moi de quoi tu es capable"... Et pouvant à l'occasion revêtir une connotation sexuelle, même si Aretha Franklin s'en défendra.
Et d'épeler ce "R-E-S-P-E-C-T", qu'elle semble non plus seulement demander mais bien exiger.
"Pour Otis, le respect avait une connotation traditionnelle, dans le sens de l'estime", assurait le producteur d'Aretha Franklin, Jerry Wexler, dans son autobiographie, citée par le magazine Rolling Stone. "La ferveur dans la voix d'Aretha exigeait ce respect, et cela impliquait aussi une attention du point de vue sexuel..."
"Elle n'a pas seulement modifié quelques paroles ou changé le point de vue, elle lui a aussi apporté une nouvelle âme", explique la musicologue américaine Victoria Malawey, professeure au Macalester College de Minneapolis-Saint Paul.
Aretha Franklin a modifié la chanson "de façon si radicale, que j'irais jusqu'à dire qu'elle l'a réécrite", ajoute cette spécialiste de musique pop.
La chanson paraît dans l'album "I Never Loved A Man The Way I Loved You", son premier chez Atlantic Records, et devient un hymne féministe mais donne aussi une voix -- et quelle voix! -- à la cause des Noirs en lutte pour leurs droits dans l'Amérique des années 60.
"Respect" a ensuite traversé les années et été reprise par de nombreux mouvements de revendication, souligne Victoria Malawey: "C'est quelque chose au-delà du texte et de la mélodie qui nous transporte vraiment, qui a rendu cette chanson si puissante et l'a fait durer si longtemps."
"C'était la bonne chanson au bon moment", résumait pour sa part Aretha Franklin en 2016, citée dans le magazine Elle, au sujet d'une chanson qui figura deux semaines en tête des meilleures ventes à sa sortie.
Avec ce "hit", elle remporte les deux premiers de ses 18 Grammy Awards. Et même si elle chante déjà depuis des années, "Respect" l'installe comme la nouvelle reine de la soul et du R'n'B et marque le début de sa carrière internationale.
Ce classique de la musique américaine apparait dans une trentaine de films, comme "Platoon", "Blues Brothers" ou "Forrest Gump". Il a été maintes fois repris, aux Etats-Unis par Stevie Wonder mais aussi en France, et en français, par Johnny Hallyday ("Du respect").
Otis Redding, lui, fera contre bonne fortune bon coeur au sujet de cette chanson qu'une "bonne amie" a "emmenée loin" de lui, comme il l'avait dit en souriant sur la scène du Festival de Monterey, quelques mois avant de périr dans un accident d'avion en décembre 1967.
En 1968, un autre de ses "hits" accède au rang d'hymne féministe. "Think" - "Tu ferais mieux de penser (penser), Pense à ce que tu essaies de me faire.", chanson qu'elle interprètera aussi au cinéma dans "Les Blues Brothers" - un régal.