Avec "Ronde Bosse", la cinéaste Laurence Michel offre son crâne rasé aux regards étonnés

Pour son premier documentaire, la réalisatrice Laurence Michel a tenté une expérience très subjective : le crâne rasé par choix, elle a recueilli les réactions, négatives ou pas, que son apparence provoquait. "Terriennes" vous propose de voir le film et de rencontrer son auteure.
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La cinéaste Laurence Michel, auteure et personnage principale de son film  Ronde Bosse
capture d'écran
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C'est un film extrêmement sensible, aux cadrages toujours très recherchés. La cinéaste Laurence Michel est aussi monteuse, et cela se sent dans "Ronde-Bosse", un documentaire de 30' où elle met en scène sa réalité. La tête rasée, par choix et non par nécessité, elle part à la rencontre de femmes, et uniquement de femmes, dont la chevelure constitue un ressort essentiel de leur vie : des coiffeuses pour dames, des malades revenues de leur cancer et de la perte de leurs cheveux, des comédiennes du genre "new burlesque" qui font leur miel des clichés de la féminité.

Cette promenade impressionniste conduit les spectateurs à s'interroger sur le rejet des femmes rasées, sur l'importance de la toison dans la définition de la beauté au féminin. Est-ce le poids des religions, de l'histoire avec l'évocation des détenues, des rescapées des camps d'extermination, des tondues de la Libération en France pour fait de collaboration sexuelle, ou encore le rejet homophobe d'un signe parfois perçu comme un marqueur d'identité homosexuelle ?

Chevelure, tignasse et autre toison d'or

On pense à la mode provocatrice des skinheads (littéralement tête à nu), mouvement culturel où les filles comme les garçons arboraient leur "ronde-bosse" bien polie ; on se rappelle le geste politique de  cette jeune Iranienne postant des selfies sur les réseaux sociaux, la boule à zéro et sans voile, pour défier les autorités de son pays ; au Burkina Faso nombre de filles ont lancé la tendance crâne rasé, une posture au départ "pratique" devenue un choix corporel ; et on ne compte plus les artistes de la scène, blondes ou brunes, qui par désir de plus de notoriété ou par réaction aux paparazzis comme la star Britney Spears sont apparues en public sans cheveux... 

Avec un parti-pris intimiste, Laurence Michel conduit chacun-e à se demander : et moi comment réagirais-je ? Lors des projections publiques de son film, les questionnements, interpellations, ont été fort nombreux. Son prochain film ? Un documentaire sur L'école des filles de joie, que l'on rencontre dans Ronde Bosse, et qui se présente ainsi : "la 1ère école de Cabaret et d'Effeuillage Burlesque, Art-thérapie, Usine à Pures Meufs". A suivre...

Je me trouve bien plus féminine avec les cheveux rasés
Laurence Michel

Le choix de vous raser a-t-il été induit par le projet du film ?

Laurence Michel, cinéaste
La réalisatrice Laurence Michel

Laurence Michel : Je m’étais rasé les cheveux voilà déjà vingt ans. Et je suis allée voir ma mère. Quand elle a vu mon crâne rasé, elle a pleuré. Cette réaction, à laquelle je ne m’attendais pas, m’a beaucoup touchée. J’ai tout de même gardé ma tête rasée pendant deux ou trois ans, et puis j’ai laissé pousser mes cheveux. Je sentais les regards, pas forcément malveillants, mais pas toujours bienveillants. C’est mal vu une fille aux cheveux rasés.
Dans le cadre d’une formation de documentariste aux Ateliers Varan, on m’a demandé un projet personnel. Cela correspondait à un moment où je voulais à nouveau me raser les cheveux et j’hésitais à le faire. Ca a été le facteur déclenchant et donc je me suis rasée avec l’idée de faire un film autour de la féminité et de la chevelure.

Cette envie de vous raser, d’où vous vient-elle ? D’un refus de la féminité ?

LM - Pas du tout. J’ai juste cette envie de me raser les cheveux. Je me trouve bien plus féminine avec les cheveux rasés. Pour moi, une femme aux cheveux rasés, ce n’est pas quelqu’un de malade, je n’y vois qu’une autre coiffure. Et j’ai envie de positiver l’image de la femme rasée.

Vous n’avez donner la parole qu’à des femmes dans votre film. Il n’y a pas de réaction masculine. C’était un parti-pris ?

LM - Le film s’adresse aux femmes. Et je me voyais plus échanger à propos de la chevelure féminine avec des femmes qu’avec des hommes. Même si certains hommes ont une part de féminité en eux.

Certaines de vos interlocutrices disent que voir une femme rasée est violent. Vous vivez ce regard au quotidien ?

LM - Il y a plus de regards intrigués que de réactions violentes. On me dit par exemple sans faire attention : bonjour Monsieur. Ce n’est pas violent, mais les gens n’ont pas l’habitude de voir des femmes rasées. C’est un refus de leur imaginaire d’envisager que les femmes puissent se raser. Et donc, c’est cette répétition qui devient une violence pour moi. Ca me confronte à ma propre image, ma représentation alors qu'en réalité, elle est très simple. C’est usant, fatiguant. J’aimerais que ce soit une représentation de la femme qui soit acceptée.  

Et pourtant, par exemple, certaines stars l’ont fait !

LM - J’ai fait beaucoup de recherches pour le film. Britney Spears l’a fait et on a dit oh là là une femme blonde qui se rase. Dans des films hollywoodiens aussi, par exemple Demi Moore qui part à la guerre ou Nathalie Portman qui se fait interner, ou encore, dans Allien, Sigourney Weaver, pour cause de choléra… En fait presque toujours dans des films de science fiction et pour des motivations négatives.

Une des raisons pour laquelle ma mère a pleuré, c’est parce que, même si elle ne l’avait pas vécue, ma tête rasée l’a renvoyée à la guerre. Moi je ne parle pas de ça, volontairement. Aujourd’hui, c’est important d’affirmer qu’une femme rasée, c’est une femme. Je propose une autre vision.

Et la maladie, le cancer ? Vous en parlez en revanche…

LM - J’ai rencontré Deborah qui avait 33 ans, qui a su assez vite qu’elle serait guérie et qui était donc prête à accepter les effets de la chimiothérapie. Quand elle a perdu ses cheveux, pas rasé mais perdus, elle s’est trouvée très féminine, peut-être même encore plus.

Et le geste politique, comme en Iran, où une jeune femme s’est rasée et photographiée pour protester contre l’obligation du port du voile ?

LM - Pourquoi les cheveux sont-ils considérés comme la quintessence de la féminité de la femme ? Je me disais, je suis une femme et je me rase le crâne. Je peux le faire parce que je suis dans un pays où je suis libre de le faire. On m’avait encouragée à aller voir des musulmanes qui portent le foulard, des juives orthodoxes qui mettent une perruque, des religieuses catholiques voilées…. Mais c’était trop. Ce n'était pas le propos.
Et puis je me suis rendue compte que je prenais le problème à l’envers. Je pensais aller voir toutes ces femmes pour recueillir leur parole avant de me raser moi même. Et je me aperçue que ça ne fonctionnait pas. Tant que je n’avais pas le crâne rasé, je n’arrivais pas moi-même à en parler. Vis-à-vis d’elles, il fallait que je le fasse.
L’une des jeunes coiffeuses dans le film m’a même dit au téléphone que ce que je faisais était très courageux. Et en ce qui la concerne, c’est ce passage à l’acte qui a fait qu’elle a accepté de me parler. J’ai ce petit courage dans notre grande démocratie…

Et oui ça peut être considéré comme une provocation, j’en suis consciente. Et si ça peut susciter des réactions, des réflexions sur la représentation de la femme. Alors oui. C’est ce que je veux faire. Tant mieux.

Lors des projections, il y a eu des réactions, beaucoup. Un jeune homme est venu me voir et m’a dit « votre film m’a fait beaucoup de bien ». Il avait eu une amie qui avait perdu ses cheveux à cause d’un cancer. Des femmes m’ont dit avoir pensé pendant des jours et des jours à ce film après l’avoir vu...
 

> Remerciements aux Ateliers Varan pour la vidéo de Ronde Bosse