Fil d'Ariane
Je me trouve bien plus féminine avec les cheveux rasés
Laurence Michel
Le choix de vous raser a-t-il été induit par le projet du film ?
Laurence Michel : Je m’étais rasé les cheveux voilà déjà vingt ans. Et je suis allée voir ma mère. Quand elle a vu mon crâne rasé, elle a pleuré. Cette réaction, à laquelle je ne m’attendais pas, m’a beaucoup touchée. J’ai tout de même gardé ma tête rasée pendant deux ou trois ans, et puis j’ai laissé pousser mes cheveux. Je sentais les regards, pas forcément malveillants, mais pas toujours bienveillants. C’est mal vu une fille aux cheveux rasés.
Dans le cadre d’une formation de documentariste aux Ateliers Varan, on m’a demandé un projet personnel. Cela correspondait à un moment où je voulais à nouveau me raser les cheveux et j’hésitais à le faire. Ca a été le facteur déclenchant et donc je me suis rasée avec l’idée de faire un film autour de la féminité et de la chevelure.
Cette envie de vous raser, d’où vous vient-elle ? D’un refus de la féminité ?
LM - Pas du tout. J’ai juste cette envie de me raser les cheveux. Je me trouve bien plus féminine avec les cheveux rasés. Pour moi, une femme aux cheveux rasés, ce n’est pas quelqu’un de malade, je n’y vois qu’une autre coiffure. Et j’ai envie de positiver l’image de la femme rasée.
Vous n’avez donner la parole qu’à des femmes dans votre film. Il n’y a pas de réaction masculine. C’était un parti-pris ?
LM - Le film s’adresse aux femmes. Et je me voyais plus échanger à propos de la chevelure féminine avec des femmes qu’avec des hommes. Même si certains hommes ont une part de féminité en eux.
Certaines de vos interlocutrices disent que voir une femme rasée est violent. Vous vivez ce regard au quotidien ?
LM - Il y a plus de regards intrigués que de réactions violentes. On me dit par exemple sans faire attention : bonjour Monsieur. Ce n’est pas violent, mais les gens n’ont pas l’habitude de voir des femmes rasées. C’est un refus de leur imaginaire d’envisager que les femmes puissent se raser. Et donc, c’est cette répétition qui devient une violence pour moi. Ca me confronte à ma propre image, ma représentation alors qu'en réalité, elle est très simple. C’est usant, fatiguant. J’aimerais que ce soit une représentation de la femme qui soit acceptée.
Et pourtant, par exemple, certaines stars l’ont fait !
LM - J’ai fait beaucoup de recherches pour le film. Britney Spears l’a fait et on a dit oh là là une femme blonde qui se rase. Dans des films hollywoodiens aussi, par exemple Demi Moore qui part à la guerre ou Nathalie Portman qui se fait interner, ou encore, dans Allien, Sigourney Weaver, pour cause de choléra… En fait presque toujours dans des films de science fiction et pour des motivations négatives.
Une des raisons pour laquelle ma mère a pleuré, c’est parce que, même si elle ne l’avait pas vécue, ma tête rasée l’a renvoyée à la guerre. Moi je ne parle pas de ça, volontairement. Aujourd’hui, c’est important d’affirmer qu’une femme rasée, c’est une femme. Je propose une autre vision.
Et la maladie, le cancer ? Vous en parlez en revanche…
LM - J’ai rencontré Deborah qui avait 33 ans, qui a su assez vite qu’elle serait guérie et qui était donc prête à accepter les effets de la chimiothérapie. Quand elle a perdu ses cheveux, pas rasé mais perdus, elle s’est trouvée très féminine, peut-être même encore plus.
Et le geste politique, comme en Iran, où une jeune femme s’est rasée et photographiée pour protester contre l’obligation du port du voile ?
LM - Pourquoi les cheveux sont-ils considérés comme la quintessence de la féminité de la femme ? Je me disais, je suis une femme et je me rase le crâne. Je peux le faire parce que je suis dans un pays où je suis libre de le faire. On m’avait encouragée à aller voir des musulmanes qui portent le foulard, des juives orthodoxes qui mettent une perruque, des religieuses catholiques voilées…. Mais c’était trop. Ce n'était pas le propos.
Et puis je me suis rendue compte que je prenais le problème à l’envers. Je pensais aller voir toutes ces femmes pour recueillir leur parole avant de me raser moi même. Et je me aperçue que ça ne fonctionnait pas. Tant que je n’avais pas le crâne rasé, je n’arrivais pas moi-même à en parler. Vis-à-vis d’elles, il fallait que je le fasse.
L’une des jeunes coiffeuses dans le film m’a même dit au téléphone que ce que je faisais était très courageux. Et en ce qui la concerne, c’est ce passage à l’acte qui a fait qu’elle a accepté de me parler. J’ai ce petit courage dans notre grande démocratie…
Et oui ça peut être considéré comme une provocation, j’en suis consciente. Et si ça peut susciter des réactions, des réflexions sur la représentation de la femme. Alors oui. C’est ce que je veux faire. Tant mieux.
Lors des projections, il y a eu des réactions, beaucoup. Un jeune homme est venu me voir et m’a dit « votre film m’a fait beaucoup de bien ». Il avait eu une amie qui avait perdu ses cheveux à cause d’un cancer. Des femmes m’ont dit avoir pensé pendant des jours et des jours à ce film après l’avoir vu...
> Remerciements aux Ateliers Varan pour la vidéo de Ronde Bosse