« Tumeur à Gaza », documentaire loin de tout misérabilisme ou manichéisme, réalisé par Aline Fontaine et Caroline Leduc, révèle le quotidien de femmes atteintes du cancer du sein dans la bande de Gaza. Une maladie taboue sur un territoire enclavé et soumis à une guerre larvée. Rencontre avec les réalisatrices
« Il n’ y a pas que la guerre à Gaza et les Palestiniens ne sont pas tous des terroristes », déclare Aline Fontaine.
« Il y a aussi des femmes, malades, qui voudraient juste vivre», précise Caroline Leduc. Ces deux journalistes reporter d'images (JRI) ont passé trois semaines dans la bande de Gaza, en octobre 2014. A l’origine du projet, Aline Fontaine, lauréate du prix Rotary 2014 qui finance le premier documentaire de jeunes JRI, s’est demandée :
« Quand on est malade à Gaza, comment fait-on pour se soigner ? » Après plusieurs mois de recherches sur le sujet, elle décide d’y répondre à travers les femmes atteintes du cancer du sein, maladie taboue sur le territoire, responsable du décès d’une femme sur deux chaque année, contre 10% en occident.
« Les sujets sur les femmes dans le monde arabe sont assez rares. D’autant plus quand ce sont elles qui prennent directement la parole ». Avant d’ajouter :
« C’était un moyen de faire connaître ces femmes, d’entrer dans leur intimité, et aussi de leur rendre hommage. »
Sur place, les journalistes découvrent des femmes
« très ouvertes » à l'idée d'échanger avec deux autres femmes. Elles rencontrent d'abord Nadia, 50 ans, à un cours de Yoga, et Nedaa, 38 ans, toutes deux atteintes du cancer du sein. Insherah, 42 ans, seule avec trois enfants, se rendait à l’hôpital pour son premier dépistage.
« Nedaa, la seule émancipée des trois, est issue d’un milieu plus éduqué aux médias européens. Elle a mis un peu plus de temps à se livrer. Mais ces femmes étaient toutes heureuses qu’on s’intéresse à elles. Car même à Gaza, personne ou presque ne se soucie de ces femmes et de leur état de santé », explique Aline Fontaine.
Un mois pour un visa
Ce reportage recueille des témoignages uniques de femmes qui n’ont d’autres choix que de vivre leur maladie au rythme du conflit israélo-palestinien. Entre les périodes de guerre, où les moyens sont concentrés pour traiter l’urgence - le cancer du sein n'en est pas une à Gaza -, et le blocus imposé depuis 2007 par Israël à la bande de Gaza, qui freine l'acheminement des aides internationales.
La première source d’inquiétude de ces femmes atteintes du cancer du sein est donc l'accès à leur traitement. L’hôpital public Al Shifa doit s'adapter aux pénuries chroniques de doses de chimiothérapie, toujours acheminées en très faibles quantités. Seules les trente premières femmes sur liste d'attente reçoivent le traitement .
« Pas une de plus », précise Caroline Leduc. Quant aux doses vendues en pharmacie, elles coûtent 350 euros l’unité.
« La sécurité sociale n’existe pas à Gaza, et ces femmes ne vivent qu’avec 1,50€ par jour ». Le manque d’équipement dans les hôpitaux est une autre source d’inquiétude. Seulement 3000 femmes sur 150 000 peuvent se faire dépister chaque année, en passant une mammographie à l’hôpital privé Al Ahli, grâce à un programme financé par une association australienne. Pour un examen plus complet ou pour recevoir un autre traitement comme une radiothérapie qui n’existe pas à Gaza, ces femmes doivent se rendre en Israël avec une autorisation de transfert.
« Elles attendent parfois un mois pour avoir une réponse, sans aucune certitude d’obtenir ce laissez-passer ».
Peur d’attraper le cancer
Ces femmes subissent aussi des pressions sociales sur leur territoire, au sein de leurs familles.
« Il y a un énorme blocage psychologique sur cette maladie », explique Aline Fontaine. Des ateliers de sensibilisation ont été mis en place il y a deux ans, également financés par l’association australienne. Animés par des Palestiniennes, celles-ci n’hésitent pas à faire du porte-à-porte pour informer les femmes
« dont l'immense majorité ne connaît rien à cette maladie ».
Dans cette société patriarcale, les femmes doivent s’occuper du foyer. Si elles tombent malades, elles sont le plus souvent délaissées par leur époux, qui redoute que le cancer soit contagieux pour eux ou pour leurs futurs enfants, en partageant le même lit que leur femme. Depuis quelques mois, de futurs éducateurs sont formés pour sensibiliser les Gazaouis sur la maladie.
« Tout prend beaucoup de temps à Gaza », souligne Aline Fontaine. Et
« l’exemple d’Abu Khaled (dans le reportage)
, le mari de Nadia, à ses côtés à chaque instant, fait figure d’exception. »Un documentaire exceptionnel diffusé sur Arte, le 25 avril à 18h35, heure de Paris
« Tumeur à Gaza », documentaire d’Aline Fontaine et de Caroline Leduc, diffusé le 25 avril 2015 à 18h35 sur Arte reportage.