Fil d'Ariane
Même si la fibromyalgie a été reconnue par l'OMS en 1992, et touche 1,4 à 2,2% de la population française; cette pathologie est un véritable casse-tête pour le personnel soignant. Au point qu’en 2010, un rapport de la Haute Autorité de Santé, a qualifié les patient.e.s atteint.e.s de fibromyalgie de « heartsink » que l'on peut traduire par « désespérant.e.s », « exaspérant.e.s » et qui « littéralement noient ou font sombrer sombrer les médecins ». En consultation, elles.ils se plaignent souvent de douleurs aux jambes, au dos, aux bras, de fatigue, de troubles de la concentration, du sommeil et les résultats de leurs examens médicaux ne révèlent rien.
C'est comme ça, la fibromyalgie ça ne se voit pas. Mais ce n'est pas parce qu'on ne voit rien qu'il n'y a rien. Comme l'expliquent les spécialistes de la fibromyalgie, chez certaines personnes, le système nerveux - et notamment celui de la douleur - est hyper sensible. C'est à dire que ces patient.e.s ont mal quand elles font des gestes qui normalement ne devraient pas les faire souffrir comme prendre une assiette, conduire, se brosser les dents…
Aujourd’hui, malgré les recherches sur la fibromyalgie, des médecins méconnaissent cette pathologie et/ou se montrent sceptiques à son égard. En l'absence de preuve tangible, c’est-à-dire sans lésion constatable pour expliquer leurs symptômes, de nombreuses personnes atteintes de fibromyalgie se trouvent dans une errance médicale. Encore plus si celles-ci sont des femmes.
«Les représentations sociales autour de la douleur desservent les femmes, grandes utilisatrices de soins, supposées trop expressives, et avantagent les hommes qui consultent moins souvent et sont censés être plus stoïques face à la souffrance. Du coup, quand ils franchissent la porte des cabinets médicaux, ils sont en général pris plus au sérieux », explique Annie-Pierre Bélanger sociologue, chercheuse féministe canadienne, autrice d’un essai sur la fibromyalgie et qui constate que les femmes atteintes de cette pathologie sont souvent perçues comme des malades imaginaires.
Comme Michèle, 50 ans et Christine, 54 ans, qui après certaines crises de fibromyalgie très douloureuses, ont été sommées par des soignant.e.s de reprendre leur travail sur le champ. Si on a mal c'est qu'on est par nature « plaintives », « douillettes», ajoute Christine, qui souffre de douleurs depuis son adolescence. Face à certain.e.s soignant.e.s, ces femmes rapportent qu’elles ont dû adapter leurs comportements et l’expression de leurs symptômes : ne pas se montrer trop expansives, exprimer ses symptômes sans trop se plaindre. « C’est un véritable casse-tête. Avant je parlais de mes douleurs sans en faire trop. Je me suis rendue compte que cela ne jouait pas en ma faveur. Alors j’ai commencé à être plus démonstrative pour que l’on me croit», explique Marine, 33 ans, qui tient une page facebook sur la fibromyalgie.
Toujours rechercher la bonne mesure, c’est ce que rapporte également de son côté Christine : « Si je posais trop de questions, on marquait sur mon compte rendu médical que j’étais une rebelle et si j’exposais mes douleurs, on marquait “Christine, comme toutes les personnes de sexe féminin, a mal”». «Il ne faut pas oublier que le corps des femmes est fortement pathologisé. Leurs phases de vie sont considérées comme des maladies (règles, grossesse, accouchement, ménopause). Avoir mal quand on est une femme, c’est normal. Comme il n’y a pas d’assise biologique à cette maladie, et que beaucoup de femmes sont concernées par la fibromyalgie, certain.e.s soignant.e.s trouvent d’autres raisons. Elles ont recours à des préjugés sexistes pour minorer ces douleurs et/ou convoquent la psychologie pour les expliquer », explique Annie-Pierre Bélanger.
En consultation, certaines femmes doivent prouver qu’elles ne sont pas mentalement malades mais physiquement malades.« On m’a souvent dit que toutes mes douleurs étaient dans ma tête. Mais je savais qu’elles étaient bien réelles. Je savais que je ne somatisais pas un traumatisme », explique Marie, 47 ans, psychologue et diagnostiquée fibromyalgique en 2016. Cette psychiatrisation abusive de la pathologie, Marie n’est pas la seule à l’avoir observée. Marine, Michèle, Christine, toutes témoignent de la récurrence de cette explication dans la bouche des médecins. Au point que certaines ont fini par s’en convaincre. « On vous répète à longueur de temps que c’est dans votre tête, à la fin vous y croyez. C’est parole contre parole. Et là, ça devient le début de l’enfer, vous commencez à accepter des douleurs que personne ne supporterait », raconte Michèle, 50 ans.
Même si certains traumatismes (violences sexuelles, conjugales) peuvent engendrer de la fibromyalgie, comme le montrent plusieurs recherches anglaises et israéliennes à ce sujet, cette pathologie ne serait pas purement psychologique. L’expertise collective de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) publiée en octobre 2020 révèle que la fibromyalgie rejoindrait le modèle des maladies biopsychosociales. C’est à dire qu’aux facteurs psychologiques et sociaux s'ajoutent des causes biologiques. Une approche globale qui est loin de faire l’unanimité.
Certain.e.s soignant.e.s considèrent encore aujourd’hui cette maladie comme une forme moderne d’hystérie. D’ailleurs, on retrouve ce terme dans l’étude sur la fibromyalgie de l’INSERM, dans la liste des facteurs psychologiques identifiés comme impliqués dans la survenue de cette pathologie. Et ce, alors que l’hystérie a été officiellement retirée de la liste du Manuel de diagnostic des troubles mentaux, l'ouvrage de référence de l'Association américaine de Psychiatrie, en 1980. Au cours de son parcours médical et avant d’être diagnostiquée fibromyalgique, Marie a été par deux fois qualifiée d'hystérique. Un terme qui a mis la puce à l’oreille à cette psychologue : « C’est à ce moment là que je me suis dit qu’il y avait un problème avec la perception de cette pathologie. J’y ai vu un sexisme flagrant de la part des soignants qui, confrontés à une maladie méconnue, convoquent la folie ».
« On ne s’en sort pas, soit on nous dit qu’on en fait trop, soit que c’est dans notre tête, soit que c’est normal, jamais on prend la mesure de nos douleurs et de ce qu’elles engendrent comme conséquences dans notre vie quotidienne», souligne Marie. Même diagnostiquées fibromyalgiques après un long parcours de combattantes, rien n’est terminé pour ces femmes. Cette pathologie n’étant pas reconnue comme une affection longue durée par l’Assurance maladie, elles continuent de subir la charge mentale, s’occuper des tâches ménagères et à travailler sans recevoir d’aides et ce, malgré les douleurs. Et gare à celles qui ne tiendraient pas leur rôle.
Dans leur sphère privée, les femmes subissent également le sexisme liée à cette pathologie. «Un membre de ma famille m’a dit qu’il fallait que je m’écoute moins et que je m’occupe plus de mon mari. Pour moi, cela revenait à me dire que je mentais, que mes douleurs étaient un prétexte pour ne rien faire», raconte Christine. Comme si au travers de cette pathologie, elles cherchaient à se rebeller contre le système patriarcal.
Si certaines ont pu continuer à travailler, d’autres comme Christine ont été contraintes d’arrêter. «Je suis partie en retraite anticipée de la fonction publique parce que le comité médical a refusé mon congé maladie. Aujourd’hui, je complète mes revenus en écrivant des chroniques sur l’espace, mais j’ai encore des fins de mois difficiles ».
Obligées dans de nombreux cas d'arrêter leur profession, les femmes atteintes de fibromyalgie se retrouvent dans une situation de dépendance économique à leurs conjoint.e.s ce qui peut déclencher des violences envers elles. C’est le cas de Martine, 51 ans, diagnostiquée en septembre 2018. « Dès lors que j’ai arrêté de travailler, il a commencé à se montrer violent envers moi. Je ne pouvais pas partir car j’étais dépendante financièrement de lui. Si on m’avait reconnue en tant que fibromyalgique, j'aurais eu une aide financière et j'aurais pu le quitter plus rapidement ».
Campagne de communication sur la fibromyalgie organisée par la Société française d'étude et de traitement de la douleur (SFETD) et l’association Fibromyalgie France, contemporaine de l’expertise collective Inserm , dans le cadre de la Journée mondiale de la fibromyalgie le 12 mai 2021
Aujourd’hui, seul progrès notable pour la reconnaissance de cette pathologie, l’élaboration en 2017 d’une fiche technique sur la fibromyalgie indiquant ses symptômes et son diagnostic publiée sur le site de l’Assurance Maladie.
Une situation qui, selon Annie-Pierre Bélanger, pourrait évoluer dans les prochaines années puisque l’INSERM vient de révéler que les hommes étaient autant touchés par cette pathologie que les femmes. « Cette prévalence va certainement donner de meilleures chances aux patient.e.s d'être reconnu.e.s et d’avoir des traitements plus efficaces. Cette pathologie va être plus prise aux sérieux parce qu’il a été montré que des hommes en sont atteints. Et ça, pour moi, c’est une démonstration évidente du sexisme en santé », commente Annie-Pierre Bélanger.
Le sexisme, comme tous le systèmes d’oppression, le racisme, le validisme, l’homophobie... perdure dans le milieu médical et conduit à des situations d’inégalités et de discrimination dans le diagnostic et la prise en charge médicale. Pour les combattre, les études féministes à ce sujet sont importantes. «Elles permettent de traquer les biais sexistes dans les recherches médicales », explique la chercheuse canadienne qui insiste sur l’importance de la santé dans le combat des femmes. «C’est la première chose dont on a besoin pour atteindre les autres éléments qui nous permettront d’accéder à notre autonomie et à une société égalitaire».