Fil d'Ariane
Amanda Zurawski a failli mourir de choc septique, car au Texas, les médecins ont refusé de lui faire une IVG. Tammi Kromenaker, elle, dirige une clinique où l'on pratique l'avortement, au Minnesota. Deux visages d'une lutte pour un droit en péril aux Etats-Unis.
Une fillette brandit une pancarte indiquant que l'avortement est un droit de santé lors d'un rassemblement à Raleigh, N.C., le samedi 13 mai 2023.
Amanda Zurawski a failli mourir en attendant un avortement qu'elle ne voulait pas, mais dont elle avait désespérément besoin et que des médecins du Texas lui refusaient. Elle a décidé de raconter son expérience douloureuse dans l'espoir de faire reculer certains opposants à l'avortement.
En juin 2022, au moment où la Cour suprême des Etats-Unis annule le droit constitutionnel à l'avortement, Amanda Zurawski, 36 ans, célèbre sa grossesse tant attendue, après 18 mois de traitement de fertilité.
Deux mois plus tard, elle remarque un problème. Une fois à l'hôpital, les médecins lui annoncent que son col de l'utérus est dilaté, après seulement 18 semaines de grossesse. Elle apprend qu'une fausse couche est "inévitable", le foetus n'étant pas viable. La seule solution pour éviter les complications : mettre un terme à la grossesse. Mais le Texas, comme de nombreux Etats, interdit les avortements à de rares exceptions près depuis la décision de la Cour suprême. Après six semaines, l'IVG n'est pas autorisé, à moins que la vie de la mère ne soit en danger.
J'ai donc dû attendre que ma vie soit en danger. Amanda Zurawski
"Le coeur du bébé battait toujours" et les soignants n'ont pas le droit de lui fournir la procédure dont elle a tant besoin, se souvient-elle. "J'ai donc dû attendre que ma vie soit en danger." Au bout de trois jours, Amanda Zurawski fait un choc septique. Elle passe plusieurs jours en soins intensifs, à combattre l'infection.
En plus du traumatisme, elle ne sait pas si elle "pourra tomber de nouveau enceinte". La septicémie a créé une masse de tissu fibreux dans son utérus et sur l'une de ses trompes de Fallope. Le couple a depuis recours à des fécondations in vitro.
En parallèle, Amanda Zurawski a décidé de dédier sa vie à une cause : l'accès à l'avortement. Elle en veut aux responsables conservateurs qui ont poussé sans relâche, au Texas, comme dans le reste des Etats-Unis, pour davantage de restrictions au droit à l'avortement.
Je ne rentre pas dans cette case. Je fais partie de la population qui, selon eux, n'aura jamais besoin d'un avortement. Amanda Zurawski
"J'ai failli mourir à cause de vous", s'insurge-t-elle. "Ils disent qu'ils font cela parce qu'ils sont pro-vie, mais je ne comprends pas ce qui est pro-vie dans tout cela".
En tant que femme blanche, mariée et insérée dans la vie active, son profil met les républicains mal à l'aise selon elle. "Ils essaient de dépeindre les personnes ayant besoin d'une IVG comme de jeunes femmes de couleur, célibataires, et sans éducation", assène-t-elle. "Je ne rentre pas dans cette case. Je fais partie de la population qui, selon eux, n'aura jamais besoin d'un avortement."
Selon Amanda Zurawski, les restrictions toujours plus fortes sur les droits à l'IVG dans des endroits comme le Texas signifient que davantage de femmes vont souffrir. "Des gens vont en mourir", prédit-elle.
Jeune fille, Tammi Kromenaker était anti-avortement et affichait fièrement un autocollant "Dieu est pro-vie" dans sa chambre d'étudiante. Aujourd'hui, cette Américaine de 51 ans dirige une clinique d'avortement qu'elle a dû transférer l'été dernier de la ville de Fargo, dans le très conservateur Dakota du Nord, vers Moorhead, dans le plus progressiste Minnesota.
Elle a beau militer depuis presque 25 ans, les derniers mois lui ont fait l'effet de "montagnes russes", confie-t-elle dans son bureau à la Red River Women's Clinic. À la veille de la décision de la Cour suprême, elle signe les papiers pour le nouveau bâtiment. Une cagnotte participative en ligne, lancée par des sympathisants, atteint l'incroyable somme d'un million.
Les travailleurs de l'entreprise de déménagement déchargent des boîtes pour la Red River Women's Clinic, anciennement de Fargo, dans un immeuble commercial à Moorhead, Minnesota, le 5 août 2022. Les avocats de la Red River Women's Clinic et plusieurs médecins ont déposé plainte le lundi 12 juin 2023 devant le tribunal de district de l'État.
Comment la jeune "fille blanche plutôt privilégiée" et anti-IVG, née dans une famille catholique de la banlieue de Minneapolis, en est-elle venue au militantisme?
Et mon cerveau de jeune fille de 17-18 ans, qui pensait en noir et blanc, (se disait) ils tuent des bébés ! Tammi Kromenaker, directrice de la clinique Red River Women's Clinic
Toute jeune, elle fréquente un garçon à "l'air cool" mais qui devient vite "accro à Jésus, très évangélique". Elle se souvient notamment d'un livre qu'on lui donne à l'époque, "avec un foetus sur la couverture". "Et mon cerveau de jeune fille de 17-18 ans, qui pensait en noir et blanc, (se disait) ils tuent des bébés !", explique-t-elle avec un ton à la fois bienveillant et légèrement moqueur pour l'adolescente qu'elle était.
Mais "tout change" à l'université, lorsqu'une amie proche tombe enceinte. "Mais elle ne peut pas avoir de bébé?", se dit-elle. Alors elle la soutient, lui envoie de l'argent pour l'avortement. Et elle se met à réfléchir. Combien d'autres certitudes doit-elle repenser? Pour sa deuxième année à l'université, elle suit un cours sur le féminisme. C'est le début du processus qui la mènera à travailler dans le milieu, puis à diriger sa propre clinique.
Même si son établissement est dans le Minnesota, Tammi Kromenaker vit toujours dans le Dakota du Nord.
L'Etat avait prévu une loi dite "gâchette", rédigée pour entrer en vigueur automatiquement aussitôt la jurisprudence modifiée. Le texte a été amendé et promulgué par le gouverneur. Rejointe par des médecins du Dakota du Nord, Tammi a répliqué, amendant elle aussi sa plainte contre le texte.
Ne croyez pas que ce soit fini ! Tammi Kromenaker
"Nous allons quand même continuer à nous battre, aussi longtemps que nous le pourrons", dit-elle. Et même si elle ne voit aucun dénouement "facile de sitôt", "nous allons trouver une solution", veut-elle croire. "Ne croyez pas que ce soit fini!", lance-t-elle.
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