Fil d'Ariane
"Aucune femme ne recourt de gaîté de coeur à l'avortement", disait Simone Veil en 1974. Mais rien n'arrête une femme qui a décidé d'avorter. Pas même la loi. Dans les pays où l'interruption volontaire de grossesse est interdite, les actes clandestins font trop de victimes. Les organisations humanitaires se mobilisent.
Le cintre, symbole d'avortements dangereux et illégaux, lors d'une marche pour la Journée de la femme à Lisbonne, le 8 mars 2023.
Certaines s'enfoncent des oignons dans l'utérus, d'autres se mutilent le ventre ou ingèrent de l'acide, déterminées à avorter coûte que coûte. Face à ces actes désespérés, des organisations internationales s'emparent de la question des interruptions volontaires de grossesse, trop souvent occultée par d'autres urgences – conflit, crise humanitaire, épidémie...
Et pourtant, le bilan a de quoi choquer et alerter : dans le monde, en 2023, une femme meurt toutes les neuf minutes des suites d’un avortement clandestin. Selon l’Organisation mondiale de la santé, entre 39 000 et 47 000 femmes décèdent chaque année des suites d’une IVG non médicalisée.
Il y a des adolescentes qui veulent poursuivre leurs études, des femmes violées, d'autres qui pensaient être ménopausées ou qui ont déjà quatre enfants... Clémence Chbat
"Je n'oublierai jamais cette jeune femme à qui j'ai dit non pour un avortement, elle était paniquée. Je n'ai jamais su ce qui lui était arrivé", se souvient Nadia, employée d'une organisation non gouvernementale. Elle témoigne sous pseudonyme et sans préciser le pays où elle travaille, car l'avortement y est illégal. D'autres membres d'organisations humanitaires racontent, à Paris ou par téléphone, avoir vu des vies brisées par une grossesse non désirée, à l'issue parfois tragique.
Quand on ne fournit pas le service, les femmes arrivent avec des hémorragies. Clémence Chbat
Le cintre, symbole des avortements illégaux lors d'une manifestation à Los Angeles, le 24 juin 2022. Les démocrates et leurs sympathisants ont collecté plus de 80 millions de dollars en une semaine après la décision de la Cour suprême privant les femmes du droit constitutionnel à l'IVG.
La condamnation en mars en Pologne de la cofondatrice de l'organisation Abortion Dream Team pour avoir fourni des pilules abortives à une femme enceinte illustre les risques auxquels s'exposent les ONG, locales et internationales. "Pendant des années ça s'est fait, de façon parfois confidentielle", raconte Isabelle Defourny. Puis en 2017, Médecins sans frontières a lancé une équipe sur le terrain "affichant l'objectif de rendre accessibles ces avortements sécurisés".
Plusieurs des employées humanitaires interrogées décrivent des zones grises, des pratiques discrètes et souvent la tolérance tacite des autorités. Il y a cette femme qui prétexte le vaccin d'un petit-fils pour consulter pour un avortement. Cette autre qui, à plus de 60 ans, prend rendez-vous avec un gynécologue pour une IVG, pour sa belle-fille.
Il y a la conscience personnelle, la conscience professionnelle, et il y a ce que dit la loi... Ca pèse sur les consciences. Nadia, pseudonyme
"Il y a la conscience personnelle, la conscience professionnelle, et il y a ce que dit la loi, ça pèse sur les consciences. On touche à quelque chose qui est illégal et nous travaillons de près avec les autorités locales. Donc on ne se positionne pas en tant que ONG, mais juste en tant que blouse médicale", raconte Nadia.
Quand elle ne peut fournir directement d'accès à l'avortement, elle oriente vers d'autres structures sûres.
"La peur de l'après" est aussi présente pour des humanitaires, qui peuvent être en contrats à durée déterminée sur de petits territoires "où tout le monde se connaît" et où pèse le risque d'être étiqueté pro-avortement, dit-elle. Les ONG interrogées, elles, disent organiser des formations de sensibilisation en interne pour déconstruire les réticences. L'ambition de Médecins du monde est d'intégrer en 2025 l'avortement dans son kit de soins de base, en "s'appuyant sur les recommandations de l'OMS".
L'avortement "ne représente qu'environ 20% de nos projets et ce n'est pas encore passé dans la pratique", estime pour sa part Isabelle Defourny. Comment rendre l'avortement accessible de façon beaucoup plus large ?", notamment en situation d'urgence, sous des tentes où la confidentialité n'est pas toujours possible ? "Ce n'est pas une question qu'on a tranchée", conclut-elle.
Avorter reste strictement interdit dans 24 pays, autorisé pour raison de santé dans 49 pays, et pour sauver la vie de la mère dans 41 pays.