Fil d'Ariane
Ce 78ème palmarès de la célèbre Mostra confirme que la reconquête des femmes dans le monde du cinéma est en route, surtout quand elles sont derrière la caméra. Festival après festival, les réalisatrices se hissent en haut du podium, quatre ans après l'affaire Weinstein et un début d'examen de conscience nécessaire du 7e art.
En juillet 2021, le Festival de Cannes distinguait une jeune réalisatrice française, Julia Ducournau, 37 ans, Palme d'Or avec Titane, un film qualifié à la fois d'ovni et de féministe. L'an dernier, dans un contexte terne pour cause de pandémie, la Mostra devançait déjà l'appel en choisissant de couronner Chloé Zhao, 39 ans, pour Nomadland. Un Lion d'Or, une récompense qui lui ouvrait la voie vers le triomphe aux Oscars quelques mois plus tard où elle décrochait la statuette dorée.
Pour la deuxième année consécutive, Venise choisit donc à nouveau une réalisatrice en élisant à l'unanimité du jury, présidé par le réalisateur sud-coréen Bong Joon-Ho, le film L'événement, d'Audrey Diwan.
"Quelque chose est en train de changer. Une femme a gagné l'Oscar, une femme a gagné la Palme d'or, une femme a gagné le Lion d'Or. Ca signifie forcément quelque chose, ça ne peut pas être le hasard", a déclaré en recevant son prix la réalisatrice française de 41 ans.
L'événement est son deuxième film. Romancière et journaliste française d'origine libanaise, elle a co-signé le scénario de plusieurs films dont Bac Nord ou La French de Cédric Jimenez, puis est passée à la réalisation (Mais vous êtes fous). Elle devient la quatrième réalisatrice à recevoir le prix le plus prestigieux à Venise depuis l'an 2000.
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Leone d’Oro per il miglior film / Golden Lion for Best Film:
L’ÉVÉNEMENT di/by Audrey Diwan pic.twitter.com/XAinG0rZJg
"Je voulais que ce soit une expérience", un "voyage dans la peau de cette jeune femme", précise Audrey Diwan, qui dit avoir "fait ce film avec colère et désir".
Son film est tiré du récit autobiographique éponyme de la romancière Annie Ernaux (deuxième adaptation d’Annie Ernaux cette année après Passion simple, NDLR). Il se déroule dans la France des années 1960, avant la légalisation de l'avortement. On y suit le parcours d'une jeune étudiante qui tombe enceinte. Anne, le personnage principal, est formidablement incarné par Anamaria Vartolomei, jeune actrice Franco-Roumaine de 22 ans.
Anne est une étudiante insouciante dans la France du début des années 1960, où l’avortement clandestin est puni de prison pour celles qui le pratiquent comme pour ceux qui les aident à se faire avorter. Il ne sera dépénalisé qu’en 1975 grâce à la loi Veil. La jeune femme découvre qu’elle est enceinte, mais, issue d’un milieu populaire, elle souhaite continuer ses études de lettres, seule chance de se construire un avenir hors de son village natal. Médecins, amis, partenaire, professeur: elle ne trouvera personne pour l’aider.
Son film, « L’événement » (adapté du récit éponyme d’Annie Ernaux) a remporté samedi le Lion d’Or de la Mostra de Venise. @AudreyDiwan, invitée ce matin de la matinale de France Inter, répond aux questions de @LeaSalame pic.twitter.com/rZPkvsridS
— Camilio Daccache (@CamilioDacc) September 13, 2021
"Malheureusement quand vous travaillez sur l'avortement, vous êtes toujours tristement dans l'actualité", explique la cinéaste, qui fait le rapprochement sur France Inter, avec la loi votée récemment au Texas, "je n'imaginais pas qu'une telle loi interviendrait au moment même où nous prenions le chemin de la Mostra", précise-t-elle sur France Inter.
Cadré au plus près du personnage, avec un long plan-séquence durant lequel Anne tente de se faire avorter, L’Événement peut être éprouvant, se voulant au plus près de la réalité et du calvaire enduré par les femmes qui devaient avorter clandestinement, au péril de leur vie. "Mon idée ce n’était pas de regarder Anne mais de tenter d’être elle, de rentrer dans son corps", explique encore la réalisatrice.
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Pour Anamaria Vartolomei, ce rôle est un choix engagé. "Je me suis mise vraiment à sa place. Je me suis dit 'OK, on a 21 ans toutes les deux, qu’est ce que c’est pour une jeune fille'" d’avorter, a expliqué la comédienne, présentée comme une vraie découverte pour le cinéma français. "Moi, j’ai la chance d’avoir des droits, acquis mais qui sont encore fragiles. Je l’ai défendue avec le plus d’intérêt possible, parce que c’est terrible, elle doit choisir entre ses études, sa carrière ou sa vie. C’est injuste !"
Née à Bacau dans le nord-est de la Roumanie, la jeune actrice a vu ses parents partir pour la France à l’âge de deux ans. Le père travaille dans le bâtiment et lorsqu’elle a six ans ses parents gagnent assez d’argent pour la faire venir avec eux, à Issy-les-Moulineaux, en banlieue parisienne. C’est à l’école qu’elle découvre le théâtre avant de s’inscrire à un casting pour un film d’Eva Ionesco, My Little Princess, où elle joue à l’âge de 10 ans. Elle y incarnait la fille d'Isabelle Huppert à l'écran. Le film était inspiré de la vie de la réalisatrice, qui, petite-fille avait posé nue pour sa mère photographe. Douze ans plus tard, "j’ai envie d’attaquer des rôles de plus en plus riches, compliqués, nuancés, casse-gueule, ambigus. Je me sens prête".
Dans le reste du palmarès, plusieurs films sont marqués eux aussi par des thèmes féministes : c'est le cas du Pouvoir du Chien, de Jane Campion, qui a permis à la Néo-Zélandaise de remporter le Lion d’argent - Prix de la meilleure réalisation, 28 ans après sa Palme d'Or pour La leçon de Piano.
Le film, huis clos étouffant dans un monde de cow-boys, avec Benedict Cumberbatch et Kirsten Dunst, aborde la question de la masculinité exacerbée et toxique. "Un mur de Berlin est en train de tomber", a déclaré Jane Campion, à propos de la présence des femmes au palmarès. La réalisatrice présentera son film à Montréal lors du festival du nouveau cinéma (FNC), qui se tiendra du 6 au 17 octobre prochain. Le film sortira en salle le 19 novembre au Canada, puis sera visible sur la plate-forme Netflix à partir du 1er décembre.
Autre femme récompensée à Venise, Maggie Gyllenhaal, avec son film The lost Daughter, adaptation d'un roman d'Elena Ferrante, elle reçoit le Prix du meilleur scénario. Le film dépeint le portrait d'une femme à travers une réflexion sur la difficulté d'être mère.
Le jury a décerné le prix de la meilleure actrice à Penélope Cruz, pour son rôle dans Madres Paralelas, de Pedro Almodovar. L'incontournable cinéaste de la nouvelle vague du cinéma espagnol continue avec son actrice fétiche à célébrer la force des femmes et des mères face à des hommes lâches ou absents. Penélope Cruz incarne une photographe quadragénaire qui tombe enceinte d’un ami archéologue et marié, qui lui a promis de l’aider à retrouver la sépulture de son arrière-grand-père, disparu aux débuts de la guerre civile espagnole. Le scénario croise l'histoire de deux mères ayant accouché le même jour dans la même maternité.
"Merci Pedro, tu as créé une magie, je t’adore", a réagi l’actrice en recevant son prix. Elle a aussi tenu à rendre hommage à ses "deux mères parallèles" : sa maman et sa belle-mère, Pilar, la maman de son compagnon Javier Bardem, décédée il y a deux mois.
Penélope Cruz, premiada con la Copa Volpi a mejor actriz en el Festival de Venecia por MADRES PARALELAS, de Pedro Almodóvar.
— JOSÉ CÁMARA (@EscritorJCamara) September 11, 2021
Lo dedica con cariño a su familia y sus madres: Encarna y la fallecida Pilar Bardem.
Javier se deshace. Cómo la quiere.
¡Felicidades! pic.twitter.com/675NxPMfon