Avortement : un droit fondamental bientôt inscrit dans la Charte de l'Union européenne ?

Faire de l'avortement un droit fondamental. C'est ce que veulent les eurodéputé-e-s qui ont voté en faveur de l'inscription de l'IVG dans la charte des droits fondamentaux de l'UE. Un appel qui sonne comme une réponse à la décision de la Cour suprême américaine qui vient de marquer un retour en arrière historique de ce droit des femmes. Cependant, le sujet divise au sein des 27, et le vote à l'unanimité requise ne semble pas acquis. La présidente du Parlement européen, la Maltaise Roberta Metsola, elle-même, n'a jamais caché son opposition à l'avortement. 
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ivg manif paris
©Osez le féminisme/facebook
Le samedi 5 juillet 2022, des rassemblements ont été organisés à Paris et dans plusieurs villes de France pour défendre le droit à l'IVG, et l'inscrire dans la Constitution. 
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parlement européen strasbourg
©AP Photo/Jean-Francois Badias

Le Parlement européen demande l'inclusion de l'avortement dans les droits fondamentaux de l'UE, lors d'une réunion le 7 juillet 2022 à Strasbourg, dans l'est de la France.

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"Toute personne a le droit de bénéficier d'un avortement sûr et légal": par 324 voix (155 contre, 38 abstentions), les eurodéputés, réunis en session plénière à Strasbourg, ont décidé de demander au Conseil, qui représente les Etats membres, d'inscrire ce droit dans la charte des droits fondamentaux.

Une proposition modifiant l’article 7 de la Charte devrait être soumise au Conseil afin d’y ajouter que ‘‘toute personne a droit à un avortement sûr et légal’’, précise le communiqué du Parlement européen. 

La protection de la santé des femmes est un point clé de la résolution car nous le savons, interdire l’avortement ne fait pas naître plus d’enfants, mais met en danger la vie des femmes et notamment les plus précaires.
Irène Tolleret, députée européenne Renaissance

« La protection de la santé des femmes est un point clé de la résolution car nous le savons, interdire l’avortement ne fait pas naître plus d’enfants, mais met en danger la vie des femmes et notamment les plus précaires qui n’ont pas nécessairement les moyens pour se déplacer dans un Etat où l’avortement reste légal. » soutient Irène Tolleret, députée européenne Renaissance et membres de la commission des droits des femmes du Parlement européen.

Adoptée en 2000, cette charte, juridiquement contraignante, a la même valeur que les traités. Inclure l'avortement dans les droits fondamentaux nécessite toutefois l'unanimité des pays membres, selon les traités actuels de l'UE.

(Re)lire ►​Roberta Metsola, une anti-avortement élue présidente du Parlement européen
 

La personne au coeur de la Charte des droits fondamentaux 

 
charte des dts europe 2007
Signature de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, le 21 décembre 2007.
©Commission européenne 
Proclamée une première fois à Nice le 7 décembre 2000, la Charte des droits fondamentaux a été adoptée dans sa version définitive par les présidents de la Commission européenne, du Parlement européen et du Conseil de l’UE le 12 décembre 2007. Elle est ensuite devenue contraignante juridiquement avec la ratification du traité de Lisbonne. (source touteleurope.eu)

Elle est composée d'un préambule et 54 articles autour de six valeurs fondatrices : dignité, libertés, égalité, solidarité, citoyenneté, justice.

 
charte europeenne
©Points
Au moment de sa rédaction, la France, par la voix du juriste Guy Braibant, représentant du président de la République et du gouvernement, vice-président de la Convention, avait déjà proposé d'y inscrire le droit à l'avortement, mais plusieurs pays s'y étaient opposés, se servant de leur droit de véto, dont Malte et la Pologne.

Le préambule de la Charte expose que “l’Union se fonde sur les valeurs indivisibles et universelles de dignité humaine, de liberté, d’égalité et de solidarité ; elle repose sur le principe de la démocratie et le principe de l’Etat de droit. Elle place la personne au coeur de son action en instituant la citoyenneté de l’Union et en créant le principe de liberté, de sécurité et de justice” .

Pas d'unanimité ?

Or ce sujet de société divise les Vingt-Sept. C'est pourquoi, les eurodéputés ont également demandé au Conseil "qu'il se réunisse pour discuter d'une convention permettant de réviser les traités" afin de remettre en cause la règle de l'unanimité.

«Le vote du Parlement européen a certes une dimension symbolique, mais c’est aussi l’envoi d’un message clair au Conseil, sur ce que souhaitent les représentants des peuples européens en matière d’avortement. Je déplore que les députés du Rassemblement National ne soient même pas venus dans l’hémicycle pour voter et que le président de la délégation Les Républicains, François Xavier Bellamy, ait voté contre. Cela me scandalise car l’avortement n’est pas une opinion, c’est un droit fondamental, car la santé est un droit fondamental. » s’insurge l’eurodéputée.

"Les députés expriment leur soutien et leur solidarité avec les femmes et les jeunes filles aux États-Unis, ainsi qu’avec toutes les personnes qui s’efforcent de fournir et de défendre le droit et l’accès à des soins d’avortement légaux et sûrs dans des circonstances aussi difficiles. Ils demandent au Congrès américain d’adopter une loi qui protégerait l’avortement au niveau fédéral", lit-on dans le communiqué de presse officiel .

manif ivg californie
Des militantes du droit à l'avortement manifestent sur les marches de l'hôtel de ville de Los Angeles le mercredi 6 juillet 2022 à Los Angeles. Elles ont symboliquement aspergé les marches de peinture rouge. La Californie est l'un des rares états où l'IVG reste possible.
©AP Photo/Ashley Landis

Droit à l'IVG : Europe vs Etats-Unis

La Cour suprême des Etats-Unis a mis fin le 24 juin à la garantie juridique fédérale de l'IVG dans tout le pays. Il appartient maintenant aux 50 Etats américains de se prononcer sur l'avortement.

"Les pays de l’UE devraient garantir l’accès à des services d'avortement sûrs, légaux et gratuits, à des services de soins prénataux et maternels, à la planification familiale volontaire, à la contraception, à des services adaptés aux jeunes, ainsi qu’à la prévention, aux traitements et au soutien en matière de VIH, sans discrimination", ont insisté les députés européens dans leur résolution.

Avant le coup de tonnerre provoqué par la décision de la Cour suprême américaine, le président français Emmanuel Macron, qui prenait alors la présidence tournante de l'UE, avait en janvier déjà souhaité inscrire le droit à l'avortement dans la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Son parti politique et l'actuel gouvernement français ont aussi en projet de l'inscrire dans la Constitution française.

L'avortement, un droit menacé jusqu'en Europe

Dans la quasi-totalité des pays européens, l'interruption volontaire de grossesse peut être légalement pratiquée. Sur 27 Etats membres, 24 pays de l’Union européenne ont légalisé ou dépénalisé l’avortement, sans besoin de justification de la part de la femme qui décide de recourir à l’IVG. Le délai maximal pour avorter varie de 10 semaines d’aménorrhée au Portugal à 24 semaines aux Pays-Bas, plus de la moitié des pays ayant fixé cette limite à 12.

Le 23 février 2022, le Parlement français a définitivement approuvé l’extension à quatorze semaines de grossesse pour l’avortement, allongeant le délai de l’IVG qui était auparavant fixé à 12 semaines. Un débat est en cours pour inscrire ce droit dans la Constitution. 

Depuis mars 2018, Chypre autorise l’IVG jusqu’à 12 semaines de grossesse. Après un référendum, l’Irlande est devenue le dernier pays de l’Union européenne à légaliser l’avortement en 2018.

A l’inverse, Malte l’interdit totalement. Les médecins peuvent écoper de quatre ans de prison et d'une interdiction à vie d'exercer la médecine. Les femmes qui se font avorter risquent, elles, jusqu'à trois ans de prison. Fin juin, le gouvernement maltais a annoncé un examen de l'application de l'interdiction de l'avortement dans le pays, après une polémique sur une touriste américaine enceinte qui s'est vu refuser d'avorter alors que le fœtus était condamné.

En Pologne, l’avortement n’est autorisé qu’en de cas de viol ou de danger pour la vie de la mère depuis janvier 2021. Après avoir tenté de l’interdire totalement en 2016, le gouvernement l’a restreint en supprimant la possibilité d’avorter en cas de malformation grave du fœtus, qui concernait plus de 90 % des IVG dans le pays. Cette lourde restriction du droit à l’avortement résulte de l’application par le gouvernement d’un arrêt rendu en octobre 2020 par le Tribunal constitutionnel, dont l’indépendance vis-à-vis de l’exécutif est remise en cause. 
 
Pour la commissaire aux Droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Dunja Mijatovic, cet arrêt revient à une interdiction quasi-totale de l’avortement et à une violation des droits humains. "Une triste journée pour les droits des femmes", avait-elle écrit dans un tweet. 

Le collectif féministe français NousToutes a salué la décision des député-e-s, en espérant qu'elle soit rapidement entérinée. Tous les espoirs sont donc aujourd'hui permis pour que l'Europe fasse de l'IVG un droit fondamental, même s'il faudra pour cela livrer une nouvelle bataille face aux pays ultra-conservateurs, et même jusqu'au fauteuil de la présidence du Parlement, occupé par une anti-avortement...