Fil d'Ariane
De gauche à droite : l'actrice Sidney Flanigan, la réalisatrice Eliza Hittman et l'actrice Talia Ryder au Sundance Film Festival, à Park City, dans l'Utah, où elles présentent Never Rarely Sometimes Always le 25 janvier 2020.
Autumn a 17 ans et a décidé d'avorter. Dans Never Rarely Sometimes Always, en salles en France ce 19 août, la réalisatrice Eliza Hittman filme, sans pathos, le parcours d'une lycéenne de Pennsylvanie pour interrompre sa grossesse dans une Amérique où ce droit est de plus en plus menacé. Never rarely sometimes always suit le voyage d'Autumn (Sidney Flanigan), obligée de partir à New York avec sa cousine (Talia Ryder, à l'affiche du West Side Story de Steven Spielberg), car pour avorter en Pennsylvanie, il faut l'autorisation des parents. A New York, en revanche, cette autorisation n'est pas nécessaire.
Voir notre dossier ► Le droit à l'avortement dans la tourmente
Découvert au festival de Sundance avant d'être primé en février au festival du film de Berlin, où il a reçu le Grand prix du jury, le film germe dans la tête de la réalisatrice dès 2012 avec l'affaire Savita Halappanavar en Irlande, cette jeune femme indienne décédée car des médecins refusaient d'interrompre sa grossesse alors qu'elle était en train de faire une fausse couche.
"J'ai commencé à faire des recherches sur le parcours des femmes irlandaises se rendant à Londres pendant 24 heures pour avorter, explique la réalisatrice à la Berlinale. J'étais frappée par ce voyage que beaucoup de femmes à travers le monde doivent faire". Alors elle a transposé ce schéma aux Etats-Unis en suivant une adolescente en milieu rural qui se rend dans une grande ville, avec la volonté de mettre en évidence "la charge sur les épaules des femmes contraintes de gérer seules ces questions".
Le voyage d'Autumn vu par Eliza Hittman met l'accent sur la solidarité féminine, avec des personnages masculins mis à distance, voire occultés. De l'étudiant un peu lourd au beau-père menaçant, l'esprit du patriarcat plane sur les deux jeunes filles, incarné par les clients d'un magasin, le patron, l'exhibitionniste du métro... C'est lui le "méchant" dans film, disait Eliza Hittman dans une interview accordée au journal britannique Guardian pendant le confinement.
La scène la plus forte est celle où une assistante sociale interroge Autumn sur d'éventuels abus qu'elle aurait pu subir, selon une échelle allant de "jamais" à "toujours", donnant son titre au film et offrant des résonances avec la question des violences faites aux femmes.
La pertinence et l'urgence du film coïncident malheureusement avec des attaques sur nos droits constitutionnels.
Eliza Hittman, réalisatrice
"J'avais écrit un premier scénario en 2013, mais il y avait un manque d'enthousiasme pour ce sujet quand je parlais du film. On était alors sous Obama et circulait une fausse impression de progrès", souligne la cinéaste, remarquée avec Les bums de la plage (Beach Rats), sorti en 2017.
Le contexte a changé avec l'élection de Donald Trump qui, pendant sa campagne, a conquis la droite religieuse en promettant de nommer uniquement des opposants à l'avortement à la Cour suprême. Pour décrocher un second mandat en novembre, l'actuel locataire de la Maison-Blanche continue de courtiser les électeurs de la droite religieuse en affichant régulièrement son opposition à l'avortement. Certains Etats d'Amérique ont compliqué l'accès à l'IVG pour les femmes qui y avaient accès en toute légalité. Le Texas et l'Ohio, entre autres, ont suspendu toutes les opérations médicales non urgentes pour donner la priorité à la lutte contre le Covid-19. La réalisatrice conclut avec des paroles aux accents d'urgence : "La pertinence et l'urgence du film coïncident malheureusement avec des attaques sur nos droits constitutionnels".
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