Fil d'Ariane
« Au Canada, je ne trouvais pas d’emploi, mais ici, au bout de quelques mois de recherche, j’ai obtenu un poste dans un centre pour toxicomanes » explique la jeune femme. Forte de cette expérience, elle ouvre ensuite son propre cabinet où elle reçoit adultes et ados.
En janvier 2012, la jeune femme est contactée par l’Unicef pour travailler avec des réfugiés syriens dans des centres et dans des camps, partout au Liban. « Ma spécialité c’est l’écriture créative et j’avais des groupes d’enfants qui ne savaient pas tenir un crayon. Donc on a beaucoup travaillé sur les contes » raconte-t-elle en souriant. L’idée : donner aux enfants le début d’un conte et leur laisser le choix de la fin. Les conclusions dramatiques devant être désamorcées. « Il ne fallait surtout pas que les enfants restent bloqués là-dessus. »
Sur les dessins, partout des maisons et drapeaux syriens. « Je n’avais jamais vu autant de patriotisme que chez ces enfants de 6/7/8 ans. Ca a changé ma perception de la liberté, de la démocratie et de l’expression » avoue Aya qui délaisse alors un peu sa clinique pour se concentrer sur cette mission.
Elles ont tellement honte de raconter leurs histoires…
Après avoir remarqué le surnombre de filles-mères syriennes, la jeune libanaise décide de travailler avec elles et de leur expliquer des méthodes de protection contre les abus physiques, la prostitution, les viols et les mariages précoces. « Elles ont tellement honte de raconter leurs histoires… Mais il faut qu’elles sachent qu’elles ne sont pas les seules à avoir subi cela. J’essaie d’intellectualiser la situation et alors elles parlent. C’est souvent des histoires de viols collectifs en Syrie, des attouchements dans les camps de la part de gens qu’elles connaissent car il n’y a plus souvent ni père ni mari. »
Aujourd’hui, Aya a quitté les camps. Mais la jeune femme mène un nouveau défi. Chaque mois, depuis octobre 2013, elle se rend dans un pays de la région pour apporter un support psychologique à des activistes des droits de l’homme et des journalistes syriens
A chaque fois, une quinzaine de personnes, en majorité des hommes. Aya se rappelle : « Ils ont été surpris au début qu’une Libanaise accepte de travailler avec eux mais je leur ai expliqué que je vois en eux la seule chance d’une Syrie libre. Eux refusent de porter les armes et n’ont que caméras et crayons. Et pourtant ils ont été kidnappés, torturés, violés… » Parmi ces personnes, Aya porte une admiration toute particulière à une journaliste qui « relate beaucoup les droits des femmes syriennes et dont la famille a été torturée et menacée. »
Chère Aya, je veux te remercier toi la Libanaise de nous aider nous les Syriens
Un jour, lors d’un exercice où tous devaient s’écrire une lettre à eux-mêmes dans cinq ans sans note négative, l’un des participants a mal compris. Et a destiné sa lettre à Aya : « Il nous a lu à haute voix son texte qui disait « chère Aya, je veux te remercier toi la Libanaise de nous aider nous les Syriens après tout ce qu’on vous a fait… » Et il s’est mis à pleurer. » Entrainant avec lui toute la salle. Ce moment fondateur est resté gravé chez la psychologue. Trouver la bonne distance, garder le contact, l’exercice n’est pas facile. « Mes épaules me pèsent, comme si je portais un lourd fardeau » confesse-t-elle.
Ce programme bien que passionnant draine pourtant toute l’énergie d’Aya. « Là-bas, je ne dors jamais avant quatre heures du matin tellement je vois de gens » sourit-elle en ce cessant d’agiter ses mains. Depuis le début, elle a rencontré plus de 120 personnes et gardé le contact avec quasiment toutes. Même si certaines sont depuis décédées et que d’autres ont disparus… « Certes, le support psychologique ce n’est pas un besoin primaire mais ça leur fait vraiment du bien. »
Recueillir toutes ces histoires n’est pas sans impact sur la jeune femme. Tout en restant une psychologue professionnelle, Aya reconnaît que face à tant de souffrances, parfois « les larmes lui montent aux yeux ».