"Balance ton bar" : agressions sexuelles, GHB, les victimes témoignent en Belgique et ailleurs

"Balance ton bar". Derrière ces trois mots, une réalité : des femmes agressées sexuellement après avoir été droguées à leur insu dans des bars de la nuit bruxelloise. Depuis début octobre, les témoignages affluent sur les réseaux sociaux. Le mouvement dépasse les frontières belges. Les récits d’agressions au GHB, connue comme "la drogue du violeur", circulent à l’étranger, au Royaume-Uni, mais aussi en France. 
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manif Ixelles balance ton bar
Plus d'un millier de manifestant-e-s se sont rassemblé-e-s mi-octobre à Ixelles, à Bruxelles en Belgique, pour dénoncer les agressions et les viols de femmes, après avoir été droguées au GHB dans des bars de nuit, un mouvement #balancetonbar a été lancé sur Instagram. 
©capture d ecran / RTBF
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A l'origine du mouvement "Balance ton bar", de nombreuses accusations d'abus sexuels visant deux bars du quartier du cimetière d'Ixelles à Bruxelles. Un appel aux témoignages sur le réseau social Instagram est alors lancé le 10 octobre dernier.

En quelques heures, les jeunes filles sont nombreuses à réagir, avec des histoires d'abus sexuels ou de viols, qui vont bien au-delà des deux bars bruxellois. "On dépasse les mille messages de jeunes filles qui m'expriment qu'elles ont vécu des attouchements sexuels, des viols, des cas de drogue dans le verre dans des bars à Bruxelles, mais pas seulement. Plusieurs témoignages concernent des zones au-delà des frontières bruxelloises", explique la cofondatrice du mouvement Maïté Meeus sur la RTBF.

GHB : le trou noir 

Le nombre de plaintes déposées pour abus sexuels ou viols dans la zone de police Bruxelles-Ixelles est très loin de la quantité de témoignages qui affluent aujourd'hui sur les réseaux sociaux, protégés par l'anonymat. Les autorités parlaient de 192 cas en 8 ans pour tous les bars de la zone de police Bruxelles-Ixelles. Un constat qui met en lumière la question de l'impunité.

Il faut savoir qu'une victime qui a été droguée au GHB a beaucoup de mal à le prouver puisque cette drogue du viol reste douze heures dans le sang ou dans les urines.
Maïté Meeus, cofondatrice du mouvement "Balance ton bar"

Maïté Meeus remet les choses dans leur contexte : "Il faut se mettre à la place d'une victime ! Énormément de plaintes n'aboutissent pas, notamment par manque de preuves. Il faut savoir qu'une victime qui a été droguée au GHB a beaucoup de mal à le prouver puisque cette drogue du viol reste douze heures dans le sang ou dans les urines. C'est-à-dire que si on a été droguée à 23 heures, à 11 heures du matin, le GHB a disparu de l'organisme. Donc le temps qu'on réalise ce qui s'est passé, qu'on se réveille, qu'on se rende à l'hôpital le plus proche, c'est déjà trop tard."

Elle rappelle d'ailleurs les difficultés que peuvent rencontrer les victimes de viols et d'abus sexuels dans le parcours judiciaire. "Le chemin est très difficile. Ce que j'essaie surtout de faire, c'est libérer la parole et permettre des actions concrètes. Ce n'est pas mon rôle de rendre le système officiel plus efficace."

Bars et discothèques, quelle responsabilité ?

"Des amies qui suspectaient un viol en cours relatent avoir prévenu la dame responsable des toilettes, qui leur a ordonné de partir, ajoutant que c’était la faute de cette fille si elle avait suivi quelqu’un (sic). Plus tard cette nuit-là, nouvelle scène de réprimande avec la même responsable, alors que le groupe venait de remarquer une fille potentiellement droguée au GHB. À son arrivée, le personnel de sécurité, décrit comme agressif, ne s’est pas montré plus compatissant", rapporte le site 7sur7.be

Dans un communiqué publié en anglais, "Le Fuse", le club bruxellois concerné par ces témoignages, a présenté ses excuses "aux personnes qui n’ont pas obtenu l’aide nécessaire de ses équipes", avant d’évoquer ses idées à court et long terme pour "rendre le lieu plus sûr à l’avenir", comme la nomination d'une équipe de sensibilisation qui serait le premier contact d’une personne en cas de mauvaise conduite ou de danger. "On parle ici de toute personne qui ne se sent pas en sécurité face à toute forme de violence : du non-consentement à toute autre forme de discrimination", précise la direction, qui a aussi annoncé avoir mis fin à sa collaboration avec les employés de la sécurité.

D’après certains témoignages, au moins un barman aurait drogué des jeunes femmes en versant une substance dans leur verre avant d’abuser d’elles. La direction des deux bars en question, dont un membre du personnel est visé par de nombreuses plaintes, a indiqué avoir écarté le barman "en attendant que toute la lumière soit faite", assurant qu’elle se portera partie civile "si les faits sont avérés".

"Le parquet de Bruxelles mène une enquête approfondie et minutieuse" dans tout dossier de violence sexuelle, a assuré celui-ci dans un communiqué, "Outre la collecte de preuves matérielles, à savoir des traces biologiques et des images de caméras de surveillance, un maximum de témoins sont identifiés et interrogés afin de constituer un dossier probant et de confronter tout suspect à ces éléments de preuve". 
​Le gouvernement fédéral belge s’est de son côté engagé à accélérer la prise en charge des plaintes.

Onde de choc en Belgique

Relayés par les médias belges, ces multiples récits ont créé une véritable onde de choc dans le pays. Des élus locaux se sont engagés à réunir les patrons d’établissements de nuit pour mettre au point un plan d’action. Une marche organisée en soutien aux victimes de violences sexuelles a réuni près de 1300 personnes le 14 octobre dernier au cimetière d'Ixelles. 

"On n’en peut plus de devoir faire attention à nous quand on sort", confie une manifestante à un journaliste de la RTBF, "Faire gaffe à ce qu’on ne nous mette pas de la drogue dans notre verre, qu’on nous offre à boire pour nous saouler. Il faut que cela cesse.
"Ça fait des années que les cafés incriminés font l’objet de plaintes de jeunes filles abusées. Et que fait la police ? Que fait la justice ? Rien. Il y a une véritable banalisation de la culture du viol dans notre société. Il faut que ça s’arrête.", ajoute Manon, l’organisatrice de la manifestation.

#Balancetonbar en France aussi

Des pages "Balance ton bar" Toulouse, Lyon, Paris ou Lille ont été lancées.

"J'ai été droguée au Limelight il y a trois ans par un homme qui connaissait bien les lieux puisque je disparaissais simplement de ce bar sans qu'on puisse me voir sur les caméras. Il m'a fait sortir de la boîte, puis il m'a violée. Quand je suis revenue à moi, j'étais nue dans un jardin", rapporte l'un des posts publiés sur le compte Insta "Balance ton bar" à Toulouse. 

Appel au boycott pour une "nuit sûre"

Le collectif féministe belge "Les sous-entendu(e)s" et l’espace d’art bruxellois "That’s what x said", réunis au sein de l’Union féministe intersectionnelle autogérée (UFIA), ont appelé à un boycott des bars et des clubs vendredi 12 novembre afin de protester contre les violences sexuelles qui y ont cours. "Nous exigeons de vivre sans le poids d’être en danger perpétuellement et en tous lieux. Nous voulons un changement radical et immédiat, car ce fléau sévit depuis de trop nombreux siècles et nous ne pouvons plus le tolérer", écrit le collectif. Dans une vidéo, on entend les militantes chanter quelques-uns des refrains bien connus des cortèges féministes, tels que "Nous sommes fortes, nous sommes fières, et féministes et radicales et en colère"