#BalanceTonMetro : le ras le bol des femmes harcelées dans les transports

En quelques heures, les tweets défilent par dizaines, puis centaines, avec le mot dièse #BalanceTonMetro, nouvelle résurgence d'un certain #BalanceTonPorc, lui-même issu du mouvement #MeToo parti des Etats-Unis. Les unes après les autres, des usagères du métro parisien racontent le harcèlement qu'elles subissent au quotidien.
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Des militantes féministes interpellent la RATP sur la question du harcèlement et des agressions sexuelles dans le métro, sur la chanson "Balance ton quoi" d'Angèle, mercredi 24 avril 2019, àParis.
©twitter/@AnaisLeleux
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Regards insistants, mains aux fesses, sourires lourds de sens, clins d’œil, insultes, attouchements, baisers "volés" ou plutôt forcés, gestes plus violents, attitudes exhibitionnistes, jeunes femmes suivies dans les couloirs, jusqu'à parfois bien pire... Et puis aussi les silences, des passants qui détournent la tête, l'indifférence. Des mots pour le dire, des mémoires qui se ravivent. Il a suffi de quelques mots de ralliement regroupés dans un mot dièse #BalanceTonMetro pour qu'une fois de plus les langues se délient, via les écrans de portable et les réseaux sociaux.
Car elles en ont assez d'être la proie des frotteurs, de subir les mains baladeuses, de sentir des hommes respirer leur cheveux dans leur dos, jusqu'à les caresser, comme nous le confiait une collaboratrice de Terriennes. "Au début j'ai juste senti qu'il respirait mes cheveux, mais en fait il a commencé à passer la main dedans ! Encore aujourd'hui, rien que d'y penser, je suis choquée !"

L'agression de trop

Choquée, Anaïs Leleux l'est aussi mais ce qu'elle ressent, c'est surtout de la colère. Et c'est cette même colère qui l'a poussée à mener cette action, après avoir été victime d'une énième agression, dimanche 21 avril à la station Place d’Italie, dans le XIIème arrondissement parisien. Elle signale les faits sur le compte twitter de la RATP. Voici ce qu'on lui répond, via un tweet laconique : "Si aucune plainte n'est déposée, les images de vidéosurveillance ne pourront être bloquées et cette situation risque de se renouveler."
 
C'en est trop pour la jeune femme, qui décide alors de mobiliser les troupes. Avec quelques amies militantes féministes, elle organise cette campagne d'affichage dans les rames du métro parisien. Une méthode choc pour dénoncer bien-sûr l'étendue de ce fléau mais aussi alerter les pouvoirs publics, qu'elle accuse de ne rien faire pour tenter de le combattre. "Il y a un écueil, il faut renverser la culpabilité et arrêter de culpabiliser les victimes. Si, 100 % des femmes ont déjà été harcelées dans les transports, ce n'est pas de notre faute", déclare-t-elle dans Les Inrocks.
 
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Une des affiches de la campagne dénonçant le harcèlement sexuel dans le métro parisien lancée mercredi 24 avril 2019.
©Noustoutes
C'est ce que résume aussi en quelques phrases cette internaute. Lors d'un contrôle de tickets, un homme passe et lui met une main aux fesses, aux yeux de tous et sous le nez des agents de la RATP. Pas de réaction. Enfin si une ... "Ce n'est pas notre boulot de prendre ce genre de plaintes, on s'occupe des billets. Et puis ça va.. Vous allez bien donc bon..."
 
De son côté, la RATP rappelle qu'elle met à disposition plusieurs moyens de remonter ces faits de harcèlement ou ces agressions, par téléphone au 3117, par SMS ou via une application. Et de préciser que les agents sont disponibles 24h/24, 7 jours sur 7. Tout va bien donc bon (sic)...
 
 

100% des femmes déjà victimes de harcèlement dans le métro

Le quotidien Le Parisien, suite à un appel à témoins, publie de nombreux témoignages. Parmi eux, celui d'un homme, un des rares à avoir répondu. "Un matin, j’étais serré de toutes parts lorsque j’ai remarqué qu’un homme devant moi me regardait avec insistance. Il avait un petit sourire. Et j’ai senti une main m’attraper les testicules et les malaxer", raconte le jeune homme. Les faits remontent à plusieurs années. A l'époque, il n’a pas porté plainte, ce qu'il regrette maintenant, "Pas pour moi, mais pour les autres, car cet homme a pu continuer sans s’inquiéter de quoi que ce soit".

Une jeune femme venue comme lui de province s'installer à Paris a été choquée par les multiples attouchements qu'elle subit en quelques mois. En 2017, elle décide de publier une lettre ouverte pour rendre public ce scandale : "La première fois, j'étais sur la ligne 13 qui comme souvent, était bondée. Je sentais qu'un mec gigotait beaucoup derrière moi mais je pensais que c'étaient les secousses du métro qui le faisaient bouger. Puis j'ai fini par me rendre compte que ses mouvements n'avaient rien à voir avec ceux du métro... J'étais tétanisée, je n'ai rien pu faire. Et j'ai même eu un peu honte de ne pas avoir réagi, je n'ai pas osé le dire à mon copain."
Avec Noustoutes, Les Effrontées, autre collectif féministe, ont aussi appelé les internautes à faire part de leurs "expériences". En quelques heures, ressurgissent des mémoires des histoires d'agression à n'en plus finir.
 
A la lecture de ces témoignages, quelle que soit la gravité des incidents, un point commun semble unir toutes les victimes. Désormais elles prennent le métro la peur au ventre et évitent les heures de pointe autant que possible. La plupart d'entre-elles ont changé leur manière d'être dans le métro ou le RER, des lieux devenus synonymes de danger.

"Aujourd’hui, j’enfonce mes écouteurs dans mes oreilles, j’enfile un jean et des baskets au cas où je devrais courir et je fonce. Je ne regarde rien, je ne fais attention à rien, je ne parle pas. Je me fais toute petite et j’attends que ça passe en restant sur mes gardes, surtout la nuit. Je ne prends jamais le métro seule et saoule, je ne prends presque plus le dernier métro seule, et quand la nuit tombe, j’évite les stations 'à risque" , explique une autre jeune femme dans Le Parisien, agressée alors qu'elle avait 21 ans.
 
Sur le compte Twitter de Yahooactualités, Louise Dubray, membre des Effrontées, explique pourquoi les victimes d'agression sexuelle ont parfois du mal à réagir face à leur agresseur dans le métro.

"Il y a un mécanisme qui s'appelle la sidération et qui a lieu quand on est agressée, c'est un mode de réponse du cerveau face à une situation de grand danger, qui empêche certaines zones du cerveau d'être utilisées à ce moment là, et qui n'ont aucun sens de survie par rapport à ce qui est en train de se passer et qui ne sont pas du tout comprises par la suite par les personnes qui entendent leurs témoignages"
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Valérie Rey-Robert, chercheure, écrivaine
©TV5monde
Pourquoi les victimes se trouvent-elles souvent contraintes de se justifier ? Pourquoi ne les prend-on pas au sérieux ? Des questions que nous avons voulu poser à 
Valérie Rey-Robert, auteure de Une culture du viol à la française (Editions Libertalia)

Terriennes : Peut-on parler de culture du viol à la vue de tous ces témoignages ? 
Valérie Rey-Robert : Oui, tout à fait, d'autant plus que lorsque les femmes racontent ce qui leur arrive, car ce sont en majorité des femmes, des jeunes filles voire des enfants, elles ne sont pas prises au sérieux. On va leur dire qu'elles exagèrent, qu'elles se font des idées, qu'elles se croient si jolies pour être agressées aussi souvent. Et puis il va y avoir une minimisation des actes, on va leur dire en fait 'c'est pas si grave", "passer la main dans les cheveux, c'est rien du tout". C'est un phénomène qui est massif, qui est dénoncé par une immense majorité de femmes, de tous les âges, de tous les milieux, de tous les types physiques. 

Comment lutter contre ce fléau ? 
Il faudrait mener des études sur ces agresseurs sexuels pour comprendre quelles sont leurs motivations. Est-ce que ce sont des récidivistes, des actes isolés ? Car on ne peut pas mener de campagne si on ne sait pas exactement qui ils sont. On constate que plusieurs campagnes qui ont été menées l'an dernier en Ile de France, où l'on présentait les agresseurs sexuels à travers des images d'animaux prédateurs, comme des loups, des ours etc. En fait, c'est totalement à côté de la plaque. Cela donne l'impression que ce sont des bêtes féroces, alors que ce n'est pas le cas, ce sont des 'monsieurs tout le monde'. A Toulouse, une autre campagne présentait les agresseurs sexuels sous forme de montres répugnants. Encore une fois, ça évite de s'interroger sur qui sont ces agresseurs. Il faut mener des campagnes comme on l'a fait pour la sécurité routière, où l'on a montré un homme seul avec un volant dans les mains. Les agresseurs sexuels sont des hommes, il faut donc organiser des campagnes qui s'adressent à des hommes. 

Justement peut-on aussi impliquer aussi les hommes dans cette lutte ? Lors de ce type d'agissement dans le métro, ils ne réagissent pas et n'interviennent pas...
On explique cela par "l'effet du témoin", c'est à dire que plus on est nombreux à assister à un acte délictuel, plus on pense que ce sont les autres personnes qui vont réagir autour de nous. Ensuite se joue quelque chose de spécifique dans l'agression physique envers une femme, on estime que ce sont des affaires de couple, ça nous regarde pas etc, même dans le cas d'une agression sexuelles. On peut aussi penser que certaines personnes ont peur tout simplement. Mais tant que les agresseurs sexuels seront dans l'impunité, que personne ne leur dira rien, et que personne ne réagira face à eux, les agressions continueront. 

La RATP estime faire ce qu'il faut. Est-ce que renforcer la présence d'agent dans les rames serait une solution ? 
Un agent par wagon ? Déjà, c'est impossible. Et puis, j'ai pu constater moi-même des comportements fortement sexistes de la part de personnels de la RATP qui se permettaient des réflexions désobligeantes sur le physique de jeunes filles, voire très jeunes filles qui passaient à côté d'eux. Je ne pense pas qu'ils soient formés à ça. Et je ne suis pas persuadée qu'il faille tout judiciariser. Mais je crois plus à la vigilance de chacun vis à vis des prédateurs sexuels. 

Pourquoi le harcèlement sexuel est-il si fréquent dans les transports publics ? 
Parce qu'on y est particulièrement serrés, et qu'il est difficile de savoir qui est l'agresseur. Moi, quand cela m'est arrivé, je ne suis pas parvenue à identifier l'homme qui m'avait agressée. Et puis il y a aussi un autre facteur. Il y a quelques années, des agresseurs avaient témoigné sur un forum et ils racontaient l'adrénaline qu'ils ressentaient à l'idée d'être pris en flagrant délit, et l'excitation que cela ajoutait à la situation. C'est un mélange, il y a d'un côté "je ne vais pas me faire prendre parce qu'il y a trop de monde et je risque de me faire prendre parce qu'il y a du monde". C'est pour cela qu'il serait intéressant d'étudier leurs profils pour mener des campagnes efficaces. 
 
une culture du viol à la française
Une  culture du viol "so french" ?

Du « troussage de domestique » à la « liberté d’importuner » « La culture du viol touche toutes les cultures, tous les pays. Elle présente cependant des particularités bien spécifiques selon le milieu dans lequel elle s’exprime et se développe. En France, chaque fois que la question des violences sexuelles est posée dans le débat public, les mêmes réticences s’expriment. Certains s’élèvent pour dénoncer l’horrible moralisme réactionnaire qui voudrait condamner la liberté sexuelle si chèrement acquise, nuire à l’identité amoureuse nationale en important le puritanisme au pays des libertés. Avec un vocable bien choisi et une certaine hypocrisie, on évoque l’amour à la française en termes de galanterie, de courtoisie ou de libertinage.

Valérie Rey-Robert est aussi l'animatrice du blog Crêpe georgette.