Bande dessinée : les femmes aussi !

De retour pour la saison 2012-2013 pour mettre à nouveau le nez dans les livres, les humer et les conseiller en toute partialité ! Mais oui… Car si l’abondance a marqué la période électorale avant le joli mois de mai qui nous vit aux urnes, cette abondance marque toute l’année la production littéraire hexagonale et au-delà, chez nos voisins suisses, belges et québécois. Ce modeste billet se veut donc comme un regard sur les tendances éditoriales qui, de la rentrée aux prix littéraires, des fêtes de fin d’année jusqu’aux prochaines (grandes) vacances marqueront cette saison. Pour affiner la sélection, c’est à la littérature de et autour des Femmes que je me consacrerai, Terriennes oblige ! 
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Bande dessinée : les femmes aussi !
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En l’honneur du Festival d’Angoulême du 31 janvier au 3 février, une première sélection de BD écrite par des femmes, pour tout le monde car elles ne sont pas sectaires ! 
 
Une façon de compenser le peu de place qui leur est faite, à Angoulême comme ailleurs. Jugez un peu. Sur les 16 lauréats en lice cette année pour le Grand Prix du Festival international de la bande dessinée (qui fête pourtant sa maturité : 40 ans, bon anniversaire to you), 2 femmes seulement : Marjane Satrapi et Posy Simmonds. 
Peut-on voir là le manque d’appétence de la gent féminine pour le 9ème art ? J’en doute car les femmes y tiennent une place non négligeable, depuis les pionnières comme Claire Brétécher ou Chantal Montellier aux benjamines Cécily ou Anais Blondet. 
 
Les auteures ont donc décidé de prendre leur promotion en mains. L’association Artemisia (du nom de l’artiste italienne du XVIIe siècle, Artemisia Gentileschi, violentée pour ses toiles jugées osées) s’est ainsi donnée pour mission de faire découvrir et réhabiliter la BD au féminin. Le prix Artemisia est remis chaque année le 9 janvier (jour de naissance de Simone de Beauvoir ). Il a récompensé cette année Jeanne Puchol pour "Charonne - Bou Kadir". 
 
La démarche, militante, est revendiquée par Chantal Montellier, présidente de l’association : “dans la sélection d’Angoulême de cette année, on compte 46 hommes et 3 femmes (2 scénaristes et une seule dessinatrice), le constat se fait de lui-même et légitime de fait l’existence de notre association comme un contre-poids plus que nécessaire.”.

“LA P’TITE BLAN“ de Blan & Galou

Editions Blandine Lacour, 96 pages – 8,50 euros
“LA P’TITE BLAN“ de Blan & Galou
La P’tite Blan, c’est une saga à deux mains en trois tomes, on ne peut plus autobiographique, du duo Blan, scénariste et son pote Galou dessinateur. Je ne résiste pas à vous présenter la série en plein débat sur le mariage gay. La seule histoire de sa génèse va énerver les Anti. 
 
Gaël dit Galou, 38 ans, est «le seul homo de cette planète à dessiner les aventures d'une lesbienne… » dixit Blandine Lacour, auto-éditrice : « Nous sommes tous les deux homosexuels : c'est d'ailleurs la première fois qu'un tel projet commun voit le jour en BD et nos livres ne sont pas uniquement destinées à un lectorat homosexuel, bien au contraire ».
 
Les aventures de la petite Blan qui aime les femmes dès le berveau commencent donc à la maternité. La puéricultrice est trop jolie, P’tite Blan pas ravie de ressembler à son papa, et la fée sur son berceau lui prédit un avenir de présidente ou de lesbienne. 
 
Attention : ici, on s’assume ! Lecteur, tu peux rire sans gêne. Dans ce monde hétéronormé et sexiste, Blan impose son style, combat la normalitude pour mieux vivre sa lesbiannitude et campe, tel un Obama fait femme, sur le dos de la norme terrassée comme le dragon. 
Beaucoup de dérision : « Pas de pyjama rose, ça fait fille », une claire préférence pour la mère Noël ou encore Super-Goudou, le super-héros transgenre. Mais aussi des moments tendres avec la chatte Griffouillie, et d’autres très militants qui révèlent sans pathos le chemin à parcourir en milieu hostile, entendre une famille « coincée », quand on nait fille à fille. 
 
Après « Coming Soon », viennent « Coming-Out » forcément sous-titrée « Une sortie du placard » et « Coming Back, le retour de la lesbienne ».
 
Un Coming-Out qui fraichit l’atmosphère. Bien que dans la même veine distanciée et pleine d’un humour très astringent, la vie de la P’tite Blan se corse. Elle a dit au revoir à papa-maman et à leur vie hétéropoussive et trace désormais un chemin pas précisément bordé de roses. Il faut tuer l’hétéro en soi pour faire vivre l’homo, et où crier son homosexualité à la face d’un si grand monde pour être entendue ? Chez le psy, seul praticien à se sentir mieux que le patient après la consultation ? A ses parents pour être vraiment out (devant la porte, ses valises à la main) ? Heureusement, il y a Galou, le confident dessinateur (vous suivez ?) qui lui aussi se cherche un peu : « et si j’étais lesbienne ??? ».
 
Blan, c’est un point de vue. L’homosexualité, c’est politique. Un avis partagé par Galou, Blan, et moi. Et manifestement par tous ceux qui ont défilé dans la rue, les Pour et les Contre le mariage homo et l’homoparentalité. C’est politique parce que choisir sa sexualité, cette affaire infiniment privée, c’est enfreindre le prêt à penser, la pression de conformité, la fausse bienveillance, la religion…. Bref, c’est déplaire à une large partie de la société pour se plaire à soi-même. Le plus dur, c’est pas d’être lesbienne, dit comiquement notre héroïne, c’est de vivre avec. 
 
Au 3ème tome, en route pour Lesboland (autrement dit Le Marais, quartier gay parisien pour ceux qui ne connaîtraient pas) pour une séance de rattrapage sexo-affectif. Après l’ère du doute, l’ère de l’Eclate, avec alcool et conquêtes à gogo jusqu’à la rencontre de l’Amour avec un grand A. Fin de l’histoire et Happy End. 
 
Je le confirme. La P’tite Blan, c’est pas réservé aux homosexuels, c’est pour tout le monde puisque c’est, en mode cocasse, l’histoire de la conquête de soi. Une problématique, vous me l’accorderez, qui transgresse les genres. 

“CUL NUL“ de Baraou & Dalle-Rive

Editions Olivius, une centaine de pages - 12 euros
“CUL NUL“ de Baraou & Dalle-Rive
J’ai failli écrire : « Ce livre caricature l’Amour comme vous voudriez ne jamais le rencontrer ». Mais non, nulle tromperie sur la marchandise! Le livre s’appelle (fort justement) Cul nu, c’est donc de sexe qu’il s’agit, dans toute sa nudité, sa crudité, sa nullité ! 
 
Les hommes sont lourdauds, ils ont du poil aux pattes, bien visibles sous le crayon cruel de la dessinatrice Fanny Dalle-Rive. Les femmes sont d’une telle maladresse affective qu’elles en deviennent presque émouvantes. Coucher, pas coucher, quand, comment ? Toutes les figures du Plan foireux sont là, en 24 saynettes bien glauques. Mais que ceux et celles qui n’ont jamais rien vécu de tel leur jettent la première pierre… 
 
A ces échanges ratés, de désirs qui ne rencontrent pas l’autre, de peine-à-jouir, de méchanceté inter-genre, on rit. Jaune souvent, mais franchement aussi. Le trait emprunte à une Brétecher matinée de Reiser. Le fond emprunte à la réalité, selon la scénariste Anne Baraou qui voulait du vrai, des anecdotes frappées au coin du réel. Le type amoureux de sa chef de bureau, l’obsédé de l’hygiène, la fille qui ne s’aime pas, celle qui rit du premier baiser à la panne sexuelle….
 
Pour cette véracité, Anne Baraou a fait des emprunts à la vraie vie. Ca se sent. Page après page, c’est tout un chacun, les vrais gens, que l’on croise dans des situations scabreuses et/ou minables. 
 
Mises bout à bout, ces plans drague foireux dessinent une carte assez peu réjouissante de l’amour au temps post-moderne (après la women lib’s et le sida). En noir et blanc, signature de l’Association, la maison d’édition dont Anne Baraou est l’une des fondatrices, voilà Cul nu, LE petit recueil de la panade, tant sexuelle qu’affective. A force de distanciation, hommes et femmes passent leur temps à se décevoir. Mais tous égaux sous la couette, les unes ne rattrapent pas les autres ! 
 
Proposé par deux nanas d’aujourd’hui pour qui le mot romantisme doit être une insulte, il se veut une antidote à la vision fantasmée des magazines féminins ! Si vous aimez rire avec vos potes de vos rencontres foireuses, allez-y. Ames sentimentales, s’abstenir !

“JOSEPHINE“ de Pénélope Bagieu

Edtions Delcourt, 64 pages – 14,95 euros
“JOSEPHINE“ de Pénélope Bagieu
La Joséphine de Pénélope Bagieu fait beaucoup pour conforter le stéréotype de la Fille. Frivole, gaffeuse, fleur bleue, Joséphine fait un carton. La série en est déjà au tome 3, elle va être adaptée au cinéma et sa créatrice vient d’être sacrée, pas moins à 31 ans, Chevalier des Arts et des Lettres par Aurélie Filippetti, la ministre de la Culture à Angoulême, où elle expose au Festival de la BD. Ouf, une actualité chargée à laquelle il faut ajouter un projet avec Joann Sfar, sommité du genre.
 
Tout a commencé en 2007 sur Internet avec un blog « Ma vie est tout à fait fascinante » où la jeune dessinatrice raconte sa vie quotidienne. 50 000 connections quotidiennes. Bingo ! Le magazine Femina lui commande un personnage qu’elle créée de A à Z, dessin et scénario. Joséphine est née. Blonde, petit buste et rondeurs callipyges, piquante, soumise à la pression de conformité de sa famille BCBG qui veut la marier à toute force, c’est LA nana idéale des hebdos féminins. Elle incarne avec grâce le féminisme d’aujourd’hui, en tout cas celui des trentenaires : décomplexé, ironique, assumant des désirs féminins autrefois inavouables (un mec, un enfant, un bon boulot). Pénélope Bagieu, c’est la tête de gondole de la BD « girly », celle qui plaît aux filles qui lui ressemblent et revendiquent leur légèreté.
 
Joséphine, ce sont ses copines qui en parlent le mieux, : « tu sais la blonde, avec des lunettes, un peu coincée mais rigolote ». Ou son nouveau chéri qui a tout compris de cette fille qui représente beaucoup de filles, une sorte de synecdoque générationelle, quoi !
 
Pleine d’amour, d’angoisse de l’amour, d’ambition, de contradictions… On s’amuse à ces sketchs de la vie quotidienne, boulot, soirées, vie à 2, même si la trame narrative est mince. Dans Joséphine 1, Joséphine cherche un amoureux, trouve un amoureux, perd un amoureux. Dans le 2, Joséphine cherche un amoureux, trouve un amoureux et perd un amoureux. Hourra, dans le 3, enfin elle trouve un amoureux et l’Amour. Fait un bébé. Bref, change de camp, et c’est le titre de ce dernier album, qui clôt à priori la série. 
 
Fini le chat Brad Pitt, l’inséparable Rose et Cyril le copain gay ? Pas de projet familial pour l’heure avec Joséphine maman et son Simon, mais on le sait toutes : souvent femme varie. A suivre donc…

Isabelle Soler : à propos de l'auteure

Bande dessinée : les femmes aussi !
Journaliste à la rédaction de TV5Monde depuis une dizaine d’années, je suis toujours bluffée par l'hystérie de parution lors de grands événements tels la rentrée de septembre ou la remise des prix littéraires. Après avoir dépouillé au printemps 2012, tous les ouvrages liés à la présidentielle française, pour Terriennes, je me pencherai sur la littérature de et autour des Femmes : thématiques, essais, romans, coups de coeur ou coups de gueule… Je vous propose un décryptage régulier de la littérature francophone.