Fil d'Ariane
Le Bangladesh a déjà connu plusieurs vagues de manifestations contre Sheik Hasina, au pouvoir pendant quinze ans. Mais pour la première fois, cet été 2024, un grand nombre de jeunes femmes y ont participé. Elles ont joué un rôle crucial dans le départ de la Première ministre.
Tout a commencé par une fronde estudiantine contre les quotas d'emploi dans la fonction publique au Bengladesh, en juillet 2024. Alors que l'armée commençait à tirer sur la foule en colère, plusieurs manifestantes se sont précipitées à l'avant du cortège, misant sur le fait que des soldats hésiteraient à ouvrir le feu sur des femmes. Les soldats ont effectivement baissé les armes, marquant un tournant dans la vague qui a chassé Sheik Hasina du pouvoir. En exil en Inde, celle-ci fait désormais l'objet d'une enquête pour meurtre durant les mouvements de protestation de juillet.
Même sa détention par la police n'avait pas entamé sa détermination : Nusrat Tabassum, étudiante au Bangladesh, est l'une des nombreuses jeunes femmes à avoir porté le mouvement qui a conduit à la chute de la Première ministre autocratique Sheikh Hasina. "Tout retour en arrière était impossible", déclare Nusrat Tabassum, devenue une héroïne de son université de Dhaka après avoir contribué à mener ce mouvement. "La colère augmentait tout comme les revendications pour l'égalité", décrypte la jeune femme de 23 ans, saluée et acclamée dans les allées de son campus universitaire, place forte de l'élite du pays.
Fin juillet, elle avait été arrêtée avec cinq autres leaders étudiants et détenue pendant plusieurs jours. Sous la menace de leurs armes, les forces de sécurité les avaient obligés à signer un communiqué appelant à la fin du mouvement. "J'ai pensé plusieurs fois au suicide", se souvient Nusrat Tabassum. "Je ne pouvais pas supporter l'idée que des gens de ce pays pensent que nous les avions trompés, que nous nous étions vendus".
Mais les Bangladais avaient vu clair dans la ruse du pouvoir. "Quand nous avons vu que les gens ne s'étaient pas trompés sur notre compte et qu'ils continuaient à protester dans la rue, cela m'a redonné la force pour continuer", se souvient-elle.
Nourin Sultana Toma, étudiante à l'université de Dhaka, le 10 août 2024.
Les mobilisations ont débuté en juillet après une décision de justice autorisant le retour de quotas d'emplois publics, une mesure décriée permettant à la Première ministre de confier des postes gouvernementaux à des gens à sa solde. Le dispositif prévoyait de réserver 10% des emplois aux femmes mais, selon Nusrat Tabassum, son instrumentalisation par le pouvoir signifiait que "les femmes en auraient davantage pâti que bénéficié".
Les femmes sont désormais plus préoccupées par leurs droits et c'est pourquoi elles ont spontanément rejoint les manifestations. Nahida Bushra
Peu après le début des mobilisations, la Première ministre avait défendu ces quotas en assurant que les femmes ne pouvaient actuellement pas accéder à de hautes fonctions sur leurs seuls mérites et compétences. L'ironie d'une telle déclaration, venant d'une des femmes qui s'est maintenue le plus longtemps au pouvoir dans le monde, n'avait pas échappé à ses adversaires.
Pour se maintenir au pouvoir, Sheikh Hasina avait également agité la menace de nouvelles attaques islamistes dans ce pays à majorité musulmane, mais cette stratégie, couronnée de succès par le passé, a été cette fois désamorcée par les images de femmes menant les protestations.
"Les femmes sont désormais plus préoccupées par leurs droits et c'est pourquoi elles ont spontanément rejoint les manifestations", estime Nahida Bushra, étudiante en sciences humaines à l'université de Dhaka qui a joué un rôle clé pour convaincre d'autres femmes de rallier le mouvement. Elle a réussi à contrer les efforts du gouvernement pour la stopper et ignoré les campagnes en ligne visant à diaboliser les étudiants. "Il y a une avalanche de rumeurs et de désinformation sur les réseaux sociaux, mais nous avons maintenu notre unité", dit-elle.
Manifestation contre les violences commises contre les minorités dans ce pays à majorité musulmane, à Dhaka, au Bangladesh, le 11 août 2024. (AP Photo/Rajib Dhar)
Les entreprises des télécoms ayant été contraintes de bloquer l'accès à Facebook et aux autres réseaux utilisés par les manifestants, Nahida Bushra et ses camarades ont usé de réseaux virtuels VPN pour contourner les interdictions. Le gouvernement a alors imposé une fermeture totale d'internet sur les mobiles et les manifestants se sont rabattus sur les SMS.
Mon pays n'a pas su appliquer de réelle démocratie. Ils nous reste la responsabilité de construire le pays. Nusrat Tabassum
Dans une tentative désespérée de s'accrocher au pouvoir, le gouvernement de Sheikh Hasina a alors ordonné aux soldats de réprimer les manifestations dans le sang. Ils ont refusé. "Cela aurait été un bain de sang total et l'armée ne voulait pas perpétrer un massacre", estime Thomas Kean, expert à l'International Crisis Group. "Se ranger aux côtés de Hasina à ce moment charnière aurait considérablement terni leur image".
Alors que se referme à peine la période la plus tumultueuse de l'histoire du pays, Nusrat Tabassum assure toutefois que le travail vient tout juste de commencer. "Mon pays n'a pas su appliquer de réelle démocratie. Ils nous reste la responsabilité de construire le pays", dit-elle.
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