Fil d'Ariane
Céline Wagner, toute imprégnée ici de ses recherches sur l’expressionnisme et le surréalisme, s’est sentie en symbiose avec la démarche du maître pour qui le « soi » était une notion bien dérisoire.
Rencontre
Dans les années 60 qui ont vu la naissance du butô, le Japon interdisait encore qu’une femme se produise sur scène. Il prohibait la nudité, la sexualité.
Céline Wagner
"J’ai découvert le butô grâce à la chanteuse transgenre Anohni Hegarty (fondateur/trice du groupe Antony and Johnsons, qui travailla notamment avec Björk et Lou Reed, ndlr). Dans une interview donnée à Télérama, elle disait toute son admiration pour Kazuo Ohno, qui était l’alter ego – solaire, lui - de Tatsumi Hijikata. Quand j’ai abordé ce personnage, que j’ai visionné les vidéos qui sont restées de ses prestations, je suis tombée de ma chaise ! Le butô « joue » avec des corps vieux, grêles, hommes ou femmes, des chiffons mouillés, du rouge à lèvres et l’expression est littéralement fascinante, souvent déstabilisante. Ohno est resté au Japon toute sa vie, il se produisait dans des toutes petites salles, souvent sans projecteurs, vivant son art jusqu’à l’extrême. Cette attitude correspond à mon idée des grands artistes.
Le déclic, l’envie d’en faire le sujet d’un album, s’est matérialisé grâce à une rencontre, au Hameau de la Brousse près d’Angoulême, avec une danseuse qui avait passé 5 ans au Japon et qui avait étudié le butô avec Tatsumi Hijikata. Faute d’avoir accès aux écrits du maître, dont très peu sont traduits du japonais, j’ai pu consulter les archives de cette « disciple » qui m’a introduite au Centre National de la Danse. C’est là, pendant un an, que j’ai exploré ses notes, ses photos, ses dessins donnant des indications sur des chorégraphies qui, il faut le rappeler, se développent sans partition, donnant des consignes aux danseurs du type « Déplacez-vous comme un nouveau né qui déplace ses os » ou « comme un poulet sans tête déambulant la nuit ». J’ai découvert aussi des livres extraordinaires publiés par le CNRS.
Dans les années 60 qui ont vu la naissance du butô, le Japon interdisait encore qu’une femme se produise sur scène. Il prohibait la nudité, la sexualité. Tatsumi Hijikata, non seulement a amené des femmes aux seins nus dans ses chorégraphies, mais il a aussi joué sur la confusion des sexes, ce qui lui a valu de gros scandales. C’est son refus de suivre les codes de son époque et surtout sa traduction sur scène de « Tout est Art » qui m’a interpellée.
Pour cet album « Frapper le sol », j’ai d’abord écrit une masse de textes et, sans attendre d’être à la fin de l’écriture, j’ai dessiné les cinq premières pages de ce que j’appelle un « roman graphique » par défaut, le mot bande dessinée n’étant pas adéquat. C’est en cheminant que je trouve des résonances proches de la scénarisation ; je me soucie de trouver un ton, une langue, de circonscrire qui est le narrateur, de cerner un univers. De cinq pages en cinq pages, je retravaille le texte. Dans le même temps j’aborde chaque case comme un tableau, à l’aquarelle. C’est ensuite, à l’ordinateur, que j’ajoute l’emplacement où insérer le texte."
Au-delà des recherches qui accompagnent l’inspiration de ses ouvrages (son précédent titre était « Un héros de notre temps » consacré au jeune héros de l’écrivain russe Lermontov, expédié dans le Caucase pour avoir appelé à la vengeance contre les courtisans inspirateurs de la mort de Pouchkine) Céline Wagner est une femme engagée.
« Je suis une autodidacte et il m’arrive d’être complexée de ne pas être passée par les Beaux Arts. C’est sans doute ce qui explique que j’ai envie de « sortir du cadre », de m’ouvrir à d’autres expressions comme la danse, la poésie, la peinture. Une formation à la FEMIS m’a permis aussi de tâter le cinéma et m’a inspiré l’écriture d’un «comix rap » (j’ai beaucoup aimé l’interprétation qu’en fait Philippe Nitchevo) sur lequel j’ai monté des images consacrées au Front National. »
Céline Wagner sera sur le stand d’Actes Sud au Festival d’Angoulême
Trois autres Prix ont été exceptionnellement attribués en cette année anniversaire du Prix Artémisia. L’occasion de célébrer l’humour de l’illustratrice féministe Jacky Fleming qui collabore avec de nombreux journaux anglais (Le problème avec les femmes, Ed. Dargaud), l’inspiration historique et politique qui est au cœur du dernier album de Nicole Augereau (Quand Viennent les bêtes sauvages, Ed flblb) et le potentiel d’avenir de Carole Maurel et Chloé Vollmer (L’Apocalypse selon Magda, Ed Delcourt)
La remise des Prix Artémisia 2017, au sein de l’Institut AgroParisTech des Sciences et Industrie du Vivant et de l’Environnement, a aussi été l’occasion pour Gilles Ratier, rédacteur en chef de BDZoom et Secrétaire général de l’ACBD de donner quelques-uns des chiffres les plus significatifs de son Rapport annuel sur la Bande Dessinée.
Les femmes représentent 13% de la production 2016 dans ce secteur en Europe, soit un doublement en 15 ans. La BD européenne francophone aligne quelque 182 autrices. L’année dernière, sur 4000 nouveaux albums publiés dans le monde, 706 affichaient une signature féminine, toutes nationalités confondues. Avec en première place et de loin l’Asie (355 albums), puis les Amériques (49), ce qui fait dire au chercheur, Parrain du Prix, que la féminisation est en marche et celle des héroïnes aussi, là où Chantal Montellier, la co-fondatrice du Prix Artémisia, estime que « l’imaginaire et les images des femmes semblent toujours être à libérer, toujours à connaître et reconnaître »
Un bémol débusqué par Gilles Ratier : les avances consenties par les éditeurs proposeraient des "à valoir" supérieurs aux dessinateurs qu'aux dessinatrices.
Allez les filles : il s’agit de mieux négocier à l’avenir… Le Festival d’Angoulême est un magnifique terrain à cet égard.
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