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Cheveux courts poivre et sel, lunettes rouges, en l'espace de quelques semaines, elle est passée de l'ombre à la lumière au fil des audiences du procès des viols de Mazan. Béatrice Zavarro est celle qui a accepté de défendre "l'indéfendable" : Dominique Pelicot, un des pires criminels sexuels de ces dernières décennies.
L'avocate Beatrice Zavarro face aux journalistes le jour du verdict du procès des viols de Mazan, le 19 décembre 2024, au tribunal d'Avignon (France).
"Je suis seule face au monde", reconnait Béatrice Zavarro, devant la cour criminelle de Vaucluse, où son client, Dominique Pelicot 71 ans, et 50 coaccusés ont été jugés et condamnés dans le procès des viols de Mazan. 50 hommes qu'il avait invités sur internet pour venir violer son épouse, droguée aux anxiolytiques, pendant dix ans.
"Chef d'orchestre" de cette affaire criminelle hors norme, Dominique Pelicot a été condamné le 19 décembre 2024 à la peine maximale de 20 ans de réclusion, celle qui avait été requise contre lui par le parquet. Ils "savaient tous" qu'ils venaient pour violer Gisèle Pelicot, a-t-il eu cesse de répéter au fil des audiences. La plupart de ses co-accusés au contraire sont restés dans le déni, l'accusant en retour de les avoir manipulés. Ces derniers ont été condamnés à des peines allant de 3 à 13 ans de prison.
Alors comment défendre l'indéfendable ? Il s'agit de "faire la lumière sur tout ça", a expliqué l'avocate pénaliste, sur francebleu. Si elle affirme ne pas "aimer" son client, elle dit avoir "tissé un lien avec Dominique Pelicot", pour l'amener à "un positionnement d'explications".
Dans ce dessin de presse, on voit Gisèle Pelicot lors de son audition face à son ex-mari Dominique Pelicot, condamné à 20 ans de prison pour viol, le 17 septembre 2024, à Avignon (France).
Un processus qui a pu s'appuyer sur le visionnage des vidéos des viols de Gisèle Pelicot, visionnage essentiel pour Béatrice Zavarro. Des images qu'elle reconnait avoir accueillies avec “beaucoup d’émotion”. Des pièces indispensables, car il était important de “disséquer” selon elle chaque séquence des viols, malgré la violence des images. Interrogée sur ce point sur M6, elle dit sans détour : “Les propos des uns et des autres pouvaient être confortés, infirmés, confirmés par ce visionnage, donc il fallait les regarder. Comment on le vit ? Pardon, mais on le vit comme une pièce de procédure qu’on ne peut pas contourner, donc on les regarde”.
Ce qualificatif de "monstre", la Marseillaise de 55 ans aux lunettes rondes et rouges le réfute, se considérant seulement comme "l'avocate de quelqu'un qui a commis quelque chose de monstrueux". Et de rappeler qu'en "France, dans un Etat de droit, chacun a le droit d'être défendu".
"A partir du moment où je défends un homme dont on me dit qu'il est un menteur, un manipulateur, qu'il a berné tout le monde, je dois tenter de rétablir la vérité", se justifie Me Zavarro : "ma mission, c'est qu'on arrive à comprendre, même si on le déteste", comment il a pu réaliser "ces faits détestables".
J'ai décidé de défendre Dominique Pelicot parce qu'il me l'a demandé. Il m'a accordé sa confiance. Béatrice Zavarro
C'est un de ses ex-clients qui l'avait recommandée à Dominique Pelicot, quand les deux hommes s'étaient connus à la prison marseillaise des Baumettes. "J'ai décidé de défendre Dominique Pelicot parce qu'il me l'a demandé. Il m'a accordé sa confiance", précise l'avocate, payée via l'aide juridictionnelle - un mécanisme financé par l'Etat dont peut bénéficier chaque détenu -, reconnaissant avoir "sous-estimé l'impact médiatique" de ce procès au retentissement mondial. "Je crois que personne ne pouvait s'y attendre puisqu'on pensait tous que cette audience se déroulerait en huis clos", ajoute-t-elle.
Si elle n'a pas reçu de menaces directes - elle est absente des réseaux sociaux -, son secrétariat a reçu de nombreux appels malveillants. "Vous devriez faire attention...", lui avait glissé un badaud début septembre, sibyllin.
"J'ai reçu paradoxalement beaucoup de messages de soutien même de femmes faisant partie d'un mouvement féministe et qui sont venues me voir à la sortie du tribunal pour me dire 'merci pour ce que vous avez fait, merci pour votre défense, vos actions et vos mots, et de ne pas avoir oublié la victime principale Gisèle Pelicot'", confie-t-elle sur le plateau de France 5.
Fille de commerçants, cette amatrice de polars et de marche qui "déteste paradoxalement la dispute", admiratrice de ses confrères Henri Leclerc et Sophie Bottai, à côté desquels elle se "sent très très petite", a prêté serment en janvier 1996 au barreau de Marseille, "ville magnifique" où elle a toujours vécu.
J'étais pas forcément destinée à ce domaine-là, mon gabarit, ma voix, ou le fait d'être une femme pouvait peut-être arrêter certains. Béatrice Zavarro
"Le pénal m'intéressait beaucoup. J'étais pas forcément destinée à ce domaine-là, mon gabarit, ma voix, ou le fait d'être une femme pouvait peut-être arrêter certains". Mais, "pour faire ce métier, il faut aimer les gens", pour leur "redonner un peu de dignité".
"Opiniâtre, très calme et courageuse, car elle a le mauvais rôle", selon son confrère Patrick Gontard, 45 ans de métier, Me Zavarro a par le passé défendu Christine Deviers-Joncour dans l'affaire politico-financière Elf, et représenté le père de Madison, fillette de cinq ans enlevée puis tuée en 2006 dans le sud-est de la France. "Elle prend ses dossiers à bras le corps mais avec une main de velours", selon Myriam Gréco, qui défendait alors le meurtrier de Madison, décrivant "un petit bout de femme qui peut sortir ses griffes, mais sans esbroufe".
Un caractère qui semble correspondre à sa personnalité : sa robe d'avocate rapiécée ou son cabinet défraîchi du cœur de Marseille témoignent de son refus des effets de manche.
Elle intériorise beaucoup, se livre peu, est dure au mal. Edouard Zavarro, mari de Béatrice Zavarro
A Avignon, où elle a dû résider le temps de ce procès emblématique des violences sexuelles, elle logeait en périphérie, dans un quartier populaire. Deux fois par jour, elle a tenu à se rendre à pied jusqu'au tribunal, pour "se libérer l'esprit", inlassablement accompagnée de son mari Edouard. "Elle intériorise beaucoup, se livre peu, est dure au mal, donc je fais le bouffon de service pour la requinquer", atteste son conjoint depuis 30 ans, parfois pris pour son garde du corps en raison de sa taille imposante.
Pour Béatrice Zavarro, ce procès constitue "un épisode essentiel dans l'évolution du sujet qu'est le viol", avec "un premier palier qui est Gisèle Halimi (NDLR: avocate de ce procès emblématique de 1978 qui contribua à faire reconnaître le viol comme un crime) et un deuxième palier qui sera Gisèle Pelicot". "Ça permet à toutes ces femmes qui ont été victimes de violences sexuelles de se retrouver un peu" et "de faire en sorte que la parole puisse se libérer", "toutes ces femmes considèrent qu'elle est désormais leur porte-parole".
Un procès suivi dans le monde entier. Ici, une pancarte brandie lors d'un rassemblement de soutien à Gisèle Pelicot, le 19 décembre 2024, devant le tribunal d'Avignon, dans le sud de la France.
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