En arrivant, ce 19 novembre, troisième du premier tour de la présidentielle chilienne avec plus de 20 %, la candidate de la gauche radicale Beatriz Sanchez déjoue tous les pronostics et vient bouleverser une élection bien moins jouée d'avance que prévu.
Avec condescendance, les sondeurs lui prédisaient 8 %. Elle a recueilli ce 19 novembre 20% des voix : c'est peu dire que Beatriz Sanchez a créé la surprise comme candidate d'extrême gauche
au premier tour de l'élection présidentielle.
Cela me réjouit beaucoup de voir un pays où n'importe qui peut arriver à être président et que cela ne dépende pas de l'argent qu'il a, de l'école où il a étudié ou de son nom de familleBeatriz Sanchez
A 46 ans, cette mère de trois enfants, n'est pas au Chili une figure inconnue. Journaliste, elle a accompli l'essentiel de sa carrière à la radio mais a aussi présenté le journal télévisé ces dernières années. Dans cette campagne, elle se définissait comme «
un pont entre les mouvements sociaux » et la politique. L'un de ses slogans : «
aujourd'hui, nous montrons que nous sommes le pouvoir du grand nombre et que nous sommes arrivés pour rester ».
Elle avait fait irruption avec force en mars comme candidate de la large coalition du Frente Amplio (« Le front ample », en français). Les sondages la faisant stagner sous les 10%, les analystes politiques n'en faisaient pas grand cas. «
Cela me réjouit beaucoup de voir un pays où n'importe qui peut arriver à être président et que cela ne dépende pas de l'argent qu'il a, de l'école où il a étudié ou de son nom de famille », soulignait-elle alors, nullement découragée.
Dédaignée, courtisée
S'il représente une heureuse surprise pour elle, le fait qu'elle réalise plus du double - à deux doigts de la qualification pour le second tour - jette un sérieux trouble sur l'honnêteté des enquêtes qui ont eu pour effet, en la réduisant à peu de chose, de contenir son élan. "
Si les sondages avaient dit la vérité, observe-t-elle,
nous serions peut-être au deuxième tour":
Pas qualifiée, mais en position de force. Son rôle, en tout cas, sera décisif pour le second tour qui opposera, le 17 décembre le conservateur Sebastian Piñera (36,6% au premier tour) au socialiste Alejandro Guillier (22,7%). Son ralliement à ce dernier n'est pas acquis, et en tout cas pas sans conditions.
«
Aujourd'hui on va commencer une conversation. Je veux convoquer tous les membres du parti Frente Amplio, et toutes les personnes qui s'identifient au parti à se joindre à cette conversation sur l'avenir. C'est l'appel que je lance. Mais que ce soit clair : Sebastian Piñera représente un recul pour ce pays et le pays s'en va dans une autre direction », a-t-elle lancé.
Portée par un mouvement
Derrière sa candidature et son courant, on trouve notamment les anciens meneurs des manifestations étudiantes, qui l'ont convaincue de se présenter pour séduire les désenchantés de la politique traditionnelle, mais aussi ceux de la gauche du gouvernement socialiste de la présidente sortante Michelle Bachelet.
Si nous ne changeons rien, si nous ne menons pas une réflexion, ce pays va se remplir de colère et de peurBeatriz Sanchez
Célèbre pour son ton direct, mais amical, lorsqu'elle menait des interviews, Beatriz Sanchez n'a cessé, pendant sa carrière de journaliste, de dénoncer la corruption et l'influence politico-économique d'une élite qui se savait intouchable, dans le Chili de l'après dictature d'Augusto Pinochet (1973-1990).
Sans aucun doute la candidate la plus enthousiaste parmi les huit au total qui se présentaient au scrutin, elle a mené campagne avec la volonté de provoquer un changement politique dans ce pays conservateur.
«
Si nous ne changeons rien, si nous ne menons pas une réflexion, ce pays va se remplir de colère et de peur », mettait-elle en garde lors d'un récent entretien avec l'AFP, alors que de nombreuses manifestations, notamment contre la réforme de l'éducation, ont agité le Chili ces derniers mois.
Dans la jungle libérale
Ouvertement féministe, la journaliste se dit favorable à une dépénalisation totale de l'avortement, interdit pendant près de 30 ans et tout juste autorisé, mais uniquement pour raisons thérapeutiques.
Elle prône aussi une plus grande intervention de l'Etat dans l'éducation, la santé et les retraites, trois secteurs encore marqués par le libéralisme hérité de Pinochet.
Issue d'une famille de brillants professeurs, Beatriz était tombée enceinte à 19 ans, alors qu'elle était encore étudiante. Inquiète pour la poursuite de ses études, elle avait pensé à avorter, comme elle l'a confessé plus tard, mais avait finalement poursuivi sa grossesse au côté de son compagnon, le journaliste Pablo Aravena, aujourd'hui son mari depuis 28 ans.
Quand elle avait fait le grand saut vers le petit écran en 2011, après presque 20 ans à la radio, elle avait avoué quelques réticences: «
Je n'ai pas un corps pour aller à la télévision », avait-elle dit, alors que la plupart des présentatrices de la télévision chilienne avaient un physique de mannequin.
Cela ne l'avait pas empêché de décrocher en 2014 le prix de la « meilleure journaliste de télévision ».
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