Fil d'Ariane
Bernardine Evaristo, dont l'oeuvre explore l'identité afrobritannique, s'est imposée comme l'une des grandes voix de la littérature de son pays, qui a "globalement accepté son multiculturalisme". L'autrice de 63 ans était de passage à Paris pour la sortie en français de Des racines blondes et Manifesto, publiés début février 2023 aux éditions Globe.
Des racines blondes
— Baz'art (@blog_bazart) February 14, 2023
Bernardine Evaristo ose une ambitieuse et audacieuse uchronie autour de l'esclavage ..une lecture coup de poing et de pied dans la fourmilière de nos sociétés qui oublient... pic.twitter.com/NeTsA3D7F1
Publié au Royaume-Uni en 2008, Des racines blondes est un roman satirique sur le racisme qui peut se résumer ainsi : et si l'Afrique avait conquis le monde ? Et si les maîtres étaient devenus les esclaves ? Le tout raconté à travers le destin de Doris Scagglethorpe, une Anglaise connue sous son nom d'esclave, Omorenomwara.
"C'est un mélange entre la tragédie et la comédie", explique l'écrivaine née d'une mère anglaise et d'un père nigérian. "Même si mes livres traitent toujours de sujets sérieux, je me suis rendu compte que l'humour permettait de toucher les lecteurs. Et lorsque les lecteurs sont touchés, il peuvent s'ouvrir et explorer votre oeuvre", poursuit-elle.
Une scène qui s'est ouverte ces dernières années à des récits portés par des écrivains de tous horizons, assure-t-elle en attribuant cette évolution au mouvement américain Black Lives Matter et à ses résonances au Royaume-Uni. "L'une des choses qu'il faut reconnaître à propos de la Grande-Bretagne, c'est qu'il y a un certain degré d'acceptation du fait qu'il s'agit d'un pays multiculturel", assure-t-elle.
Il n'y a pas que de la bienveillance à mon égard. En tant que femme noire, j'ai conscience que j'évolue sur un terrain qui peut être mouvant.
Bernardine Evaristo
"Regardez la scène politique actuelle : le fait que le Premier ministre (Rishi Sunak, ndlr) ait des origines indiennes est quelque chose d'important même si des gens disent le contraire parce que c'est un gouvernement de droite. Je ne dis pas que le racisme a complètement disparu mais la société britannique a, je crois, globalement accepté son multiculturalisme".
L'obtention en 2019 du Booker Prize – ex aequo avec Les testaments de la Canadienne Margaret Atwood – pour Fille, femme, autre, a aussi participé à davantage visibiliser les auteurs et autrices noirs ou métisses, et a fait d'elle une star littéraire "en moins d'une nuit", comme elle ironise dans son mémoire Manifesto.
Ce livre choral, sans point ni majuscule, traduit en une vingtaine de langues et vendu à plus d'un million d'exemplaires, dresse le portrait de douze femmes afro-britanniques. Façon de rendre visible ceux qui ont longtemps été invisibilisés, soutient-elle.
En 2021, Bernardine Evaristo est nommée à la tête de la Royal Society of Literature, institution pluricentenaire qui promeut les lettres et la littérature. Encore, une première.
"Il y a beaucoup d'attention sur ma voix donc je dois faire très attention à ce que je dis et choisir mes batailles avec soin", répond l'autrice lorsque l'AFP lui demande ce que ce prix lui a apporté. "Il n'y a pas que de la bienveillance à mon égard. En tant que femme noire, j'ai conscience que j'évolue sur un terrain qui peut être mouvant", dit-elle.
Cela ne veut pas dire ignorer les débats sur la diversité. Depuis quelques années, elle utilise sa notoriété pour faire monter une nouvelle garde d'écrivains. Comme lorsqu'elle recommande le premier livre de sa compatriote Natasha Brown, Assemblage, qui vient de paraître chez Grasset. Ou encore celui de l'écrivain noir-américain James Hannaham, Personne en avait rien à foutre de Carlotta, qui sortira en avril 2023 chez Globe. "Ma voix porte au plus haut niveau, autant que cela serve aussi aux autres".
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