A Beyrouth, un havre de paix, au féminin, pour artistes de tous horizons

Dans un Liban patriarcal, une équipe 100% féminine a ouvert une galerie à Beyrouth. Haven for Artists a pris ses quartiers dans l’une des dernières demeures traditionnelles de Beyrouth. Un havre de paix qui vise à accueillir des rencontres, ateliers et débats. Une maison où on peut parler de tout, de poésie, de drogue comme d'homosexualité. Et chacun est le bienvenu : syrien, libanais, palestinien, hétéro, homo, chrétien, musulman, homme, femme, etc.

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Dayna Ash et Nada Ammous ont créé leur association pour les artistes depuis plus de sept ans

(c) Melinda Trochu
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Sur la terrasse de Haven for Artists, à Mar Mikhaël, l'un des quartiers branchés en bord de mer de Beyrouth, des jeunes discutent en anglais des décès de poètes arabes, un café et une cigarette à la main. Leur atelier d'écriture doit débuter dans quelques minutes.

A l'intérieur, Dayna Ash, 28 ans, la directrice créative de Haven, et Nada Ammous, la coordinatrice de l'audiovisuel, s'occupent de leur havre de paix. "Nous sommes quatre artistes libanaises très actives au sein du comité de Haven mais nous ne nous considérons pas féministes" tient à préciser Dayna. "Quand je dis que nous ne sommes pas féministes, c'est que nous croyons en l'art pas dans le genre. Nous croyons en l'art pas en la religion" nuance-t-elle.

Au Moyen-Orient, c'est tout simplement difficile d'être vivant, pas juste d'être une femme. Et la pression sur les hommes est également massive
Nada Ammous, Haven For Artists

Les femmes de Haven n'ont pris conscience qu'elles étaient toutes des femmes dans leur équipe que lors d'une interview pour un magazine berlinois. "Dans notre communauté artistique, peu importe votre genre, c'est vos créations qui intéressent" analyse Nada. "Au Moyen-Orient, c'est tout simplement difficile d'être vivant, pas juste d'être une femme. Et la pression sur les hommes est également massive."

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En deux jours, Dayna Ash a réussit à trouver une maison à louer à deux pas de chez elle pour créer leur havre de paix Haven For Artists

(c) Melinda Trochu

Depuis des années, ces jeunes femmes créent des événements pour les artistes, réunissant jusqu'à 1000 personnes lors d'un festival. Leur but : créer de la collaboration et améliorer la cohésion de leur communauté. "A chacun de nos événements nous avions au moins 30/40 artistes d'horizons différents venus exposer (des Libanais, Irakiens, Palestiniens, Syriens, etc.). Et à chaque fois, nous construisions des installations qui restaient à la personne à qui on avait loué le lieu. Souvent, c'était détruit. On se sentait constamment comme des vagabonds essayant de trouver notre place à Beyrouth. Donc on a décidé de louer une maison et on l'a trouvé en deux jours !" La maison était inoccupée depuis deux ans. En trois mois, elle est rénovée, peinte, aménagée.

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Haven for Artists se veut un lieu d'échange et d'inspirations entre artistes de tous horizons et de toutes nationalités

(c) Melinda Trochu

Leur havre de paix se veut une réponse à la compétition ambiante au Liban dans le domaine des arts. "C'est un milieu assez restreint et tout le monde s'observe. Mais à Haven, on ne veut pas de ça. Nous avons une approche plus holistique, où nous prônons une compréhension coexistante. Nous voulons que les artistes s'épanouissent grâce aux autres" prône Dayna. Dans la maison, les objets et créations d'environ 14 artistes donnent une âme particulière à la vieille bâtisse.

La culture pour soigner les blessures

Toutes les deux semaines, le programme des ateliers change. Écriture, philosophie, club lecture, photographie, discussions sur des mouvements du cinéma... Et même un atelier pour aider les artistes à se promouvoir auprès des galeries. L'équipe n'hésite pas également à s'attaquer à des problèmes sociaux. "Nous avons eu une discussion sur les drogues avec l'association Skoun, bientôt une sur la santé mentale" explique Dayna. La veille de cette interview, une jeune femme très active au sein de Haven s'était suicidée. La deuxième en trois mois.

Les traumas ne devraient pas nous définir. Nous sommes ce que nous créons
Nada Ammous

Réunir plutôt que confronter. S'entraider plutôt que juger. "Nous voulions créer un lieu sain où les artistes peuvent échanger leurs idées et s'inspirer entre eux. La chose la plus importante derrière Haven c'est la possibilité d'inspirer les autres mais également de faire concrètement quelque chose" détaille Nada. Si au Liban, le spectre de la guerre civile hante nombre de ses artistes, les femmes de Haven se veulent elles tournées vers l'avenir. "Nous ne sommes pas tous dépressifs et déprimés. Bien sûr la guerre civile nous a affectés. Nous avons été éduqués par la génération de cette guerre. Évidemment, nous avons des traumas et on essaye d'en sortir" lance Nada. "Mais les traumas ne devraient pas nous définir. Nous sommes ce que nous créons" assène Dayna.

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Environ 400 artistes gravitent autour de Haven, lors des événements mais aussi des ateliers

(c) Melinda Trochu

Environ 400 artistes gravitent autour de Haven. Des hommes et femmes de toutes nationalités. Une fierté pour Dayna. "La beauté de Haven c'est que les gens ne regardent pas d'où vous venez. Encore aujourd'hui, je travaille avec des personnes dont j'ignore la nationalité. Ça n'a pas d'importance. Je ne veux pas savoir le nom de famille ou la religion des artistes. Nous avons des peintres, des rappeurs, des artistes visuels, des musiciens, etc."

Ce qui les réunit, c'est l'enivrante Beyrouth, qui peut être écrasante, inspirante, dépressive. "Si vous pouvez survivre à Beyrouth, vous pouvez survivre n'importe où. Si vous pouvez vivre sans eau et électricité et être encore capable de mélanger votre peinture, prendre des photos..." Pourtant Dayna reconnaît qu'il faut encore se battre au Moyen-Orient pour pouvoir exister en tant qu'artiste. Elle rêve de créer des échanges avec Berlin, une ville où elle aime se réfugier pour se "rafraîchir l'esprit".

Être une femme ne m'a jamais stoppée. J'obtiens mes droits simplement en étant moi-même
Dayna Ash

A terme, les femmes de Haven souhaitent ouvrir une deuxième branche à Tripoli, la délaissée du nord. "Car il y a des artistes merveilleux là-bas." Elles évitent de faire trop de publicité autour de leurs projets, pour garder une authenticité et pour que l'argent n'affecte pas leur utopie. Leur rêve : influencer les jeunes générations à jouer de la guitare plutôt qu'à porter une arme.

En attendant, elles ne laissent rien les arrêter. Ni le manque d'argent, ni le sexisme. Les yeux pétillants, Dayna l'énergique poétesse s'enflamme : "Être une femme ne m'a jamais stoppée. J'obtiens mes droits simplement en étant moi-même et en faisant ce que je veux, pas en disant que je suis féministe. Nous ne sommes pas des femmes, nous sommes des artistes. Et chacun devrait se définir ainsi. Le genre est secondaire. Ce que vous faites est qui vous êtes."

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Une quinzaine d'artistes de toutes origines sont exposés en permanence dans cette maison 
(c) Melinda Trochu

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