"Il était l'un des plus grands misogynes", lance dans un rire Elisabeth Moreno sur le plateau du Grand Jury RTL-Le Figaro-LCI. Il faut dire que l'entretien remonte au 7 mars dernier, à la veille du 8 mars, Journée internationale des droits des femmes... Sur les ondes, la ministre française en charge de l'Égalité femmes-hommes se déclare personnellement contre les célébrations du bicentenaire de la mort de Napoléon. "Je m'associerai à ce que fait le gouvernement", tient-elle néammoins à préciser, annonçant qu'elle participera aux événements. "Il a rétabli l'esclavage - ajoute la ministre - et en même temps c'était un grand homme de l'Histoire française. (...) La vie n'est pas toute noire ou toute blanche".
Faut-il célébrer le bicentenaire de la mort de Napoléon ?
— Le Grand Jury (@LeGrandJury) March 7, 2021
La ministre déléguée en charge de l'Égalité entre les femmes et les hommes @1ElisaMoreno n'en est pas convaincue
#LeGrandJury https://t.co/ZgShT5tyUW pic.twitter.com/TChN7KYe6j
Le 5 mai 2021, le chef de l’État français Emmanuel Macron prononcera un discours à l’Institut de France avant de déposer une gerbe sur le tombeau de l’Empereur aux Invalides. "Commémorer ne veut pas dire célébrer", ont plusieurs fois rappelé les autorités dans la presse.
Napoléon, Empereur misogyne ?
Une position pour le moins délicate lorsqu'on examine l'héritage de l'Empereur concernant les droits des femmes, érigés au titre de "grande cause du quinquennat" par Emmanuel Macron.
Napoléon Bonaparte (1769-1821), Lettre de celui qui n’est encore que jeune général à son frère Joseph, 8 septembre 1795
Dictionnaire des citations françaises, Le Robert.
C'est drôle pcq Olympes de Gouges et son Droits de la femme et de la citoyenne c'était en 1791 comme quoi si, le concept de traiter les femmes comme des humains existaient déjà :) Donc si Napoléon était misogyne et on va pas se gêner pour le rappeler à chaque fois que nécessaire.
— Eternally bored(@ian_anders_i) May 3, 2021
.@arthurchevallie : "Les #femmes ont obtenu des droits civils et politiques en 1792. Mais en 1795, elles n'en ont plus aucun. Quand #Napoléon codifie la situation des femmes dans la famille, il ne fait que cristalliser une situation en vigueur" #le79Inter pic.twitter.com/m68JVIe4sx
— France Inter (@franceinter) May 4, 2021

Terriennes : Quelle vision avait Napoléon des femmes ?
Natalie Petiteau : La vision d'un homme de son temps. C'est-à-dire qu’il considérait la femme à la fois comme un être dont il pouvait tomber éperdument amoureux, à la façon romantique - c’est ce qui lui est arrivé pendant trois ans avec Joséphine. Cette vision cohabitait avec celle de la femme éternelle mineure, qui passe de l’autorité de son père à celle de son mari, femme dont la position d’infériorité est inscrite dans le Code civil.
Natalie Petiteau, historienne
Natalie Petiteau : N’oublions pas que ce n’est pas Napoléon qui a pris la plume pour écrire le Code civil. Celui-ci était déjà en préparation pendant la Révolution française. Il n’en reste pas moins que le Code civil parachevé par Napoléon consacre la position inférieure de la femme dans la société. Elle ne peut même pas disposer de ses biens propres : si elle est mariée, par exemple, c’est son mari qui doit lui accorder l’autorisation de vendre des biens qui lui viendraient de son père.
Quels sont les apports propres à Napoléon au Code civil ?
Difficile d’avoir le détail des discussions, mais, semble-t-il, Napoléon a été très attentif à introduire des précisions sur le divorce. Pourtant, quand s’achève la rédaction du Code civil, pendant le Consulat, il n’est pas question pour lui de divorcer. Car à ce moment-là, il a un héritier : le fils aîné de son frère Louis et de sa belle-fille Hortense de Beauharnais. C’est à la mort de ce petit garçon, en 1807, que Napoléon commence à songer à se séparer de Joséphine.

Si le Code civil comporte de longs chapitres sur les détails du divorce, c’est que l’Empire, qui fait la synthèse entre l’Ancien Régime et la Révolution française, tente de limiter les apports de cette dernière concernant la liberté de la femme, sans pouvoir en faire totalement abstraction. De très longs paragraphes sont insérés pour « reprendre d’une main ce qui a été donné de l’autre », en fixant, par exemple, des conditions draconiennes au divorce par consentement mutuel. La possibilité existe, mais elle est soumise à de telles conditions – d’âge, de durée du mariage… - qu’il devient très difficile de la faire appliquer. L’épouse, par exemple, est considérée adultère si elle est surprise avec un amant, tandis que l’homme n’est considéré adultère que s’il entretient sa concubine sous le toit conjugal… Voilà qui en dit long sur l’esprit du texte.
L’esprit de Napoléon, donc ?
Malgré tous les clichés véhiculés depuis des dizaines d’années sur Napoléon, et que fait ressurgir le bicentenaire de sa mort, le Code civil est davantage le reflet de la pensée d’un temps que d’un seul homme. Certes, Alfred de Musset a joliment dit « un seul homme était en vie alors en Europe », mais ce n’est pas vrai. Bien sûr Napoléon prend des décisions, mais ce sont celles d’un homme de son temps. Le Code a été préparé par Cambacérès, qui devient quasiment le numéro deux de son régime, mais il est en préparation depuis la Révolution française, et l’a été pendant toutes les années du Directoire. L’apport de Napoléon a été de donner la pulsion pour finir les choses, de « passer à l’acte ».
Natalie Petiteau, historienne
Une femme, pour Napoléon, ne peut pas avoir de rôle politique. Pour lui, l’intervention d’une madame de Staël dans la sphère politique est quelque chose d’insupportable. Le seul rôle politique – indirect – qu’il peut concéder à une femme, c’est quand, en 1810, il épouse Marie-Louise après avoir répudié Joséphine qui ne lui donne pas d’héritier. Il épouse une femme qui doit lui donner des enfants, puisque Marie-Louise est issue d’une famille dont on sait qu’elle est très prolifique. Elle est donc un gage de continuité pour sa dynastie, mais aussi un gage de paix, puisqu’en épousant une fille de l’empereur d’Autriche, il consolide la position de la France sur l’échiquier politique européen.
Napoléon, Lettre à Joséphine, lors de la Campagne d'Italie, 1796-1797
Comme tout individu, il a évolué au fil de sa vie. Jeune homme, il n’a connu que peu de femmes, et Joséphine sera son grand amour. Il croit encore en tout ce en quoi il a cru durant sa jeunesse, en homme des Lumières. Puis quand, notamment pendant la campagne d’Égypte, il accepte de voir que Joséphine le trompe et qu’elle n’est pas vraiment attachée à lui, il s’engage dans une nouvelle vision de l’existence. C’est là, sans doute, que Bonaparte devient Napoléon. En tout cas, c’est là qu’il perd beaucoup d’illusions, notamment sur les femmes, mais aussi en matière politique.
Quel est son rapport aux femmes durant son règne ?
Il a de successives maîtresses, dont certaines lui donnent des enfants, en 1807 et 1809. Il a alors la preuve qu’il peut enfanter et la femme redevient à ses yeux un ventre. Toutefois, lorsqu’il rencontre Marie Walewska en 1807, en Pologne, il tombe sans doute véritablement amoureux. Elle réveille l’amoureux qui sommeillait en lui, mais il est alors devenu un souverain, et les contingences politiques sont sa priorité. Lorsqu’il épouse Marie-Louise, il sait qu’il a la chance d’épouser une femme qui a 22 ans de moins que lui, alors que Joséphine en avait six de plus. Napoléon est alors bien décidé à jouer le bon époux.
Dans cet épisode de sa série "Napoléon, l'homme qui ne meurt jamais" sur @franceinter Philippe Collin évoque la figure de l’homme puissant et viril, qui tend à remettre en question la vision qu'il se faisait des femmes... https://t.co/xdNsVpCLSR #2021AnnéeNapoléon
— Fondation Napoléon (@FondaNapoleon) May 3, 2021
Quelles ont été ses influences féminines ?
Sa mère, Letizia Ramolino, est la grande influence de son existence, la véritable « femme de sa vie », pourrait-on dire. Cette femme, qui parlait mal le français, a éduqué très soigneusement ses garçons et ses filles. Elle a donné au jeune Bonaparte une éducation faite de beaucoup de discipline, mais aussi de foi en sa destinée. A son sujet, Napoléon disait qu’elle lui « donnait l’orgueil et prêchait la raison ». Cette façon qu’elle a eu de lui inculquer une foi en sa destinée a sans doute beaucoup compté à des moments importants de son existence.
"Madame mère", la femme de sa vie
N.P: Napoléon a toujours respecté sa mère. Il a réussi à faire en sorte que cette femme, qui était très en retrait de la vie de sa cour, n’en soit pas moins respectée. Pour elle, il a inventé ce titre jamais vu ailleurs de « Madame Mère ». De son côté, elle a toujours été présente auprès de lui, elle vient même le rejoindre en exil à l’île d’Elbe en 1814 et 1815.
Ses sœurs n’ont pas eu d’influence sur lui, mais elles ont compté. La plus intelligente, l’aînée, Élisa, est celle qui lui ressemble le plus, dans la mesure où elle a une tête politique. La seconde, Pauline, réputée être la plus belle femme de son temps, met un grain de folie dans la cour impériale. Dénuée d’ambition politique pour elle-même, elle a épousé un prince Borghèse, et se contente du titre qui lui revient ainsi. Extrêmement dévouée à son frère, elle aussi finit par le rejoindre à l’île d’Elbe.
Napoléon a enfin à ses côtés Caroline, qui est sans doute la plus ambitieuse de ses trois sœurs, épouse de Murat, qui ne cesse d’œuvrer pour accéder à une couronne.
Mais par leurs ambitions et leurs jalousies, les sœurs de Napoléon ont plutôt empoisonné son existence, comme beaucoup d’autres personnes, d’ailleurs…
Jusqu’à la fin ?
Toute une petite cour évolue à Sainte-Hélène, dont l’atmosphère complexe empoisonne aussi, souvent, la fin de vie de Napoléon, car tous se jalousent les uns les autres. Parmi les figures féminines de ces derniers temps, il y a les épouses de ses compagnons d’exil, notamment celle du maréchal Bertrand et celle du maréchal Montholon.
Celle qui a le plus illuminé les derniers jours de l’empereur à Sainte-Hélène reste certainement la jeune Betsy Balcombe, la fille des propriétaires anglais de la toute première maison où habitait Napoléon, en attendant que Longwood House soit en état. Betsy Balcombe, qui, par la suite, a écrit ses mémoires, est alors une toute jeune fille qui se permet de parler à Napoléon librement. C’est elle qui a donné lieu à la jolie fable au cœur de l’excellent film d’Antoine Decaunes, Monsieur N.
►A la préhistoire, la place des femmes était à la chasse
►Le rôle des femmes à la préhistoire : chasseuses, peintres, guerrières...
►Femmes à travers l'Histoire : "sois laide et tais-toi !"
►Reines d'Afrique : une exposition photo célèbre les grandes femmes de l'Histoire du continent
►Des historiennes françaises dénoncent "la domination masculine en Histoire"
►Les femmes dans l’Histoire : vers la réhabilitation grâce aux nouveaux outils numériques ?
►France : les Archives nationales veulent rendre leur place aux femmes dans l'Histoire
►Ces héroïnes de l’histoire qui, elles aussi, avaient leurs règles