Biélorussie : l'opposante Maria Kolesnikova hospitalisée, en réanimation

Maria Kolesnikova est l'un des visages de la contestation biélorusse. Enlevée par des inconnus en compagnie de deux de ses collaborateurs à Minsk en 2020, elle avait refusé de quitter le pays et été interpellée à la frontière ukrainienne, suscitant une vague de soutiens pour réclamer sa libération. Condamnée à onze ans de prison, elle est hospitalisée en réanimation.
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Maria Kolesnikova
Maria Kolesnikova, dos à dos avec les forces de l'ordre lors d'une des manifestations de l'opposition dans la capitale biélorusse, Minsk, le dimanche 30 août 2020. 
©Tut.By via AP
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"Maria a été hospitalisée en réanimation à Gomel", dans le sud-est du Bélarus, indique dans un communiqué le service de presse de Viktor Babaryko, autre opposant bélarusse emprisonné, dont Maria Kolesnikova était le bras droit. Elle a été hospitalisée le 28 novembre 2022 dans une unité de soins chirurgicaux, avant d'être transférée en réanimation.

Cette hospitalisation intervient alors que  le service de presse de Viktor Babaryko a annoncé que Maria Kolesnikova avait été placée à l'isolement, sous prétexte d'un "comportement impoli". Son avocat s'était vu refuser l'accès à l'opposante.

"Des nouvelles terribles ! Notre chère Macha (diminutif de Maria, ndlr.), nous espérons tous que tu iras bien", a écrit mardi sur Telegram la cheffe de l'opposition bélarusse en exil, Svetlana Tikhanovskaïa.

Figure de la contestation

Grande figure de la contestation du régime bélarusse de l'été 2020, Maria Kolesnikova avait été condamnée en septembre 2021 à onze ans de prison, à l'issue d'un procès à huis clos, la justice bélarusse l'ayant reconnue coupable de "complot visant à s'emparer du pouvoir", d'"appels à des actions portant atteinte à la sécurité nationale" et de "création d'une formation extrémiste". Son coaccusé, l'avocat Maxime Znak, s'était vu infliger une peine de dix ans d'emprisonnement dans une colonie pénitentiaire de haute sécurité.

Maria Kolesnikova et Maxime Znak ont travaillé pour Viktor Babaryko, rival du président bélarusse condamné en 2021 à quatorze ans de prison pour fraude, une affaire qu'il a dénoncée comme politique. Ils appartenaient aussi au Conseil de coordination de sept membres mis sur pied par l'opposition après la présidentielle d'août 2020 pour tenter d'organiser une transition pacifique après plus de vingt-cinq ans de régime sous Alexandre Loukachenko.

Maria Kolesnikova était l'une des trois femmes propulsées à la tête du mouvement de contestation, avec Svetlana Tikhanovskaïa, candidate à la présidentielle à la place de son mari emprisonné, et Veronika Tsepkalo. Ces deux dernières ont fui le pays sous la pression des autorités.

"Je n'irai nulle part"

Maria Kolesnikova a été incarcérée en septembre 2020 après avoir résisté de manière spectaculaire à une tentative de l'expulser de son propre pays. Emmenée de force à la frontière entre le Bélarus et l'Ukraine, Maria Kolesnikova "criait qu'elle n'irait nulle part" et "s'est extirpée par la fenêtre de la voiture avant de se diriger vers la frontière bélarusse" où elle a été arrêtée, ont raconté depuis Kiev deux collaborateurs qui étaient à ses côtés, Anton Rodnenkov et Ivan Kravtsov. Ils ont fait, eux, le choix de quitter leur pays. Maria Kolesnikova avait déchiré son passeport, ce qui avait empêché son expulsion mais entraîné son incarcération

deux opposants
Anton Rodnenkov, à gauche, et Ivan Kravtsov lors de leur conférence de presse à Kiev, Ukraine, le 8 septembre 2020. 
©AP Photo/Efrem Lukatsky

Les deux hommes ont raconté avoir été emmenés de force par des inconnus et transportés dans diverses administrations, menottés et un sac sur la tête. Interrogés et menacés de poursuites judiciaires, ils se sont finalement vu proposer de quitter le pays. "Ce qui les intéressait, c'était le transport de Maria Kolesnikova hors des frontières. Ils l'expliquaient par la nécessité d'une désescalade de la situation" au Bélarus, a expliqué Ivan Kravtsov.

"Kolesnikova est actuellement détenue", confirmait le porte-parole des gardes-frontières bélarusses, Anton Bytchkovski.

Quelques jours plus tôt, une autre figure de l’opposition, Olga Kovalkova, était expulsée du pays après avoir purgé 15 jours de prison pour avoir manifesté, selon le site news-24.fr.

Protestations diplomatiques

Le chef de la diplomatie américaine Mike Pompeo s'était déclaré "profondément inquiet des informations sur l'enlèvement et la tentative d'expulsion forcée de dirigeants de l'opposition au Bélarus", affirmant réfléchir à de nouvelles sanctions.

"Nous rappelons aux autorités du Bélarus qu'il est de leur responsabilité d'assurer la sécurité de Mme Kolesnikova et de tous ceux détenus de manière injuste", disait Mike Pompeo. "Les Etats-Unis, en coordination avec nos partenaires et nos alliés, envisagent des sanctions ciblées supplémentaires pour favoriser la prise de responsabilité de ceux impliqués dans la violation de droits humains et la répression au Bélarus", ajoutait-il.

La France condamnait "les arrestations arbitraires et les pratiques d'exils forcés" et appelait à faire "toute la lumière" sur le cas de Maria Kolesnikova. L'ONG Amnesty International appelait à "la libération immédiate" de l'opposante et à "la fin de la campagne d'intimidation et de persécution politique" au Bélarus.

La figure de proue de l'opposition, Svetlana Tikhanovskaïa, en Lituanie, réclamait sa libération immédiate. Ce type de situation "ne peut pas être la norme en Europe, ni dans un monde civilisé", déclarait-elle lors d'une intervention par visioconférence devant l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe (APCE). "Mon peuple, ma nation ont besoin d'aide"

Quelques semaines après la condamnation de Maria Kolesnikova, le Conseil de l'Europe lui avait décerné le prix des droits de l'Homme Vaclav-Havel 2021, saluant son "courage".

Depuis, les Occidentaux ont adopté plusieurs trains de sanctions contre Minsk, qui jouit en revanche du soutien indéfectible de Moscou. Allié de la Russie, le Bélarus a servi de base arrière aux troupes russes pour leur offensive contre l'Ukraine fin février 2022, mais l'armée bélarusse n'a pas pris part jusqu'à présent aux combats sur le territoire ukrainien

633 arrestations après une manifestation d'opposition

Selon la police, 633 manifestant.e.s avaient été interpellé.e.s à l'issue de la manifestation massive de l'opposition le 6 août 2020. Pour le quatrième weekend consécutif, une foule record de plus de 100 000 personnes s'était rassemblée à Minsk, malgré un impressionnant déploiement des forces de l'ordre et de l'armée dans la capitale.

Des images montrait des hommes cagoulés, en civil et armés de matraques circulant dans le centre-ville et pourchassant des manifestants.

"Au total, 633 personnes ont été interpellées hier pour infraction à la loi sur les événements de masse", indiquait le ministère de l'Intérieur dans un communiqué, ajoutant que 363 d'entre elles restaient en détention provisoire dans l'attente de l'examen de leurs dossiers par les tribunaux. Il s'agissait du plus grand nombre d'arrestations à une manifestation d'opposition depuis les premières protestations ayant suivi la présidentielle du 9 août 2020, sévèrement réprimées par les forces de l'ordre.

Une artiste activiste déterminée

Agée de 40 ans, flûtiste professionnelle, Maria Kolesnikova est revenue vivre à Minsk, sa ville de naissance, en 2019, après avoir passé douze ans à Stuttgart, où elle a suivi des études de musique. Proeuropéenne, elle est aussi engagée pour les droits des femmes.

Maria Kolesnikova était la cheffe de campagne du candidat de l’opposition Viktor Babariko, un ancien banquier qui arrêté par les autorités avant les élections de 2020 avec son fils. La veille du scrutin présidentiel, elle avait été brièvement interpellée, tout comme la porte-parole de Svetlana Tikhanovskaïa, Maria Moroz, pour des raisons inconnues. 

trois candidates biélorussie

Des manifestantes brandissent les portraits des trois visages féminins de l'opposition : à droite Maria Kolesnikova, au centre Veronika Tsepkalo, et à gauche Sviatlana Tsikhanouskaya lors d'un rassemblement le 20 juillet à Minsk (Biélorussie). 

©AP Photo/Sergei Grits

Alors que Svetlana Tikhanovskaïa et Veranika Tsapkala, avec qui elle avait mené la campagne électorale, ont été poussées à l’exil, l'opposante assurait dans un article à Ouest-France publié le 12 août 2020, qu’elle ne partirait pas. "Je me sens responsable de ce qui se passe", déclarait-elle.

Dans un entretien au Figaro publié le 17 août, elle réclamait de nouvelles élections estimant que ​"La société biélorusse a changé très vite. Le mécontentement mûrissait depuis longtemps. Le truquage des élections, les violences contre la population ont soudé les Biélorusses qui ne sont plus d’accord avec ce pouvoir et qui sont prêts à défendre leur indépendance".

A la question, avez-vous été menacée ? Elle répondait: "Non. J’ai marché dans les rues de Minsk, vu beaucoup de gens. Je n’ai pas peur de dire la vérité ; je sens le soutien des Biélorusses".