Fil d'Ariane
C'est l'une de ces personnes dont on dit facilement, "il a vraiment une bonne tête"! Pendant des années, l'acteur Bill Cosby a fait rire des millions de foyers américains. Son "Cosby show" était devenu l'un des rendez-vous incontournable de divertissement de la télévision américaine.
"Bonne chance à vous, monsieur", lui a pourtant dit la juge Elizabeth McHugh à Bill Cosby après avoir rendu sa décision. "Merci", lui a répondu l'acteur et humoriste de 78 ans, qui n'a pas fait d'autre déclaration.
Dans cette procédure, l'ancien héros de l'Amérique est poursuivi pour agression sexuelle aggravée sur la personne d'Andrea Constand, en 2004, chef d'accusation passible de dix années d'emprisonnement.
Lors de l'audience préliminaire du mardi 24 mai 2016, il appartenait au procureur du comté de Montgomery (nord-est), Kevin Steele, de convaincre la juge que les éléments du dossier justifiaient la tenue d'un procès. "Nous sommes ici parce que nous voulons la vérité", a lancé Kevin Steele à l'issue du jugement, dont il s'est félicité. "Nous attendons maintenant de connaître la date du procès", a-t-il ajouté.
C'est un coup très dur pour Bill Cosby, dont l'image de père idéal et de modèle pour la communauté noire est chaque jour un peu plus écornée par les accusations formulées par des dizaines de femmes.
Mais cette popularité indéfectible s'était déjà heurtée à la fin de l'année 2015 à une première décision de justice. Bill Cosby avait alors été présenté à un juge le mercredi 30 décembre, inculpé pour la première fois d'agression sexuelle malgré des dizaines d'accusations depuis des mois, qu'il a toujours contestées.
Mâchoire serrée, la démarche hésitante, l'acteur vedette était sorti d'un véhicule noir devant de nombreux journalistes avant de s'engouffrer dans un tribunal à Elkins Park, en Pennsylvanie, dans l'est des Etats-Unis, vers 14h30 (19h30 GMT). Il n'était resté qu'un instant à l'intérieur, le temps de déposer 10% de sa caution fixée par la justice à un million de dollars.
Son rôle de gentil papa poule à la tête d'une sympathique et drôle famille noire, est resté emblématique dans l'histoire de le télévision, non seulement aux Etats-Unis mais partout où la série a été diffusée dans le monde, dans les années 1990 et 2000. Derrière ce sourire à fossettes et ces bonnes blagues, on sait aujourd'hui qu'il se cachait ce qu'on pourrait appeler "un prédateur sexuel" en action depuis des années.
Depuis novembre 2014, une trentaine de femmes sont sorties de l'ombre, accusant Bill Cosby de les avoir agressées sexuellement, la plupart du temps en les droguant à leur insu. Certaines étaient mineures au moment de ces faits présumés, dont certains remontent aux années 1960.
Lundi 27 juillet, le New York Magazine leur donne la parole en publiant leur témoignage dans son édition à la Une percutante : 35 femmes victimes présumées de Bill Cosby habillées de noir, assises sur des chaises, dont une reste vide suggérant qu'il y ait d'autres victimes restées encore muettes.
Les témoins qui ont aujourd'hui entre 20 et 80 ans, sont d'anciennes mannequins, serveuses, égéries du magazine Playboy, journalistes ou ayant travaillé dans le showbusiness. Après être restées longtemps dans le silence, elles décident aujourd'hui, ensemble, de prendre la parole.
"J'aurais pu marcher dans n'importe quelle rue de Manhattan, et dire n'importe où 'j'ai été violée et droguée par Bill Cosby', mais qui au monde m'aurait cru ? Absolument personne", raconte au magazine Barbara Bowman, 48 ans. Elle avait rencontré l'acteur à 17 ans alors qu'elle essayait de devenir actrice.
35 women speak about being assaulted by Bill Cosby, and the culture that wouldn't listen: http://t.co/H5dss5F2F4 pic.twitter.com/RCF0BWBrxA
— New York Magazine (@NYMag) 27 Juillet 2015
En décembre 2014, des procureurs de Los Angeles, s'étaient refusés à engager des poursuites contre l'acteur après une plainte déposée pour agression sexuelle en 1974 en raison de la prescription des faits, même si la plaignante était mineure à l'époque.
Une plainte en justice avait également été déposée en 2005 par Andrea Constand, ex-directrice du club de basket de Temple University, où Bill Cosby a étudié et dont il fut ensuite membre du conseil d'administration. Mais un non-lieu avait été prononcé.
Mais l'affaire est revenue sur le devant de la scène médiatique, lundi 6 juillet, avec la publication d'une déposition de Bill Cosby datant de 2005. L'acteur y admet avoir donné du sédatif et hypnotique Quaalude à une jeune femme en 1976 :"Elle est venue me voir en coulisses. Je lui ai donné du Quaalude. Nous avons eu un rapport sexuel", a-t-il avoué.
Longtemps, les avocats de l'acteur ont tenté d'empêcher la diffusion de cette audition, mais sa confidentialité a été finalement levée par les autorités américaines sur le site pacer.gov sur lequel sont rendus publics des documents judiciaires. La déposition de Bill Cosby contredit totalement la version de la star déchue de la télé américaine, qui a toujours nié ces faits publiquement.
Si la publication de ces aveux ne devrait pas lui valoir de nouvelles poursuites judiciaires, ils ont eu l'effet d'une bombe médiatique et les premiers à réagir sont ceux qui jusqu'ici avaient soutenu l'acteur.
Parmi les premiers à reconnaître s'être trompés, la chanteuse Jill Scott, qui, elle, l'avait pourtant défendu avec force, en estimant que, selon elle, beaucoup d'Afro-américains étaient emprisonnés par erreur, et qu'elle demandait alors des preuves pour prendre position. Sur Twitter, elle se dit aujourd'hui "complètement dégoutée". "J'ai soutenu un homme que je respectais et aimais, je me suis trompée, ça fait mal", précise-t-elle dans un second tweet.
I stood by a man I respected and loved. I was wrong. It HURTS!!! When you get it ALL right, holla.
— ⭐Jill Scott⭐ (@missjillscott) 6 Juillet 2015
L'affaire Cosby est un épisode de plus dans la série, "star de la télé et violeur" voire pédophile, pour ce qui est du cas Jimmy Savile en Grande-Bretagne.
En 2012, un documentaire révélait au grand public la longue liste de méfaits dont s'est rendu coupable cette ancienne star de la BBC, décédée en 2011 : au moins une soixantaine de viols et d'agressions sexuelles connus entre 1968 et 1992. La moitié des victimes avaient moins de 16 ans, et dix, moins de 12 ans. La majorité était de sexe féminin. L'ancien présentateur de la célébrissime émission "Top of the pop" sur la BBC rencontrait ses victimes dans les hôpitaux où il se rendait souvent dans le cadre d'associations caritatives. Au total, la justice étudie près de 450 plaintes…
La BBC a été doublement éclaboussée. En mai 2013, Stuart Hall, autre ancien présentateur vedette, avait reconnu, à 83 ans, avoir abusé sexuellement 14 jeunes filles âgées de 9 à 17 ans entre 1967 et 1986.
A chaque fois, on s'interroge. Comment ces criminels ont-ils pu échapper à la justice, et poursuivre leurs exactions sans qu'aucun témoins ou victimes ne puissent être entendus ? La réponse est dramatiquement simple. Quel crédit peut-on accorder à de jeunes femmes, très jeunes femmes, quand elles accusent des hommes qui sont publiquement connus et reconnus, dont la réputation semble irréprochable ?