Bocuse d'Or : Naïs Pirollet, première femme à représenter la France, arrive 5ème

Toque blanche bien vissée sur la tête, Naïs Pirollet est une "battante". À 25 ans, cette jeune cheffe française est la première femme à mener la brigade nationale au Bocuse d'Or, l'un des plus prestigieux concours du monde. À l'issue de la finale à Lyon, les jurés l'ont classé 5e en lui attribuant le prix spécial pour son menu enfant. Une réussite symbolique dans le milieu de la gastronomie française où les femmes cheffes restent encore minoritaires. 
Image
nais pirollet
Naïs Pirollet, 24 ans, visage féminin de la relève de la haute-gastronomie française, et première femme à diriger une brigade, masculine, au concours européen du Bocuse d'Or fin mars à Budapest. 
©lecoeurdeschefs
Partager7 minutes de lecture

"Peu à peu, j'ai cassé mes à prioris sur la compétition que j'avais par rapport aux milieux sportifs où je voyais la compétition comme le fait de dépasser les autres, alors que c'est pas ça ! La plus grosse épreuve c'est de se dépasser soi et de repousser ses limites", confie Naïs Pirollet à la radio. 

 

Alors bien sûr, représenter la France à l'un des concours les plus reconnus de la planète culinaire représente "une fierté" pour cette jeune femme blonde à la silhouette menue, bachelière à 16 ans, major de promotion en 2017 de l'Institut Bocuse, une des plus célèbres écoles de cuisine du monde.

"Avec la Bocuse d'Or, on ne sait jamais à quelle sauce on va être mangé !", confiait-elle début janvier au journal Le Progrès. Lundi 23 janvier 2023 à Lyon, les jurés de la finale du prestigieux concours ont décidé de la classer 5e sur le podium, avec le prix du menu "Feed the Kids" à 32 points du 3 e, (les trois premiers sur le podium sont le Danemark, la Norvège, la Hongrie, ndlr). Une récompense dont elle se réjouit, "fière d’avoir réussi à se faufiler parmi les grands noms de la gastronomie internationale".

Une préparation de très haut niveau

Tous les jours, Naïs Pirollet, son second Arthur Debray et son commis canadien Cole Millard, peaufinent leurs recettes, gardées secrètes, dans une maison prêtée par l'institut Bocuse. Arthur Debray la voit comme "un capitaine" et "une battante", qui sait exprimer "ses convictions et ses envies". Il admire les "risques qu'elle prend de représenter la France à son âge".

Ce jour-là, le trio s'attelle à la découpe d'une gigue de chevreuil, le thème d'une des épreuves du Bocuse d'Or Europe en mars 2022. La sélection européenne comprend deux épreuves: un plat végétarien autour de la pomme de terre et un plateau sur le thème du chevreuil, en 5H35 face à 16 autres équipes - toutes menées par un homme. 

"Pour le moment, on apprend à connaître le produit et une fois qu'on aura trouvé le goût et la technique, on cherchera à optimiser chaque geste car chaque seconde compte" pendant le concours, déclare Naïs Pirollet, concentrée, cheveux relevés en chignon. Sur les murs de la cuisine, le mot "simplicité" est affiché à divers endroits pour guider l'élaboration de leurs plats. Les préparatifs comprennent aussi un entraînement physique, indispensable pour "rester dynamique et s'aérer l'esprit" mais aussi pour "les ports de charge" importants en cuisine, explique Naïs.

[Brian Mark Handsen et Elisabeth Madsen vainqueurs du Bocuse d'or européen 2022 à Budapest] 

Au terme des deux jours de concours, la jeune femme termine 7ème des Bocuse d'Or Europe à Budapest. Un résultat qui permet à la benjamine de représenter la France lors de la grande finale du Bocuse d’Or, le plus prestigieux concours culinaire international qui se déroule les 22 et 23 janvier 2023 à Lyon.

Au menu : pour la première épreuve, elle a dû concocter un repas pour les enfants autour de la courge. Pour la deuxième partie, elle a cinq heures pour servir un plat chaud à base de produits de la mer, en l'occurrence des queues de Lotte et des noix de Saint-Jacques qui serviront de base à la recette, et deux garnitures végétales, s’y ajoute aussi un dessert en mode libre.

Des "petites mains" en or

Le Bocuse d'Or, Naïs Pirollet l'a déjà vécu de l'intérieur en secondant Davy Tissot, le chef français qui a conquis le trophée en septembre 2021 et lui a mis le pied à l'étrier.

Celle qui n'a "jamais été cheffe de cuisine", ni jamais dirigé de brigade dans un restaurant, crée la surprise en novembre 2021, en remportant la sélection française. Elle devient la première femme à la tête de l'équipe tricolore dans le concours international créé en 1987. Sa victoire représente un véritable événement et un signe fort pour la reconnaissance du talent des femmes en cuisine. Les femmes représentent aujourd’hui 50% des promotions de Bachelor Management International des Arts Culinaires.

Naïs Pirollet n’a pas gagné parce-qu’elle est une femme. Elle a gagné parce-qu’elle a été la meilleure sur tous les plans.
lecoeurdeschefs.com

"Naïs Pirollet n’a pas gagné parce-qu’elle est une femme. Elle a gagné parce-qu’elle a été la meilleure sur tous les plans. Sur l’amuse-bouche et le plateau, sur la cuisine et sur l’entretien préalable aux épreuves. Incontestablement, avec 300 points d’avance", lit-on sur le site lecoeurdeschefs.com.

Pas issue du sérail de la haute-gastronomie

Rien pourtant ne la prédestinait à la cuisine. Fille d'un médecin et d'une bijoutière, elle aurait pu se lancer dans un cursus d'ingénieure si l'Institut Bocuse ne lui avait pas proposé une rentrée décalée de quelques mois afin qu'elle atteigne la majorité au moment d'effectuer son stage de première année.

A l'Institut, cette femme réservée apprend à "avoir la niaque". Sortir major de promotion de la prestigieuse école aurait pu la propulser dans les restaurants les plus en vue. Mais sa rencontre avec le chef Davy Tissot lui ouvre d'autres perspectives quand il lui permet de faire "les petites mains" au cours d'un entraînement avec l'équipe des Etats-Unis.

J'ai dit oui tout de suite !
Naïs Pirollet, cuisinière

A l'époque, l'idée de participer à des concours "ne lui traversait pas l'esprit", même si "le dépassement de soi" l'a toujours attirée.

Quand Davy Tissot la rappelle pour rejoindre son équipe pour le Bocuse d'Or, "j'ai dit oui tout de suite", se rappelle-t-elle. Ce concours, souvent comparé à une coupe du monde de la gastronomie, "c'est de l'adrénaline sur le long terme alors qu'en restauration, on atteint son but deux fois par jour", estime la cuisinière. Le chef Tissot, qui partage régulièrement son expérience avec la jeune candidate, confirme que le concours est "une autre façon d'aborder la cuisine" où il faut "comprendre comment font les autres et comment plaire à 24 jurés" internationaux.
 

Désormais leader, Naïs Pirollet sait qu'elle doit "apprendre à prendre (ses) décisions". "C'est le même exercice mais sous un autre angle", dit celle qui reste "toujours guidée" par l'idée de "rassembler autour d'un repas".

Et parmi ses décisions remarquées, c'est une femme, Tabata Mey, 44 ans, qu'elle a choisie comme coach. Installée à Lyon, la Brésilienne s'est fait connaître dans l'émission Top Chef et fait partie depuis 2020 du cercle très fermé des cheffes étoilées.

En 2021, elles n'étaient qu'une trentaine en France sur 638 restaurants distingués,  (33 femmes chefs étoilées, citées dans le guide Michelin 2020, ndlr). En 2021, cinq femmes dirigent ou co-dirigent des établissements promus. Parmi la centaine de chefs triplement étoilés dans le monde, seules sept femmes, dont cinq Françaises font partie de l'élite. Deux ont rejoint le palmarès récemment : Hélène Darroze et Clare Smyth, toutes deux distinguées le 25 janvier 2021 pour leurs restaurants respectifs à Londres. Elles rejoignent ainsi Anne-Sophie Pic, Dominique Crenn, Annie Feolde Elena Arzak (Espagne), Nadia Santini (Italie).