Bolivie : mobilisation contre la disparition de mineures
En Bolivie, la société civile se mobilise pour faire face à un inquiétant phénomène : l’augmentation du nombre de personnes disparues. Des disparitions liées au trafic d’être humains et aux réseaux de prostitution, qui touchent principalement les adolescentes. En juillet dernier, un collectif de familles de disparus est créé, le premier de l’histoire du pays.
Marche du collectif de familles de disparus à La Paz, soir du jeudi 23 août
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Marcela Martinez colle un avis de recherche pour sa fille
"Vous savez quoi ? Il y a même des gens qui arrachent nos avis de recherche !" D’une voix douce mais avec une détermination sans faille, Marcela Martinez explique pourquoi, plus de deux mois après la disparition de sa fille, elle continue de coller des affiches avec la photo de Zarlet, 17 ans, sur chaque tronc d’arbre, poteau électrique et mur de La Paz : "Nous voulons maintenir présente son image. Chaque avis est une possibilité de plus que quelqu’un la reconnaisse et m’appelle".
Marcela Martinez et son fils Gabriel
Même l’effroyable SMS qui vient de s’afficher sur le téléphone portable de son fils de dix ans, Gabriel, la fait à peine sourciller. On lit pourtant : Je sais où tu vis. Je vais te tuer. "C’est la preuve que nous avançons dans la bonne direction," dit Marcela, qui a conscience de s’attaquer à des réseaux criminels extrêmement puissants, fortunés et protégés en haut lieu.
"Ce n’est pas juste que je doive dormir sans savoir si ma fille dort ou pas. Ce n’est pas juste que je doive manger sans savoir si ma fille mange ou pas. Ce n’est pas juste que je souffre depuis trois mois à me demander où elle est. Je continuerai jusqu’à ce que je retrouve ma fille et que ces criminels soient en prison," ajoute-t-elle.
Marcela Martinez est celle par qui la récente série de disparitions s’est forgé une existence médiatique. Avocate de droit international et journaliste, professions qu’elle a cessé d’exercer pour se consacrer entièrement à la recherche de sa fille, cette jeune mère de 38 ans a aussitôt lancé une campagne intense dans les médias locaux et nationaux, ainsi que sur les réseaux sociaux.
Le mois dernier, elle créé le Collectif de Familles de Disparus, le premier de ce genre en Bolivie. Auparavant, la plupart des familles de disparus, en majorité issues de milieux défavorisés, restaient trop isolées dans leur combat, à la fois par manque de moyens, de réseaux ou simplement par peur des représailles.
Le 23 août dernier, le Collectif organise une marche inédite et simultanée dans les trois principales villes du pays : La Paz, Cochabamba et Santa Cruz.
Dans la capitale politique, ils sont environ 300 à défiler, une bougie à la main. Le visage grave, les familles de disparus brandissent des pancartes avec la photo et le nom de leur fille, fils, cousin ou nièce écrit au feutre à côté de la date de la disparition. Sur chaque affiche et dans chaque bouche, le même cri : rendez-nous nos disparus. Parmi les mères désespérées, Lucia supplie : "Mon fils a disparu le 5 février 2011. Il était parti avec des amis à un barbecue et il n’est jamais revenu. Je veux savoir ce qu’il est arrivé à mon fils. S’il vous plaît aidez-moi à le retrouver. J’ai des problèmes de santé, je n’en peux plus".
Un manifestant brandit une pancarte “juges corrompus“
Maria Ester, dont la nièce de 22 ans a disparu le 27 juillet dernier dans la ville de Santa Cruz, a le sentiment que tous les moyens ne sont pas mis en œuvre pour retrouver les personnes manquantes : "Il faut que les procédures policières soient plus rapides. C’est beaucoup trop lent, on met une semaine à obtenir un ordre du juge et encore trois semaines de plus pour obtenir le papier à envoyer aux frontières. D’accord il n’y a pas de moyens mais je pense qu’il est possible au moins d’accélérer la paperasserie pour que nous puissions agir le plus vite possible. Chaque minute qui passe est un danger supplémentaire pour nos disparus."
Manifestant du 23 août à La Paz
Adolescente de 16 ans, Mariana défile avec deux amies, et se sait cible potentielle : "Nous sommes tous plus inquiets et moins rassurés. Et surtout nous les filles, nous devons prendre des précautions que nous n’aurions pas voulu prendre avant. Nous ne pouvons plus prendre un taxi la nuit. Nous ne pouvons pas rentrer tard chez nous ou marcher toute seule le soir dans la rue. Nous ne pouvons pas parler avec des inconnus. Nous ne sommes plus libres dans la rue".
Après avoir parcouru le Prado, la principale avenue de la ville, les manifestants s’installent un moment devant le bâtiment de la vice-présidence avec micro et haut-parleur.
Katalina, dont la fille s’est échappée de ses ravisseurs l’an passé, prend la parole : "La police nous dit que les enlèvements sont à la mode, comme s’ils n’y pouvaient rien. Ce n’est pas d’un pantalon que l’on parle ! Qu’ils fassent leur travail !"
La société civile adresse aussi un message aux réseaux de traite des personnes : en Bolivie, plus personne ne disparaîtra en silence.
Quelles mesures pour endiguer la vague de disparitions ?
La police bolivienne fait état de 1 300 disparitions depuis 2008, dont 840 non résolues à ce jour. Le nombre de nouveaux cas ne cesse d'augmenter chaque année. Une hausse vraisemblablement liée à celle de l’insécurité en général qui, elle-même, découle de la recrudescence du trafic de drogue dans le pays.
Le 31 juillet dernier, le président bolivien Evo Morales a promulgué une loi contre le trafic d’êtres humains, qui intègre notamment au code pénal le crime de "viol sexuel commercial". En parallèle, un comité interministériel a été créé et doit présenter d’ici la mi novembre un "plan national contre la traite et le trafic de personnes".
Des mesures jugées insuffisantes par le collectif de familles de disparus qui dénoncent principalement un manque de budget consacré à ce dossier. Le collectif a prévu de remettre prochainement au gouvernement toute une liste de demandes concrètes destinées à combattre efficacement et rapidement les réseaux criminels de traite des personnes.
D’après les Nations unies, le trafic d’êtres humains sur la planète est en augmentation globale et génère plus de 9 milliards d’euros par an, juste derrière le trafic d’armes et celui de drogue.