Les femmes se mettent à la boxe en cage, ou Mixed Martial Arts, mélange d'arts martiaux réputé violent et macho. Au dam de certains hommes, qui voient leur ring occupé par des combattantes résolues.
"J'ai envie de dire aux mecs : détendez-vous, c'est pas grave !" Robe noire, talons rouges et large sourire aux lèvres, Clémence Schreiber est comédienne, boxeuse... et adepte du MMA, acronyme pour Mixed Martial Arts, un mélange d'arts martiaux de type karaté, jiu jitsu et boxe où presque toutes les règles sont permises. Un hobby qui se joue en cage, et qui dérange encore quelques esprits masculins.
Régulièrement, elle sort les gants de son gros sac de sport gris, et pénètre dans la grande cage octogonale qui occupe près de la moitié de la salle d'entraînement. Une baie vitrée surplombe l'estrade et laisse largement passer la lumière, des drapeaux internationaux pendent au plafond. L'escalier d'accès est grillagé et branlant, le sol du ring presque moelleux. Au MMA, on se bat au sol, au corps à corps. "Le but, c'est quand même de plaquer l'adversaire contre le grillage !" s'exclame la combattante.
La première fois qu'elle vient dans sa salle de boxe de Montreuil, à l'est de Paris, un des hommes tchétchènes qui tiennent les lieux lui rétorque : "Ce n'est pas pour les filles ici." Pas grave. Elle vient quand même, s'entraîne comme les autres. Ou presque. Tous ses partenaires d'entraînement n'acceptent pas de "tourner avec elle", c'est-à-dire de faire ensemble les exercices au sol.
"Certains n'acceptent pas que je puisse jouer dans la même cour qu'eux", explique-t-elle, amère. Parfois, les exercices demandent à trois athlètes de s'allonger par terre, pour que les autres sportifs puissent exercer leurs prises. Un jour, alors qu'elle est au sol, les boxeurs la laissent seule, se contentant de travailler avec les deux autres hommes à terre. Elle les interpelle, prévient l'entraîneur. Certains défendent sincèrement leur réaction en évoquant la religion musulmane. D'autres, qui ne sont pas croyants, découvrent sur le ring qu'ils ont la foi. "Ils se cachent parfois derrière la religion. Certains pensent, par exemple, que si, pendant un combat, leur copine est dans l'assistance, elle sera jalouse", commente la jeune femme.
A l'issue de l'entraînement, elle veut pleurer de rage. Quelques jours plus tard, l'entraîneur de boxe anglaise est absent. Le responsable de la salle lui demande de diriger l'échauffement. Elle se retrouve en face des garçons qui avaient préféré lui tourner le dos. Au menu : retroussage de manches et petits ronds avec les bras tenus à l'horizontale. Longtemps. Très longtemps. Les gaillards musclés prennent chaud, leurs visages rougissent. Clémence, dotée de bras courts et fins, a plus d'endurance. Et vlan, l'heure de la vengeance a sonné. "Après, certains sont venus me dire que l'entraînement, c'était bien."
Capture d'écran du site d'Invicta
Combattre à la télévision
Peu de femmes exercent le MMA en France. D'autant plus que la compétition y est interdite car ce sport considéré comme trop violent. Seul le pancrace, qui n'autorise pas les frappes au sol, est licite. Fernand Lopez est président de la commission nationale de MMA en France, mais aussi l'un des entraîneurs de Clémence Schreiber. Il estime la pratique féminine du MMA dans l'Hexagone à 200 ou 300 combattantes, dont une vingtaine qui participent à des compétitions... contre 90 000 pratiquants hommes.
A sa connaissance, les compétitions féminines de MMA ont commencé à se développer il y a tout juste dix ans, avec quelques pionnières notamment allemandes et japonaises, venues des autres arts martiaux. Pour lui, "pas mal de téléspectateurs regardent ce type de match, les choses s'améliorent en conséquence." Plusieurs compétitions ouvrent leurs cages aux femmes. L'une d'elles leur est totalement consacrée : Invicta, fondée en 2012 (lien en anglais) aux Etats-Unis.
Parmi les compétitions mixtes, il y a la Super Fight League (SFL, lien en anglais), fondée l'an dernier en Inde. Fernand Lopez vient d'y faire signer un contrat à Clémence Schreiber et à une autre boxeuse. Chaque soirée de combats est diffusée sur une chaîne de sport indienne, Star Sports, et sur le réseau social de vidéo Youtube.
Monter sur l'estrade
La visibilité offerte par ces diffusions est une des raisons pour laquelle Fernand Lopez a inscrit ses protégées. "Et le niveau est intéressant. Il est élevé. En plus, on y prend soin des athlètes, pour qu'ils aient des adversaires équilibrés en termes de niveau, pour qu'ils ne prennent pas de risque de blessure."
De nombreuses Indiennes sont également inscrites sur le site de la SFL. Parmi elles, Ritika Singh (lien en anglais), étudiante de Mumbai et trois combats télévisés à son actif. Citée par le magazine indien Tehelka (lien en anglais), cette jeune femme au visage fin et à l'épaisse chevelure noire a commencé à s'entraîner avec son père à l'âge de sept ans. Mais elle préfère généralement ne pas clamer sur les toits qu'elle est boxeuse : "Les gens ne sont pas à l'aise avec l'idée qu'une femme puisse être agressive. Quand je dis aux gens que je suis boxeuse, j'essuie des réactions des plus étranges. Ils me disent 'pourquoi n'uses-tu pas de ton visage pour faire du mannequinat ?' J'imagine qu'ils attendent d'une boxeuse qu'elle ressemble, d'une certaine façon, à un homme."
Le dernier combat féminin diffusé par la SFL, début juin
Le magazine rappelle aussi : "pendant longtemps, la seule place pour les femmes en MMA, c'était celle de 'fille de ring', très légèrement vêtue, raccompagnant les combattants à la sortie et portant les pancartes, une offre évidente pour attirer une large base d'adeptes masculins."
Pour Clémence Schreiber, il faudra encore du temps aux boxeuses pour être totalement acceptées dans les cages. "Ce sport, c'est fait pour qu'on se mélange", revendique-t-elle. A terme, elle n'entendra peut-être plus : "Aujourd'hui, ils se sont battus comme des gonzesses !"
Fernand Lopez pense que le premier combat indien de ses protégées aura lieu en septembre. En attendant Mumbai, Clémence Schreiber décolle pour Chypre le 31 juillet, avec ses entraîneurs de Montreuil : "Ils me disent : 'c'est pour toi, tu rapporteras la ceinture !' Bon, ok. Je leur fais confiance."