Brésil : quand les domestiques se font désirer

En cette fin d'automne 2012, les articles fleurissent sur la domesticité brésilienne, non pas pour dénoncer les dures conditions de travail des femmes qui occupent majoritairement les emplois de ce secteur, mais pour souligner qu'avec l'envol économique du Brésil, les bourgeois de ce pays "émergent" ont de plus en plus de difficultés à s'adjoindre le service de bonnes... Et un amendement législatif en discussion au parlement devrait renforcer d'ici peu les droits de ces travailleuses, encore considérées il n'y a pas si longtemps en Amérique latine, comme des survivances de l'esclavage...
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Brésil : quand les domestiques se font désirer
Esclaves brésiliennes, venues du continent africain, au XIXème siècle
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Est-ce parce qu’une femme dirige l’un des plus puissants pays au monde ? Alors que la présidente brésilienne Dilma Roussef s’apprêtait à quitter la France, après une visite officielle de deux jours, Libération ou l’Express en France, Le Temps en Suisse consacraient des pages à la condition des domestiques brésiliennes, presque exclusivement des femmes  (6,7 millions de femmes et  500 000 hommes), qui représentent encore plus de 3% (soit 7 ,2 millions de personnes) de la population totale du Brésil, comme une survivance de l’esclavage qui régna dans ce pays né à l’aube du XIXème siècle, et longtemps gouverné par les colons.

Jusque il y a quelques années, les bonnes étaient encore taillables et corvéables à merci, sans protection sociale et sans réglementation spécifique de leurs conditions de travail. Elles ne comptaient ni leurs heures ni leurs tâches, du ménage à la garde des enfants en passant par le bien être des animaux domestiques, souvent mieux traités qu’elles.

Un marqueur social de l'évolution des pays

Mais voilà que l’économie change la donne : la crise mondiale semble effleurer ce mastodonte de l’Amérique latine, avec une croissance insolente qui pourrait dépasser les 4% en 2013, et un chômage qui stagne en dessous de 5%. Deux millions d’emplois ont été créés en 2011, des réformes sociales dans la plupart des secteurs ont été opérées  sous l’impulsion des syndicats, soutenus par les gouvernements successifs de Lula et Roussef. Du coup, nombre de travailleuses de maison ont commencé à rêver à des horaires mieux encadrés, à des labeurs moins épuisants, et à se diriger vers des emplois de service, peu qualifiés et en pleine expansion – plateformes de téléphonie, restauration, grandes surfaces, etc. Et les classes supérieures, nouvelles ou anciennes, ont de plus en plus de mal à recruter, tandis que les salaires de ce métier si peu gratifiant, s’envolent. Axel Gyldén, dans l’Express, cite l'économiste Heron do Carmo, professeur à l'université de São Paulo, attentif aux mutations sociales des sociétés en voie d’enrichissement galopant, telles le Brésil, la Chine, l’Inde, la Russie ou l’Afrique du Sud (les pays dits du Brics) : "L'âge moyen des employés de maison ne cesse d'augmenter. A terme, le métier de domestique tel qu'il a toujours existé dans ce pays, avec des ''bonnes'' intégrées à la famille et logées sur place, est appelé à disparaître. D'autres métiers non qualifiés sont condamnés, eux aussi, à brève échéance: pompiste, groom d'ascenseur, gardien d'immeuble... D'ici à quelques années, tous seront payés à l'heure, comme en Europe."

Nouvelles définitions des classes sociales

Certains foyers seraient prêts à débourser aujourd’hui jusqu’à l’équivalent de 1000 euros pour s’adjoindre les services d’une domestique (salaire habituel pour se considérer de la classe moyenne), et à accorder des avantages en nature non négligeables (logement décent par exemple). En Juin 2011, le Brésil a approuvé la Convention de l'Organisation internationale du Travail (OIT) sur les droits des travailleurs domestiques, qui impose l'égalité de traitement des employés de ce secteur face au droit du travail. Et, comme au Chili au printemps 2012, une série d’amendements, dont le dernier a été adopté le 4 décembre par la chambre des députés et attend d’être voté par le Sénat, vient réglementer les rapports de domination à l’œuvre jusque là dans un pays encore très féodal jusque il y a peu. La nouvelle législation imposera, dès qu’elle sera mise en œuvre : des contrats de travail en bonne et due forme, la semaine de 44 heures, le paiement des heures supplémentaires au delà de ces horaires, des congés payés, de maternité, les allocations familiales. L’Union des travailleurs domestiques, entrainée par sa présidente Eliana Menezes, a joué un rôle important dans ces changements : "Nous nous sommes battues pour que les femmes de ménage aient les mêmes droits que les autres travailleurs, avec un contrat formel. A peine un tiers des travailleuses de ce secteur en ont signé jusqu’à présent. Et encore c’est mieux qu’en 2009 où elles étaient seulement un quart…"

Des siècles d'esclavage à effacer

Il faut désormais faire évoluer des siècles de culture inégalitaire, même si Dilma Roussef affirme dans Le Monde (lien payant) que "les inégalités sociales et territoriales ont connu depuis dix ans une diminution inédite grâce à une forte mobilité : 105 millions de Brésiliens intègrent aujourd'hui la classe moyenne" Dont les bonnes donc...
Selon la coordonnatrice de l'Organisation internationale du travail (OIT) au Brésil, Marcia Vasconcelos, bien que le Brésil dispose désormais d’une législation spécifique, sa mise en œuvre reste difficile et limitée : « Il y a encore une mentalité dans ce pays, qui empêche de voir le travail domestique comme une profession. » Il faut aussi, et peut-être surtout, réévaluer à leurs propres yeux le travail ingrat des domestiques, femmes de ménage, bonnes et autres travailleuses de maison.
 
Brésil : quand les domestiques se font désirer