Brésil : s’évader par la danse en prison

En marge d'une actualité politique brésilienne tempétueuse, et qui est loin d'être indemne des questions de genre, Terriennes vous invite dans une prison pour femmes : une fois par semaine, la chapelle du pénitencier de São Paulo résonne aux sons de rythmes endiablés.
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Danser en prison au Brésil
 Vanessa électrise l'assistance en dansant la cumbia
© Mathilde Dorcadie
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Elles ont le sourire en arrivant. Elles viennent de quitter les cuisines et les ateliers de confection où elles travaillent toute la journée et discutent en groupe sur les bancs de pierre de la chapelle. Elles ont une heure, pas une minute de plus, pour évacuer leurs soucis. La musique envahit la nef tandis que l’échauffement débute par les doux mouvements de danse du ventre. Pour les détenues du « pavillon des étrangères », la séance de danse menée par Luciana Rocha est un moment d'évasion salutaire.

La danse, une langue universelle


La quarantaine de participantes vient d’une vingtaine de pays d’Amérique latine et d’Afrique pour la majorité, mais aussi de Malaisie, d’Europe (Bulgarie, Angleterre, France) et des Etats-Unis. Nombreuses sont celles qui maîtrisent mal le portugais. C’est donc bien le seul moment où elles retrouvent les sensations d’un univers familier : celui du langage universel de la danse. Une grande partie de ces femmes vit un isolement accentué par le fait qu’elles n’ont pas leurs proches pour venir leur rendre visite. Certaines n’ont même pas avoué à leur famille leur situation : « Je leur ai dit que j’avais trouvé du travail au Brésil, que je ne pouvais pas rentrer pour l’instant » raconte les larmes aux yeux Aminata, qui n’a presque pas de de nouvelles de son petit garçon, resté en Afrique.

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Quelques minutes avant la représentation, le tract envahit les danseuses
© Mathilde Dorcadie


Au Brésil, 25% des peines sont liées à des affaires de trafic de drogue. Pour les femmes, le chiffre s’élève à 68% et pour les détenues étrangères, il dépasserait les 80%. La loi brésilienne est particulièrement sévère avec les « petites mains » du trafic. Parmi les élèves de ce cours de danse, nombre d’entre elles ont été des « mules », occasionnelles ou récidivistes.

Cela fait six ans que Luciana Rocha apporte ses CDs et ses foulards colorés au pénitencier de Santana, l’un des plus grands d’Amérique Latine. Situé au plein cœur de la mégapole brésilienne, certains l’appellent encore Carandiru. Un nom tristement célèbre depuis le massacre d’une centaine de détenus en 1992 à la suite d’une rébellion dans les pavillons des hommes. Aujourd’hui, deux tiers du complexe carcéral ont été rasés pour laisser place à un parc dédié à la jeunesse. L’aile des femmes est restée et fait figure de prison modèle en comparaison à d’autres établissements dans le pays.

Les détenues ont un besoin vital d'expression
Luciana Rocha, professeure de danse

Luciana, 47 ans,  a créé son projet « Ponto de Luz » (étincelle de lumière) pour faire découvrir la danse aux populations défavorisées. «  Je pars du principe que chacun a besoin d’une seconde chance, il faut oublier le passé, penser au futur » explique-t-elle. Après avoir travaillé avec des adolescents délinquants, elle a trouvé chez les détenues, un public « en besoin vital d’expression ». Une représentation est donnée une fois par an devant les autres prisonnières et le personnel administratif. Le programme reflète les origines des danseuses en faisant le tour du monde des rythmes africains, latinos, caribéens, en passant par le hip-hop et la danse du ventre. Cette année, le thème choisi était « la cure ». « Mon travail porte sur l’estime de soi » précise la professeure.
 

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Environ 70 détenues ont assisté à la représentation annuelle du cours de danse mené par Luciana Rocha
© Mathilde Dorcadie


Qu’elles soient vêtues de simples uniformes beiges lors des répétitions ou apprêtées pour le grand jour du spectacle, ces jeunes femmes mettent une même énergie à incarner la musique. Au milieu d’elles, se  détache Vanessa. Ce n’est pas uniquement son mètre quatre-vingt-cinq qui attire le regard, c’est aussi son indéniable charisme. Lancée sur de la cumbia, elle offre à l’assistance survoltée trois minutes « électriques ». Sa force semble décuplée par le désespoir qui l’habite. La Vénézuélienne de 35 ans attend depuis 9 mois de passer en jugement, comme un tiers des prisonnières brésiliennes. Vanessa l’assure, sans ces moments d’évasion, elle ne tiendrait pas. « Depuis toute petite, je danse, c’est toute ma vie. Depuis que je suis ici,  je n’ai raté aucune répétition ».

La danse comme thérapie


A l’opposé, dans un coin des loges improvisées se tient timidement Nathaly. Cette Bolivienne de 40 ans a particulièrement ému la  professeure. « Il m’a fallu beaucoup de temps pour réussir à la faire sortir de sa coquille » explique Luciana. Nathaly a été condamnée à 19 ans de prison. Elle a déjà passé plusieurs années en captivité et lutte contre la dépression. Danser pour elle devient un début de thérapie.

Les prisons pour femmes au Brésil, en quelques chiffres

-  Environ 40.000 femmes sont emprisonnées au Brésil. Elles représentent 6% de la population carcérale. Leur nombre a pourtant explosé de +500% en 15 ans.(source : Infopen)
-  Le Pénitencier pour Femmes de la capitale (PFC) de São Paulo recense une population moyenne de 2600 femmes, la moitié d’entre elles ne reçoivent pas de visites. Environ 600 prisonnières de cette prison sont de nationalités étrangères.
-  60% des détenues ont moins de 29 ans et 2/3 sont des femmes de couleur.

Les séances du mardi sont bénéfiques aux détenues à titre individuel, mais aussi collectif. Souvent regroupées par nationalités ou langues communes dans leurs cellules qu’elles partagent à deux ou trois, elles ont rarement l’occasion d’avoir des échanges interculturels, car même les repas sont pris dans ces réduits.

Claudette est originaire des Antilles françaises. Son souhait le plus cher était de faire découvrir à ses camarades le « coupé-décalé ». Grâce à Luciana, elle a pu proposer sa chorégraphie sur le tube d’African Connection « Ami-Oh ». « Ecouter de la musique, ça nous manque. On a bien la télé, on regarde les novelas tous les soirs. Sinon c’est très monotone ».

A Santana, les jeunes femmes peuvent choisir de travailler pour un petit salaire (150 euros par mois). Mais également pour obtenir des remises de peine, les trois-quarts s’inscrivent donc dans les services de la prison (cuisine, blanchisserie, nettoyage) ou confectionnent des montures de lunettes, des prises électriques ou des pièces de bois comme des rosaires par exemple.

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Luciana Rocha, la professeure de danse, rassemble les danseuses avant la représentation.
© Mathilde Dorcadie


« Peu de gens s’intéressent à ce que ressent l’humain en captivité et rare sont ceux qui veulent aider » constate Luciana Rocha. Avant de se quitter, les élèves d’un jour forment une ronde tandis que les murs résonnent encore de l’énergie déchargée. Puis le groupe s’éparpille en un clin d’œil. Les portes vont se refermer à l’heure pile, mais les danseuses emportent au moins une fois de temps en temps avec elles un court sentiment vécu de liberté.

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Avant et après chaque séance de danse, les détenues forment une ronde pour se donner du courage puis décharger l'énergie accumulée.
© Mathilde Dorcadie