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Peu importe que le Sénat américain ait validé sa nomination par une courte majorité à 50 pour et 48 contre ce 6 octobre 2018 - la veille, deux sénateurs jusqu'alors indécis, avaient fait savoir qu'ils voteraient en faveur de Brett Kavanaugh, dont une femme, la républicaine Susan Collins et même un démocrate (!), Joe Manchin. Brett Kavanaugh siégera désormais à la Cour suprême, donnant un poids supplémentaire à ceux qui, dans l'Amérique de Donald Trump, voudraient en finir avec des droits chèrement acquis par les femmes : celui à l'avortement, celui à la contraception, celui de disposer de son corps.
La confirmation de sa nomination a enthousiasmé Donald Trump et indigné une partie du pays et été accueillie par de virulentes manifestations :
Alors que se profilent les élections tant attendues de midterms, mi-mandat de Donald Trump, les Etats-Unis ont vécu durant quelques semaines au rythme des étapes de la nomination du juge Brett Kavanaugh à la Cour suprême, choisi par le président américain pour succéder à Anthony Kennedy, 81 ans. Un choix crucial puisqu'il fera pencher la balance des neuf hauts magistrats vers la droite ultra conservatrice, le juge démissionnaire étant un républicain qui vote parfois avec les démocrates, en particulier sur les sujets de société. Accusé par quatre femmes d'abus et de comportements sexuels inadéquats, Brett Kavanaugh est resté imperturbable face aux aléas du chemin vers sa nomination. Tant il semblait sûr d'être en place, soutenu par un "club de garçons" au premier rang desquels Donald Trump lui même.
Rien d'étonnant. Sauf que dans son ascension il a aussi pu compter sur l'appui sans faille de femmes réunies par le mot dièse #IStandWithBrett. Ces mêmes femmes sans doute, qui envers et contre tout, ont porté elles aussi Donald Trump au pouvoir, animées autant par leur détestation envers Hillary Clinton que par leur foi en cet homme viril, qui les soutenaient elles, les mères, les épouses, les travailleuses.
Et on reste stupéfaite de ce soutien indéfectible de femmes à un homme puissant, catholique affiché, qui passe son temps à se manifester contre les droits des femmes, acquis au 20ème siècle, et qui, outre son aversion totale à l'interruption volontaire de grossesse, peut affirmer sans rire que "la contraception est un avortement par anticipation".
Les images des manifestantes hostiles à Brett Kavanaugh, en marge de son audition et de celle de l'universitaire Christine Blasey Ford, cette femme digne qui l'accuse de l'avoir agressée à l'été 1982, ne parviennent pas à effacer les messages d'adoration envers le juge et de haine à l'encontre de la psychologue de 51 ans, professeure à la prestigieuse "Stanford University School of Medicine" californienne.
As another accusation comes forward; we see each increasing the assaults (if that’s possible) then the proceed. The commonality of all of them, NO evidence, NO witnesses corroborating accusations, NO facts, Lots of motives to stop this confirmation. #IStandWithBrett Do you? pic.twitter.com/UwklSYQYxh
— Nancy J (@NancyJKoch) 2 octobre 2018
#IStandWithBrett #StopTheInsanityNow
— FloridaPatriotess (@FLPatriotess) 2 octobre 2018
Third Brett Kavanaugh Accuser Was Sued in 2000 for False Allegations of Sexual Misconduct | Breitbart https://t.co/QhkANNlTTz via @BreitbartNews
Why are women in Hollywood screaming about what Kavanaugh when they stay mute on Harvey Weinstein?#IStandWithBrett
— Author Joseph J Madden (@authorjjmadden) 2 octobre 2018
Et même une prétendue réflexion - que l'auteure semble avoir supprimée depuis : "Après des jours de débat autour de Kavanaugh, où l'on m'a dit comment me sentir et quoi penser de tout cela parce que je suis une femme, j'ai été encouragée à m'écouter et me rassurer sur mes propres pensées. Je pardonne les agressions sexuelles et #IStandWithBrett".
Dites moi quel garçon n'a pas fait ce genre de bêtises ?
Et puis, il y eut ce plateau réuni par la chaîne CNN, cinq femmes, cinq militantes républicaines (pourtant présentées comme des Américaines moyennes) qui expliquent pourquoi elles apportent leur crédit à Brett Kavanaugh. "Qui sommes-nous pour juger" demande l'une ? "Dites moi quel garçon n'a pas fait ce genre de bêtises ?" s'interroge une autre. Aucune ne croit l'accusatrice de Kavanaugh et elles rejettent toutes ses allégations comme étant ou bien déformées et basées sur la jalousie, ou bien exagérées. Malgré la force du témoignage de Christine Blasey Ford. Ce qui fait quand même hurler d'autres femmes : « "Dites-moi quel garçon n'a pas fait ça au lycée." Arrêtez vos conneries, les Républicaines ! »
“Tell me what boy hasn’t done this in high school.” Fix your shit, @GOP women. pic.twitter.com/6hsZfnApmX
— shauna (@goldengateblond) 22 septembre 2018
Now watch the video again knowing
— Victoria Brownworth (@VABVOX) 22 septembre 2018
~ Most of the women are Latina ##GOP politicians.
~ALL the women work in some way for the GOP AND one has run for Congress
~@CNN does not divulge their affiliations, but pretends they are average GOP suburban housewives.pic.twitter.com/mRdNRyCP26
Même si ce sont des militantes, cela n'empêche pas de se demander comment elles font pour s'enticher d'hommes qui abusent de leur puissance sociale ou économique.
Cette sympathie inappropriée et disproportionnée dont jouissent souvent les hommes puissants dans les cas d'agression sexuelle, de violence conjugale, d'homicide et autres comportements misogynes...
Kate Manne, professeure de philosophie
Kate Manne est professeure adjointe de philosophie à Cornell University (qui fait partie du groupe des huit prestigieuses universités de l'Ivy League) et l'auteure de "Down Girl : The Logic of Misogyny" (que l'on pourrait traduire par "rabaisser une fille, la logique de la misogynie). Et dans le New York Times du 26 septembre 2018, elle apporte un éclairage fort intéressant, au travers d'un concept qu'elle a forgé : l'himpathie, cette "sympathie inappropriée et disproportionnée dont jouissent souvent les hommes puissants dans les cas d'agression sexuelle, de violence conjugale, d'homicide et autres comportements misogynes..."
La philosophe explique :
"Plus un homme s'élève haut dans la hiérarchie sociale, plus il a tendance à attirer l'himpathie. Ainsi, la majeure partie de notre "care" (apporter du soin, de l'attention, ndlr), de notre considération, de notre respect et de notre attention nourricière se dirige vers les personnes les plus privilégiées de notre société.
Une fois qu'on apprend à reconnaître l'himpathie, il devient difficile de ne pas la voir partout : chez des hommes comme l'ancien rédacteur en chef du New York Review of Books, Ian Buruma, qui a publié un essai complaisant d'un ancien animateur canadien de talk-show accusé d'agression sexuelle et de harcèlement par plus de 20 femmes ; chez des femmes comme les cinq républicaines que CNN a récemment réunies pour appuyer le juge Kavanaugh. Mais nous en sommes à un moment où l'himpathie est si profondément évidente, si publique, qu'il est temps de faire pression en vue d'une prise de conscience morale de masse.
Ce que l'affaire Kavanaugh révèle, c'est que l'himpathie peut, dans sa forme la plus extrême, devenir une véritable 'sociopathie de genre' : une tendance morale pathologique à se sentir désolé.e exclusivement pour les agresseurs masculins présumés - c'était il y a si longtemps ; c'était juste un jeune garçon ; en fait c'était quelqu'un d'autre - tout en mettant systématiquement les accusatrices en cause. L'affaire Kavanaugh révèle également les répercussions profondes d'une certaine vision du monde : ce n'est pas une coïncidence si nombre de ceux qui s'entendent avec le juge Kavanaugh, contre Christine Blasey Ford, sont tous de fervents opposants à l'avortement, une position qui exige un refus de sympathiser avec les filles et les femmes confrontées à une grossesse non désirée."
Mais il y a aussi ce "Boy's club qui protège Brett Kavanaugh", une sorte de forteresse masculine blanche héritée d'une autre bande de garçons, celle de la très sélective Georgetown Preparatory School, une école de jésuites où le futur juge s'est formé. "Dans une déclaration suivant sa nomination, le 9 juillet 2018, Kavanaugh a aussitôt fait référence à la devise de Georgetown Prep, 'Men for others' (les hommes pour les autres). Plusieurs dizaines de ses anciens camarades de classe ont signé une lettre adressée aux responsables de la Commission judiciaire du Sénat, affirmant qu'il 'reste la même personne solide et accessible que nous avons rencontrée au lycée'." Un clan ultra solidaire que nous raconte le New Yorker.
Pendant ce temps Trump soufflait le chaud et le froid, depuis le 9 juillet 2018, ce jour, à marquer d'une pierre noire ou blanche selon son camp, où il prononça le nom de Brett Kavanaugh en remplacement du sage Anthony Kennedy...
Priez pour Brett Kavanaugh et sa famille !
Donald Trump
Le président qui aime à se faire voir avec la famille si parfaite de son futur juge suprême, distillait ses commentaires fielleux via son média préféré, son compte twitter, pour discréditer la principale accusatrice de Kavanaugh (d'autres se sont manifestées mais elles n'ont pas toutes décidé de porter plainte...). Le 26 septembre à la veille de l'audience au Sénat, il écrivait : "Les démocrates jouent un jeu d'arnaque de haut niveau dans leur effort vicieux pour détruire une bonne personne. C'est ce qu'on appelle la politique de destruction. Derrière la scène, les démocrates rient. Priez pour Brett Kavanaugh et sa famille !"
The Democrats are playing a high level CON GAME in their vicious effort to destroy a fine person. It is called the politics of destruction. Behind the scene the Dems are laughing. Pray for Brett Kavanaugh and his family!
— Donald J. Trump (@realDonaldTrump) 26 septembre 2018
Puis le même jour, s'en prenant à l'avocat qui a recueilli les nouvelles plaintes contre Kavanaugh et qui défend Stormy Daniels, ex actrice de films pornographiques, engagée dans une bataille judiciaire avec Donald Trump, il se fâchait encore plus : "Avenatti est un avocat de troisième ordre qui ne sait rien faire d'autre que de fausses accusations, comme il l'a fait contre moi et comme il le fait maintenant contre le juge Brett Kavanaugh. Il cherche juste à attirer l'attention et ne veut pas que les gens regardent son passé et ses relations - une vie de misère !"
Et le 28 septembre, Trump félicitait Kavanaugh à la face du monde (au lendemain de son discours devant les Nations Unies) : "Le juge Kavanaugh a montré aux États-Unis ce exactement pourquoi je l'ai nommé. Son témoignage était puissant, honnête et captivant. La stratégie de destruction des démocrates est honteuse et ce processus a été une imposture totale et un effort pour retarder, entraver et résister. Le Sénat doit voter !"
Judge Kavanaugh showed America exactly why I nominated him. His testimony was powerful, honest, and riveting. Democrats’ search and destroy strategy is disgraceful and this process has been a total sham and effort to delay, obstruct, and resist. The Senate must vote!
— Donald J. Trump (@realDonaldTrump) 27 septembre 2018
Just started, tonight, our 7th FBI investigation of Judge Brett Kavanaugh. He will someday be recognized as a truly great Justice of The United States Supreme Court!
— Donald J. Trump (@realDonaldTrump) 29 septembre 2018
Le 2 octobre, il attaquait très fort à nouveau, et cette fois en public, pour démolir Christine Blasey Ford, à l'occasion d'un meeting de campagne (des midterms du 6 novembre, ndlr) à Southaven, dans le Mississippi. "J'avais bu une bière, j'avais bu une bière...", lançait Trump, faisant mine d'imiter le témoignage de Mme Blasey Ford. "Comment êtes-vous rentrée chez vous ? Je ne m'en souviens pas. Comment vous êtes-vous rendue sur place ? Je ne m'en souviens pas. Il y combien d'années ? Je ne sais pas, je ne sais pas, je ne sais pas. Dans quel quartier cela s'est-il passé ? Je ne sais pas. Où est la maison ? Je ne sais pas. Au premier étage, au rez-de-chaussée, où ? Je ne sais pas. Mais j'avais bu une bière, c'est la seule chose dont je me souviens", poursuivait-il, sous les rires et les applaudissements. Avant de conclure : "Et la vie d'un homme est en lambeaux, la vie d'un homme a été brisée". Comme si celle de l'universitaire ne l'avait jamais été.
Plus tôt dans la journée, dans les jardins de la Maison Blanche, il s'était lamenté sur la situation des pauvres hommes blancs de son pays : "C'est une époque vraiment terrifiante pour les jeunes hommes en Amérique, vous pouvez être coupable de quelque chose dont vous n'êtes pas coupable".
La réponse des avocats de Christine Blasey Ford avait été brève et cinglante : "Elle est un exemple remarquable de courage. Lui est un exemple de lâcheté".