Brigitte Henriques démissionne du Comité olympique français

En juin 2021, Brigitte Henriques était la première femme nommée à la tête du Comité national olympique et sportif français. Deux ans plus tard, coup de théâtre : celle qui devait diriger les JO 2024 à Paris démissionne. Retour sur le parcours de l'ancienne internationale de football engagée pour la féminisation des sports.

Image
brigitte henriques JO 2024
©AP Photo/Thibault Camus
Brigitte Henriques, présente le menu des cérémonies pour les Jeux Olympiques 2024 à Paris, lors d'une conférence de presse le 13 décembre 2021.
Image
brigitte henriques
©CNOSF
Mardi 29 juin 2021, Brigitte Henriques est élue à la la tête du Comité national olympique et sportif français (CNOSF).
Partager 11 minutes de lecture

A quatorze mois des JO-2024 de Paris, Brigitte Henriques démissionne de la président du CNOSF pour mettre fin à une crise interne qui dure depuis plus d'un an et demi. Conflits et rivalités internes ont eu raison de l'ancienne vice-présidente de la Fédération française de football, en guerre ouverte depuis des mois avec son prédécesseur Denis Masseglia. C'est la secrétaire générale de l'instance, Astrid Guyart, qui va assurer l'intérim jusqu'à l'élection d'un nouveau président "dans les trois mois à venir", précise le communiqué du CNOSF.

Tweet URL

"La situation n'était plus tenable, elle a fait le choix qu'il fallait", estime un président de fédération présent au moment de l'annonce de cette démission en assemblée générale.

Réglement de comptes au CNOSF

Depuis plus d'un an et demi, le CNOSF est traversé par une crise inédite, entre menaces de plaintes, coups bas et révélations d'échanges de mails dans la presse... Ce climat est devenu encore plus lourd ces derniers jours avec l'annonce par Denis Masseglia d'un prochain dépôt de plainte au parquet national financier (PNF) pour abus de confiance visant la mandature de Brigitte Henriques.

L'éviction en septembre 2022 de l'ancien bras droit d'Henriques, Didier Seminet, a déclenché une crise profonde dont l'institution ne s'est jamais relevée.
La proximité avec les Jeux olympiques de Paris, dans quatorze mois, et cette crise qui n'en finissait pas, ont inquiété de nombreux acteurs du sport français.
"Cette démission, c'est une façon de régler la crise, et c'est assez noble", admet un autre président de fédération.

Tweet URL

En première ligne des combats des femmes dans le sport

Une commission pour enquêter sur les violences sexuelles dans le monde sportif : voilà qui donnait le ton début 2022. Impossible de ne pas y voir la marque de celle qui avait pris en juin 2021 la tête du Comité national olympique français, Brigitte Henriques, première femme à occuper ce poste depuis sa création, en 1972. 

Dès son élection, l'ex-championne de football française avait annoncé qu'elle ferait de ce combat l'une de ses priorités. Selon elle, il est nécessaire de s'attaquer aux violences sexuelles dans le sport, à la fois au niveau de la prévention et de la signalisation. Elle réitère l'implication du CNOS, en lien avec l'association Colosse aux pieds d'argile

Une femme à la tête du CNOSF, un choix pour l'histoire

Une page s'est donc tournée pour le sport français qui s'est choisi une femme pour le diriger, une première depuis quarante ans, dans un monde fédéral encore largement masculin. A l'appui, quelques chiffres : sur les 108 présidences de fédération qui ont participé au scrutin du 29 juin 2021, elles n'étaient que 14 présidentes, dont seulement 2 olympiques.

Alors sur l'antenne de France Inter, le 7 juillet 2021, Brigitte Henriques commençait par dédier sa victoire à toutes les femmes, avant de les exhorter à oser se porter candidates aux postes de direction : "Cela demande un travail sur soi. Moi-même, cela m'a pris deux bonnes années pour admettre que j'étais légitime, mais faut y aller. Sportives ou dirigeantes, beaucoup de femmes ont toutes les capacités, mais manquent de confiance en elles." La nouvelle présidente du CNOS se promet qu'elle agira pour encourager et aider le femmes à prendre leur place : "Comme je l'ai fait à la Fédération française de football, je vais m'atteler à ce qu'il y ait plus de femmes dans la pratique sportive, mais aussi à la direction des instances."

La mixité, ça ne se décrète pas, ça se construit, quitte à passer par des quotas.
Brigitte Henriques, présidente du CNOSF

Si elle n'a pas fait de son genre un enjeu de campagne, l'ancienne internationale de football et vice-présidente de la Fédération française de football (FFF) depuis 2017, se dit néanmoins "émue" de sa nomination et a tenu à la dédier "en premier lieu à mes filles, Barbara et Fanny, mais aussi à Garance Oulaldj, qui peut être fière de sa maman". Un clin d'oeil à l'une des candidates, Emmanuelle Bonnet-Oulaldj, coprésidente de la Fédération sportive et gymnique du travail (FSGT), qui finit 3e du scrutin du 29 juin avec plus de 16% des voix. 

Brigitte Henriques a également évoqué les femmes qui l'ont inspirée, "notamment Alice Milliat... et toutes celles à qui je veux dire qu'il faut oser candidater, et accéder aux postes à responsabilité, 'we can do it !'"

La ministre des Sports, Roxana Maracineanu a salué ce "moment historique pour le sport". Même enthousiasme du côté de l'ancienne ministre Marie-Georges Buffet, selon laquelle la nomination de Brigitte Henriques représente "un signal majeur envoyé au monde sportif". De nombreuses athlètes féminines, comme la championne de boxe Sarah Ourahmoune, se réjouissent de son élection à la tête du CNOSF.

Sport au féminin : étoffer la "réserve"

Le combat, pour Brigitte Henriques, consiste à étoffer la "réserve "de femmes, afin d'avoir le choix entre autant de femmes que d'hommes au moment de désigner les responsables. "Le plus souvent, aujourd'hui encore, il faut aller chercher les femmes. Or elles existent. Il leur manque juste un petit coup de pouce," assure-t-elle. Le club de la mixité qu'elle a fondé depuis son élection prévoit un état des lieux, la définition d'objectifs et un accompagnement des femmes dirigeantes pour les valoriser, leur donner confiance et renforcer leur estime de soi.

Brigitte Henriques souligne aussi la nécessité d'encourager les filles à pratiquer dans les clubs sportifs : "En milieu rural ou dans les quartiers populaires, il est important de les convaincre qu'elles ont leur place dans les clubs. Souvent, il faut les accompagner, car les parents ne sont pas toujours disponibles. Au CNOSF, nous sommmes très engagés pour accompagner les fédérations dans ce sens."

Objectif mixité

La nouvelle présidente du CNOSF se dit aussi convaincue que l'égalité entre femmes et hommes repose sur deux piliers - et pas seulement dans le sport : "D'un côté, les femmes doivent se sentir légitimes, et de l'autre, les hommes doivent être convaincus des bienfaits de la mixité." Et devant le chemin qu'il reste à faire, les hommes aussi doivent être acteurs du mouvement : "Ceux qui m'ont élue avaient vraiment envie d'un nouveau souffle et de mixité," assure-t-elle.

Dans l'inconscient collectif, les femmes sont restées trop longtemps absentes de la pratique et de la direction du sport.
Brigitte Henriques

Une mixité - une notion que la nouvelle présidente du CNOSF explique qu'elle préfère à "égalité" - dont Brigitte Henriques assume qu'elle peut être accélérée par l'imposition de quotas dans le sport : "La mixité, ça ne se décrète pas, ça se construit, même s'il faut pour cela passer par des quotas, car dans l'inconscient collectif, les femmes sont restées trop longtemps absentes de la pratique et de la direction du sport. Il faut des quotas aux postes de responsabilité, mais il faut aussi garantir l'égalité des conditions d'entraînement - vestiaires et créneaux de stade équitablement répartis, par exemple - et procurer aux jeunes joueuses un statut social pour progresser vers l'excellence." 

Une footballeuse militante

Brigitte Henriques milite depuis longtemps pour la féminisation des sports. En 2011, nommée secrétaire générale de la Fédération française de football, elle se voit confier le dossier de la féminisation du football, ainsi que le développement du foot féminin : "On était 50 000 joueuses en 2011, nous sommes 210 000 aujourd'hui, explique-t-elle au micro de France Inter. Et à la direction, nous sommes passées de 25 000 à 38 000 femmes." 

En 2013, Brigitte Henriques sort major de promotion au Centre de droit et d'économie du sport de Limoges, seule femme au milieu d'une quinzaine d'hommes, parmi lesquels Zinédine Zidane.

Elle n'a aucun complexe. Ses grandes qualités, ce sont le travail, l'intelligence.
Noël Le Graët, le président de la Fédération française de football

Ancienne internationale de football, Brigitte Henriques a joué 32 sélections en équipe de France.

En 2017, nommée vice-présidente déléguée de la Fédération française de football, c'est elle qui porte le dossier de la Coupe du monde femmes de 2019 en France. A la tête du CNOSF, Noël Le Graët, le président de la FFF, ne doute pas qu'elle sera à la hauteur de ses nouvelles fontions : "C'est une femme qui connaît bien ses dossiers, travaille très sérieusement, d'une grande gentillesse, d'une grande souplesse... Elle n'a aucun complexe. Ses grandes qualités, ce sont le travail, l'intelligence"

Un engagement qui puise aux racines

Originaire de la région parisienne, Brigitte Henriques, dernière d'une fratrie de six dont cinq garçons, a dû batailler pour se démarquer des aspirations paternels à ce que "sa petite dernière ait une vie de princesse. Elle a fait de la gym mais avec cinq frères qui tapaient dans le ballon, Brigitte jouait avec nous à la sortie de l'école, explique son frère Karl Olive à nos confrères de L'EquipeElle a dû se battre avec notre père pour qu'il l'autorise à faire le sport de sa vie, le foot." Repérée par la JSF Poissy alors qu'elle dribble sur la dalle du quartier de la Coudraie, où vit la famille, dans les Yvelines, elle marque sept buts dès le premier entraînement avec les garçons, raconte L'Equipe. "On avait réussi à ce que notre père accepte qu'elle aille à l'entraînement. Après ça, il sera son premier supporter, son attaché de presse, son agent, se souvient son frère. Cinq garçons, tous voulaient être pro, c'est la seule qui a réussi. On est tous fiers d'elle." 

Quand on vous dit, jeune, on ne prend pas les femmes... Je n'ai pas vécu ça comme une discrimination, c'était comme ça.
Brigitte Henriques (dans le journal L'Equipe)

Brigitte Henriques, elle aussi, fait remonter à sa jeunesse les racines de son engagement pour que les femmes s'imposent dans les sports : "Quand on vous dit, jeune, on ne prend pas les femmes... Je n'ai pas vécu ça comme une discrimination, c'était comme ça. Mais ça explique mon engagement, mon parcours", dit-elle à nos confrères de L'Equipe. Les femmes ont dû se battre pour se faire une place dans la société, et doivent encore se battre pour être reconnue, mais dans le sport, le chemin est encore plus long", admet-elle.

Quant à l'impression de froideur qu'elle peut dégager, son frère Karl l'explique plutôt comme une défense, une "carapace par rapport aux blessures de la vie. Brigitte est une battante, sa vie n'a pas été un long fleuve tranquille." Entre 2015 et 2018, elle a perdu deux de ses cinq frères, ses parents et son mari, révèle le journal sportif. 

Footballeuse, mais pas que...

Ancienne professeure de sport, ancienne internationale de football, vice-présidente du CNOSF depuis 2017... Brigitte Henriques est incontestablement issue du sérail, et c'est aussi ce qui a séduit une partie des 108 présidents de fédérations ayant pris part au vote. "Elle est vraiment très bien implantée dans les instances, elle maîtrise aussi pas mal de réseaux, notamment grâce à sa place au sein de la FFF", expliquait un des membres du CNOSF avant l'élection. 

Adoubée dès le mois de janvier par le président sortant Denis Masseglia, avec qui elle oeuvre comme coprésidente depuis maintenant quatre ans, celle qui vient de la Fédération française de football a également bénéficié du soutien de plusieurs poids lourds du monde fédéral pendant sa campagne, avec notamment Michel Vion (ski) et Jean-Pierre Suitat (basket-ball). "J'ai beaucoup de plaisir à te donner les clés de la maison", a d'ailleurs lancé Denis Masseglia avant de prendre dans ses bras la nouvelle présidente. 

Le football, j'y jouerai jusqu'à ce que je ne puisse plus.
Brigitte Henriques, ancienne internationale de football

L'ancienne internationale a notamment su faire oublier, ou bien faire accepter, son étiquette football, dans un monde où ce sport n'est d'ordinaire pas considéré comme un marqueur olympique fort. "C'est quelqu'un de grande qualité, mais je ne vois pas le football, adversaire du monde de l'olympisme, prendre la main", avait notamment assuré pendant la campagne un connaisseur des arcanes sportives. Et pourtant, le jour de son élection, Brigitte Henriques persiste et signe : "Le football, j'y jouerai jusqu'à ce que je ne puisse plus," dit-elle.

Objectif JO de Paris 2024

Parmi ses premières tâches : remettre sur la table le dossier brûlant des conseillers techniques sportifs, ces fonctionnaires placés auprès des fédérations pour les aider sur le haut nouveau niveau ou les pratiques de masse, dont des dizaines de postes sont menacés. Le 22 juillet dernier, elle était à Tokyo pour "soutenir les athlètes" aux JO de Tokyo, puis "passer le témoin à Paris-2024".