Burundi : Charlotte Umugwaneza est morte. Quid de Claudine ?

Charlotte Umugwaneza était vice-présidente du Mouvement pour la solidarité et le développement (MSD). Portée disparue vendredi, elle a été retrouvée morte. Son corps portait des traces de violences. Dans un premier temps, la police a démenti et a donné une autre identité,  celui de Claudine Uwamahoro. Une gaffe policière pour deux morts suspectes ?
Image
Charlotte Umugwaneza
Charlotte Umugwaneza, militante assassinée.
L'après-midi de sa disparition, sa famille a sonné l'alarme sur les médias sociaux :
"Dans l'après-midi, nous avons appris qu'elle était emprisonné au centre national de renseignement  Il y a là-bas une cellule dans laquelle les agents d'information mettent les gens pour ensuite les conduire à d'autres endroits"
(DR)
Partager 5 minutes de lecture

L'image est terrible.
Il s'agit d'un corps de femme partiellement dévêtu. Elle est allongée, le  visage tuméfié tourné vers le ciel. Son ventre est à l'air. Il y coule un filet de sang. La dépouille repose parmi des cailloux, à même la terre, comme un détritus. Oui, comme un détritus. Exposé au yeux de tous, sans même un vêtement ou une couverture pour préserver un semblant de dignité.

Charlotte Umubwaneza
Le corps a été trouvé à quelques kilomètres de la capitale, sur la route N1 près de Bugarama.
(DR)

Ce cliché, une main anonyme l'a posté sur les réseaux sociaux. Il s'est rapidement propagé. Et les proches de cette femme ont reconnu le cadavre. Oui, il s'agit bien de Charlotte Umugwaneza, la vice-présidente du Mouvement pour la solidarité et le développement (MSD). Elle avait disparu quelques jours plus tôt. La jeune femme, âgée d'une quarantaine d'années, se rendait au marché de Cotebu. Il était 10h. Elle s'apprêtait à louer un véhicule utilitaire pour déménager. Elle voulait fuir la violence de son quartier. Elle n'est plus revenue. Des témoins ont parlé de rapt.

Charlotte Umugwaneza... et Claudine Uwamahoro ?


Mais la police burundaise, dans un premier temps, dément qu'il s'agit bien de la militante. Elle évoque un autre nom, celui de Claudine Uwamahoro puis elle se ravise et publie finalement ce tweet :
 

tweet Police burundi

Sagit-il d'une terrible gaffe ? Sur son compte Facebook, Pacifique Nininahazwe, un soutien de Charlotte Umugwaneza, s'interroge :  "Qui est Claudine Uwamahoro initialement signalée à Pierre Nkurikiye (fonctionnaire au cabinet du Ministre de la sécurité publique ndlr) dans le rapport qu'il avait reçu dans la matinée d'hier ? Où est-elle, qui lui a fait ce rapport?

- Dans l'alerte de vendredi, le fils de Charlotte disait qu'il était rapporté à la famille que leur maman avait été arrêtée avec une autre dame et que toutes les deux se trouvaient au ‪#‎SNR‬. (la police politique ndlr). Cette deuxième dame, est-ce Claudine Uwamahoro ?

- A-t-on assassiné deux femmes dans la soirée de vendredi ? Si c'est le cas où est le deuxième corps? Ou bien a-t-on assassiné Charlotte à la place de Claudine ? Ou bien encore, Claudine est-ce une autre femme programmée pour (être) assassinée ? Dans les deux derniers cas, cette femme doit être avertie qu'elle est en danger."

Un climat de terreur au Burundi


La police a confirmé que le corps avait été retrouvé dans la rivière. Dans la rivière ? Vraiment ?  Pour les proches de la militante, c'est étrange. Ils remarquent qu'il n'y a aucune trace d'eau sur sa dépouille. Ses cheveux semblent secs et l'on distingue très nettement de la poussière et des traces de sang. Rien à voir avec un corps ayant séjourné dans l'eau.

Burundi Christophe Nkezabahizi
Christophe Nkezabahizi, un journaliste abattu il y a quelques jours. Pour fuir le harcèlement et les pressions, nombre de journalistes ont dû fuir le pays ou se retrouvent dans l'obligation de se cacher.
(capture d'écran)
Willy Nyamitwe, le Conseiller présidentiel,  a condamné "l'assassinat abominable" de la militante sur son compte Twitter.
Service minimum. Le pouvoir burundais ne prise guère ces femmes qui osent contester et les journalistes savent bien ce qu'il en coûte, parfois,  de s'opposer au président Pierre Nkurunziza.

Le 13 octobre, le caméraman Christophe Nkezabahizi, sa femme et deux de leurs enfants (16 ans et 14 ans) ont été abattus à bout portant par les forces de sécurité dans leur maison de Bujumbura, la capitale.
 

Dans son dernier rapport, Human Rights Watch  dénonce le climat de terreur que font régner les agents des services de renseignement, les policiers ainsi que des membres des Forces pour la défense de la démocratie (CNDD-FDD), connus sous le nom d’Imbonerakure (" ceux qui voient loin " en kirundi).

"Lorsque les Imbonerakure arrêtent des personnes, nous regardons impuissants. Nous ne pouvons rien y faire" Une autorité judiciaire anonyme
 


Daniel Bekele, directeur de la division Afrique à Human Rights Watch précise : " Les Imbonerakure n’ont aucun droit légal d’arrêter des individus. Cependant ils ont arrêté des personnes arbitrairement, les ont battues et les ont remises aux services de renseignement, qui ont torturé certaines d’entre elles. Le gouvernement burundais devrait publiquement ordonner à tous les Imbonerakure de cesser d’arrêter des personnes et faire en sorte que les Imbonerakure et les agents des services de renseignement responsables de mauvais traitements et de torture soient traduits en justice."

Pour l'heure, il est seulement permis de l'espérer.
Plus de 140 000 Burundais ont fui le pays depuis mars, le mois de la réélection à un troisième mandat du président Pierre Nkurunziza. Ils ont cherché  refuge dans les pays frontaliers : le Rwanda, la Tanzanie ou la République démocratique du Congo.

Une autorité judiciaire de haut niveau a confié à Human Rights Watch : "Le système judiciaire n’est pas indépendant. Les autorités judiciaires ne peuvent pas agir indépendamment selon leur conscience. Nous pouvons libérer quelqu’un, puis nous recevons immédiatement un appel et les membres du parti [CNDD-FDD] donnent un ordre. Lorsque les Imbonerakure arrêtent des personnes, nous regardons impuissants. Nous ne pouvons rien y faire. "

Charlotte Umugwaneza a payé de sa vie son souhait de vivre dans un pays libre, débarrassé de la corruption. Parmi les médias internationnaux,  seule Radio France Internationale s'est inquiétée de sa disparition.

Charlotte,  avait une quarantaine d'années. Mariée avec un enseignant, elle était mère de trois enfants et tutrice légale de deux autres. A cette heure, on ignore tout du sort de Claudine Uwamahoro.
Et cela pourrait durer.
Selon Human Rights Watch "Dans la plupart des cas, les procédures judiciaires sont totalement méprisées."